Adieu aux idoles de l’édition de logiciels

Peter Singlehurst, Baillie Gifford

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L’édition de logiciels à faible intensité capitalistique est morte. Place aux entreprises dont les besoins en capitaux sont clairs.

L’une des grandes erreurs du monde de l’investissement actuel consiste à croire que les éditeurs de logiciels sont des entreprises à faible intensité capitalistique. Autrement dit, leurs frais de démarrage et d’exploitation seraient inférieurs à ceux d’entreprises dont l’empreinte physique est plus importante. Cette affirmation était peut-être vraie il y a dix ans, mais c’est rarement le cas aujourd’hui.

Admettons que l’on mesure l’intensité capitalistique par la quantité d’argent qu’il faut investir dans une entreprise relative aux profits générés par cette dernière: de ce point de vue, les éditeurs de logiciels ne se sont pas caractérisés par une faible intensité capitalistique durant ces 15 dernières années. Tout ce secteur a absorbé des milliards de dollars d’investissements et si, dans certains cas, ces levées de capitaux ont permis de construire d’importantes bases de revenus, les bénéfices qui en ont effectivement été tirés se sont généralement avérés déplorables.

Fini le code bon marché

En ce qui concerne la génération de bénéfices, les éditeurs de logiciels sont confrontés à deux problèmes dont l’un est structurel et l’autre culturel.  Commençons par l’aspect structurel: si l’édition de logiciel est considérée comme faiblement capitalistique, c’est parce qu’on table sur un effet de levier théorique qui se manifesterait une fois que les investissements nécessaires à l’élaboration du code informatique (essentiellement la rémunération des ingénieurs) ont été effectués. A partir de là, le coût marginal de chaque unité vendue tomberait pratiquement à zéro et les bénéfices se mettraient à affluer. Ces principes étaient valables aux débuts de l’industrie du logiciel, mais entretemps, la situation a changé. 

Au règne de l’actionnaire a succédé celui de l’employé. Les meilleurs ingénieurs logiciel bénéficiant d’un statut quasi divin, il a fallu leur offrir des rémunérations exorbitantes (salaires et plans d’option) pour les retenir.

Les logiciels sont devenus d’une complexité extrême. Pourtant, ils doivent pratiquement être mis à jour dès leur sortie, compte tenu de la vitesse de l’évolution technologique et des exigences toujours plus nombreuses de leurs utilisateurs. Il faut donc enterrer l’idée selon laquelle les coûts fixes seraient modérés. Les frais de lancement sont plus élevés et le besoin de mises à jour est permanent. 

Par ailleurs, les coûts de développement ont grimpé en flèche. Selon le média en ligne ITPro dédié aux technologies de l’information, les ingénieurs en chef des bureaux de Facebook à Menlo Park (baie de San Francisco) gagnent plus d’un million de dollars (salaires, bonus et options d’achats d’actions compris) et leurs homologues dans d’autres entreprises ne sont guère moins bien lotis.  Par conséquent, si les éditeurs de logiciels paraissent toujours très rentables, c’est parce qu’en comptabilité traditionnelle le coût des marchandises vendues n’inclut qu’une faible part du coût de cette main-d’œuvre. 

La situation se gâte encore dès que l’on franchit le cap de la marge brute. La quête de stabilité se manifeste au travers du gonflement des dépenses de recherche et développement qui viennent se substituer aux amortissements des investissements corporels d’autrefois. Séduits par l'idée que la R&D constituait le fondement de la croissance et de la rentabilité à venir, nous oublions qu’en réalité, compte tenu des progrès de la technologie, l’investissement en R&D est absolument indispensable pour maintenir la compétitivité de l’entreprise et soutenir les ventes.

Bref, le capital est dépensé, que ce soit d’une manière ou d’une autre. Et le pire se produit lorsque les entreprises communiquent des chiffres concernant la rentabilité qui ne tiennent pas compte du coût économique de la dilution de l’actionnariat imputable aux plans d’options des salariés. Elles omettent ainsi de considérer que ces options sont une forme d’alternative à la rémunération en espèces et qu’elles diminuent par conséquent la part revenant à chaque actionnaire. 

Le second problème est d'ordre culturel dans la mesure où les éditeurs de logiciels financés par le capital-risque n'ont souvent aucune ambition en matière de rentabilité future. Durant ces dix dernières années, le succès s’est mesuré au montant des capitaux mobilisés et aux valorisations de plus en plus élevées, capitaux qui payaient les salaires pour créer une base de revenus. 

Investir dans une dynamique plutôt que dans des idoles

Au règne de l’actionnaire a succédé celui de l’employé. Les meilleurs ingénieurs logiciel bénéficiant d’un statut quasi divin, il a fallu leur offrir des rémunérations exorbitantes (salaires et plans d’option) pour les retenir. Et ceci a absorbé une grande partie de la croissance. Par ailleurs, le coût de l’élaboration et de la gestion de codes de plus en plus complexes s’étant accru, le montant des capitaux nécessaires à la création d’entreprises d’édition de logiciels est devenu incontrôlable. Les sommes qui entrent dans ces entreprises sont de plus en plus importantes alors que celles qui en ressortent sont toujours moins conséquentes. L’édition de logiciel à faible intensité capitalistique est bien morte, qu’elle repose en paix!

Cependant, les récents progrès de l’intelligence artificielle transforment le processus de codage, ce qui pourrait en réduire le coût. L’existence et le prix des talents en matière de codage représentent un goulet d’étranglement: va-t-il s’ouvrir au fur et à mesure des progrès en matière de codage automatique des logiciels?  Où se situeront les goulets d’étranglement à l’avenir et quel sera leur impact sur la rentabilité? Qui attirera les capitaux et réalisera les profits, les fabricants de matériel informatique ou de semi-conducteurs? 

Comprendre toute cette dynamique revient à ne pas idolâtrer les entreprises qui se consacrent entièrement à l’édition de logiciel. Elles ont un rôle à jouer dans les portefeuilles, mais contrairement à ce que pensent nombre d’investisseurs, elles ne méritent pas d’être placées sur un piédestal. Mieux vaut apporter son soutien à des entreprises qui sont tout à fait claires quant à leurs besoins en capitaux.  Ce sont des entités telles que Northvolt, Solugen ou PsiQuantum qui utilisent les capitaux qui leur sont confiés par les investisseurs pour accroître leurs capacités de production, qu’il s’agisse de la production de batteries, de la culture d’enzymes ou de puces destinées aux ordinateurs quantiques. Ces entreprises possèdent des avantages compétitifs tels qu’il ne suffit pas de traverser une route pour les retrouver dans la start-up d’en face!

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