On aime blâmer les banquiers centraux pour leurs «erreurs» répétées (réelles ou fantasmées) dans la conduite de la politique monétaire. Cette tendance n’est pas le seul fait de l’opinion public, tant il est vrai que les instances politiques ont pris l’habitude de se défausser sur les technocrates monétaires, affublés parfois des plus vils sobriquets.
S’il est vrai que les grands argentiers ont perdu le contrôle de l’inflation dans le sillage de la crise de la covid, il ne faut pas oublier 1) que leurs actions ont été essentielles pour gérer les conséquences économiques sans précédent auxquelles les pays ont été confrontés et 2) que les décisions politiques dans la gestion de la pandémie ne sont pas exemptes de tout reproche.
On pourra toujours retorquer par une formule: à grande responsabilité, grand risque d’offrir le flanc à de dures critiques, mais ce serait oublier que le travail des banquiers centraux reste un art plus qu’une science. Leur mission est ingrate à bien des égards. Les conditions globales qui prévalent ne devraient pas infirmer cette dernière affirmation dans l’avenir immédiat. Naviguer dans le brouillard des développements conjoncturels actuels ne facilite pas la prise de décision.
Ce point n’est pas seulement valide pour les Etats-Unis, confrontés à une décélération de la croissance et à une évolution pas totalement satisfaisante de l’inflation. Les déclarations récentes de plusieurs membres de la Réserve fédérale ont d’ailleurs marqué un biais en faveur du maintien de la politique monétaire en l’état jusqu’à septembre. Une orientation qui est en désaccord avec des anticipations de marché, tant en termes de timing (les opérateurs penchent encore en faveur d’une baisse des taux en juillet) que sur l’étendue du mouvement espéré.
Face au manque de visibilité du cycle on comprend que la Fed hésite à orienter sa politique dans un sens plus expansif. Au demeurant, si la lutte contre l’inflation était vraiment un combat d’arrière-garde comme certains le pensent, S. Bessent serait-il intervenu auprès de Walmart pour inciter la compagnie à ne pas répercuter les hausses de tarifs sur les prix de vente des biens?
Madame Lagarde et ses collègues sont dans une situation plus confortable, l’inflation se rapprochant rapidement de l’objectif de la BCE, qui n’a qu’un mandat (la maitrise de l’inflation) pour gérer sa politique monétaire. Face à une croissance atone – comme les dernières prévisions de la Commission européenne l’ont mis en exergue – la voie semble tracée pour un recul des taux directeurs à 2% voire 1,75% au cours des prochains mois. Il restera au conseil de la BCE a trouvé un accord entre les colombes et les faucons, principalement du nord, pour fixer le cap. Le recul récent du dollar et des prix de l’énergie offre une fenêtre d’opportunité que les grands argentiers européens pourraient saisir en juin. Reste que l’union monétaire et bancaire imparfaite dont l’Europe s’est dotée reste une inefficience qui nuit à l’efficacité de la BCE, dont cette dernière n’est aucunement responsable.
On connaît la situation «exceptionnelle» de la Suisse, qui a vu son inflation refluer au cours des derniers trimestres, alimentant ainsi les attentes de voir la BNS réintroduire des taux négatifs à brève échéance.
Une baisse des taux à 0% semble quasiment acquise pour juin, même si la croissance du PIB au premier trimestre en a surpris plus d’un. La question du retour à la politique de taux négatifs se posera nécessairement ensuite. Les déclarations du président de l’institut monétaire démontrent que celle-ci est déjà dans l’esprit des décideurs de la BNS. Recourir à une telle politique, dans l’espoir de contrer la vigueur excessive du franc, n’est pas sans risque. En outre, on peut se demander si des taux légèrement négatifs (-0,25%) peuvent vraiment « faire l’affaire » ou si seule une action plus résolue (-1% par exemple) n’est pas nécessaire pour que les buts recherchés soient atteints?
Enfin, un mot sur le Banque du Japon, à contre-courant avec sa politique plus restrictive depuis quelques trimestres. Face à une inflation qui a (enfin) retrouvé de la hauteur et qui est supérieure à l’objectif recherché, les choix de l’autorité monétaire, depuis 1 an, semblent justifiés. Cependant, le chemin de crête sur lequel la BoJ doit naviguer est étroit. Les grands argentiers nippons doivent conserver à l’esprit que la prudence est de mise, dans un pays qui a longtemps souffert de la menace déflationniste. A agir trop abruptement, le yen pourrait vite s’apprécier fortement… avec son lot d’effets négatifs sur l’inflation!
Que les banquiers centraux se trompent (parfois) c’est certain. Le font-ils davantage que les décideurs politiques? Je n’en suis pas convaincu. Les attaquer sans cesse est en fin de compte contreproductif! En ces temps marqués par un manque de visibilité, les banquiers centraux ont un rôle important pour permettre aux économies de naviguer dans les méandres des incertitudes ambiantes. Pour ce faire, il est important qu’ils puissent agir dans la sérénité et à l’abri des passions politiques. Contrairement à ce qui peut ressortir de certaines discussions de bout de comptoir ou de messages sur les réseaux sociaux, gérer la politique monétaire est loin d’être une évidence! C’est encore plus vrai dans les circonstances actuelles.