Au service des marchés financiers

Martin Neff, Raiffeisen

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Le fait que de nombreux observateurs des marchés financiers brodent toujours autour du retournement des taux d’intérêt aux Etats-Unis est de moins en moins compréhensible.

«Il y a très longtemps, on parlait chaque année d’un retournement des taux d’intérêt». Peut-être pourra-t-on entendre ce genre de phrases dans une dizaine d’années. Au moins aux Etats-Unis, la Réserve fédérale semble effectivement avoir engagé un retournement sur le front des intérêts. Après le premier timide relèvement fin 2016, quatre interventions sur les taux de 25 points de base chacune ont tout de même été réalisées en 2017 et en 2018, la Réserve fédérale américaine a résolument poursuivi sur cette voie avec quatre relèvements supplémentaires des taux. Cependant, la dernière adaptation des taux directeurs en décembre 2018 d’un niveau de 2,0% à 2,25% à un niveau compris entre 2,25% et 2,5% remonte désormais à plus de trois mois et malgré ces neuf relèvements de taux d’intérêt, il faut toujours parler de taux d’intérêt historiquement bas aux Etats-Unis. Je comprends de moins en moins les nombreux observateurs des marchés financiers qui brodent toujours autour du retournement des taux d’intérêt aux Etats-Unis. Si l’on examine l’évolution à l’extrémité courte, on peut éventuellement parvenir à cette conclusion, bien qu’il serait sans doute plus exact de parler de «normalisation timorée». La situation est différente à l’extrémité longue de la courbe des taux. Après le revirement des autorités monétaires, on n’y trouve plus trace d’un retournement des taux d’intérêt.

Rappelons brièvement les ordres de grandeur historiques sur le front des taux d’intérêt aux Etats-Unis. Au seuil de la crise financière à l’été 2007, lorsque la conjoncture était à son summum, le taux directeur s’établissait à 5,25%. Il était donc plus de deux fois plus élevé qu’à la fin 2018, lorsque la conjoncture était de nouveau à son comble. Fin 2000, avant l’éclatement de la bulle informatique, le taux directeur durant cette période de forte conjoncture était même de 6,5%. En comparaison, le taux actuel d’environ 2,4% prête évidemment à sourire. Il faut se contenter de remonter trois ans en arrière pour en déduire qu’un retournement des taux d’intérêt s’est effectivement produit durant cette période. La situation est toutefois différente à l’extrémité longue, comme nous l’avons dit. Hier, les emprunts du Trésor américain dégageaient un rendement de 2,4%. Il suffit de consulter un graphique qui remonte jusqu’à la date du premier relèvement des taux d’intérêt par la Fed en décembre 2016 pour voir que ce n’est pas ainsi que se présente un retournement des taux d’intérêt. Aujourd’hui, nous nous situons environ au niveau de décembre 2016 à l’extrémité longue. Je sais que bon nombre de mes collègues ont des explications suffisamment bonnes, limpides et surtout plausibles en ce sens, il n’empêche que nombreux sont ceux qui évoquent un retournement des taux d’intérêt. Or c’est précisément une notion inappropriée. Le revirement des autorités monétaires aux Etats-Unis a mis un terme au retournement des taux d’intérêt.

Hypothermie? Monter le chauffage! 

La récession commence dans la tête et les indicateurs économiques publiés depuis l’été 2018 ont envoyé des signaux qui ont eu une incidence négative sur le moral des acteurs du marché financier. Au point que le quatrième trimestre 2018 est entré dans les annales comme l’un des trimestres les plus minables de l’histoire de la bourse. La plupart des marchés des actions ont certes refait une bonne partie de leur retard en 2019, le marché suisse est même allé au-delà, mais ces baisses et hausses exagérées des marchés boursiers ont presque davantage inquiété les autorités monétaires que la dégradation des indicateurs économiques. Il est de plus en plus difficile de se défaire de l’impression que la politique monétaire brosse les marchés financiers dans le sens du poil et tente d’en gérer les humeurs, tout en courant le risque de perdre le contact avec la réalité, à savoir l’économie réelle. Depuis la mi 2017, l’économie européenne a suffisamment bien évolué pour pouvoir surmonter sans peine un ou deux relèvements des taux d’intérêt. Mais en 2017, les marchés financiers auraient peut-être sanctionné une telle initiative par des corrections encore plus fortes, montrant ainsi à la politique monétaire qu’elle s’engage dans la mauvaise direction. Les Etats-Unis auraient certainement pu relever les taux avant 2016, mais ne l’ont pas fait pour ne pas rebuter les marchés financiers. Cela fait longtemps que la température est toujours agréable sur les marchés financiers. Que le temps à l’extérieur, dans l’économie réelle, soit au gel ou à la tempête, les autorités monétaires provoquent «juste» un risque de refroidissement à l’intérieur, sur les marchés financiers. Et le chauffage est immédiatement mis en marche ou augmenté. La politique monétaire semble prisonnière d’un dilemme, dans lequel elle s’est elle-même enfermée. Fin 2008, le leitmotiv était donc de sauver les marchés financiers, on parlait de les stabiliser, pour éviter que le reste du monde ne fasse naufrage. La politique monétaire a progressivement transformé les marchés financiers en garnements mal élevés, auxquels on pardonne si possible toutes les sautes d’humeur, tout en veillant à ne surtout pas les contrarier. A vrai dire, les autorités monétaires sont désormais au service exclusif des marchés financiers. Elles se détournent ainsi de plus en plus du droit chemin. Mais au moins, sont-elles ovationnées par les marchés. 

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