Energie verte: la défaite du Labour

Robert Skidelsky, Université de Warwick

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Le parti travailliste du Royaume-Uni a renoncé à son engagement en faveur d’un emprunt annuel afin d’investir dans des projets d’énergie verte s’il remporte les prochaines élections au Parlement.

© Keystone

Après des mois de spéculations et de conflits internes, le parti travailliste du Royaume-Uni a officiellement renoncé à son engagement en faveur d’un emprunt annuel de 28 milliards de livres sterling (environ 33 milliards d’euros) afin d’investir dans des projets d’énergie verte s’il remporte les prochaines élections au Parlement.

Si les médias en ont rapidement fait «la mère de tous les revirements», l’annonce du Labour n’était guère surprenante, le parti ayant progressivement réduit, depuis juin dernier, les ambitions de son «Plan de prospérité verte», présenté pour la première fois aux électeurs en septembre 2021 par la chancelière de l’Échiquier du cabinet fantôme, Rachel Reeves.

Plutôt que de dépenser chaque année 28 milliards de livres supplémentaires en investissements verts pendant cinq ans, le parti ne projette plus qu’un débours de 23,7 milliards de livres – moins de 5 milliards annuels. En outre, tandis que le plan original n’était financé que par l’emprunt public, la version mise à jour se fixe pour objectif de réunir 10,8 milliards de livres au moyen d’un impôt sur les bénéfices exceptionnels réalisés par les grandes compagnies pétrolières et gazières.

D’abord présenté comme la mesure phare de la politique économique du Labour, le plan climatique avait pour but de dynamiser les investissements privés et publics dans les sources d’énergie sobres en carbone en créant une société publique du secteur énergétique et un fonds d’investissement souverain. Mais le financement finalement décidé dans la révision du plan ne se monte plus qu’à 0,2% du PIB de 2022, soit environ 0,4% de la dépense publique annuelle. L’Italie, pour prendre cet exemple, dont le rapport de la dette au PIB est de 144% alors qu’il n’est que de 100% pour la Grande-Bretagne, alloue annuellement 11,8 milliards d’euros à ses projets verts. Ces investissements, qui équivalent à 0,6% du PIB italien de 2022, sont financés par la facilité pour la reprise et la résilience de l’Union européenne.

Rétrospectivement, le plan du parti travailliste était déjà compromis après que l’ex-première ministre Liz Truss eut annoncé en 2022 son désastreux mini-budget et presque mis à genoux toute l’économie du Royaume-Uni, coûtant au pays quelque 30 milliards de livres. En novembre 2023, dans une tribune parue dans The Economist, Reeves rappelait l’adhésion de son parti aux «règles budgétaires». Et déclarait, en écho à l’ancien premier ministre Gordon Brown: «Nous n’emprunterons pas pour financer les dépenses courantes et nous réduirons la part [relativement au PIB] de la dette publique.»

À quoi répondirent, évidemment, les conservateurs: Comment le parti travailliste pourrait-il réduire le rapport de la dette au PIB tout en projetant simultanément d’emprunter 140 milliards de livres supplémentaires ?  

Mais contrairement à ce que prétendent les Tories, l’engagement originel du Labour était économiquement valide. Démontrant la légèreté des médias, les commentateurs s’empressèrent pourtant de crier au revirement du Labour, et bien peu prirent la peine d’analyser la pertinence économique de ses propositions. Ils reprirent avec un certain ensemble le refrain des conservateurs: les chiffres ne «s’additionnent pas».

La stratégie d’investissements verts des travaillistes était largement influencée par les travaux de l’Institut de recherche sur les politiques publiques (Institute for Public Policy Research – IPPR), un groupe de réflexion progressiste. En juillet 2021, la commission pour la justice environnementale de l’IPPR estimait que pour atteindre l’objectif de nullité des émissions nettes d’ici 2050, les investissements annuels du Royaume-Uni dans les énergies renouvelables devaient passer de 10 milliards de livres à 50 milliards.

Selon le rapport de l’IPPR, des investissements publics à hauteur de 30 milliards de livres chaque année étaient indispensables, «au moins jusqu’en 2030», pour atteindre les objectifs climatiques du gouvernement. L’augmentation de l’investissement dans les énergies vertes, quoique financé par l’emprunt, aurait servi de catalyseur à des investissements supplémentaires du secteur privé, permis de réduire les coûts environnementaux, augmenté les recettes fiscales et réduit les dépenses publiques de santé et d’aide sociale.

Certes, le plan travailliste ne coïncidait pas avec l’engagement du parti de réduire le rapport de la dette au PIB. Mais le parti aurait dû assouplir ses règles budgétaires pour au moins deux raisons. Premièrement car il est absurde d’appliquer des conventions comptables face à la menace existentielle des changements climatiques. Deuxièmement, une augmentation de la dépense publique pourrait stimuler une économie britannique anémique, et les investissements dans les technologies sobres en carbone auraient des rendements significativement plus élevés que ceux consentis aux industries carbonées.

Considérés ensemble, les deux arguments auraient dû plaider en faveur du maintien des projets du parti travailliste pour la transition verte. Mais les dirigeants du Labour, en raison même de leur ardeur à paraître responsables sur les questions touchant au budget, ont peiné à formuler face aux critiques des Tories une réponse cohérente.

Ce que les dirigeants travaillistes ne sont pas parvenus à reconnaître, c’est qu’une gestion avisée des finances publiques demande qu’on s’écarte en temps de crise des règles budgétaires. Comme l’explique Robert Rowthorn, économiste à Cambridge, la position keynésienne classique est de considérer qu’une récession «peut laisser des blessures qui se feront sentir pendant de nombreuses années», alors qu’une relance budgétaire temporaire pourrait renforcer la production «longtemps après que les mesures de relance auront pris fin», augmentant sensiblement les recettes fiscales.

Au premier abord, avec un taux de chômage à 3,9% et une inflation annuelle de 4%, l’économie britannique peut sembler suffisamment robuste pour que des dépenses publiques supplémentaires soient superflues. Mais c’est oublier que le Royaume-Uni s’est trouvé ces deux dernières années au bord de la récession. La part des Britanniques en âge de travailler ne recherchant pas activement d’emploi s’est en outre accrue, pour atteindre 21,9% à la fin de l’année 2023, ce qui souligne la fragilité économique du pays.

Enfin, les investissements dans les infrastructures vertes ont les capacités de créer de nouveaux emplois, plus intéressants et productifs que nombre de «boulots à la con», insatisfaisants, si nombreux dans l’économie du Royaume-Uni, qui conduisent souvent celles et ceux qui les exercent à choisir la retraite anticipée. En outre, dès lors que l’objectif premier des investissements dans les énergies propres est d’augmenter l’offre en stimulant la production énergétique, ils sont peu susceptibles de relancer l’inflation.

Mais les dirigeants du parti travailliste ne sont pas parvenus à formuler la logique keynésienne qui sous-tend leur plan d’investissement vert. Cet insuccès peut être imputé à la domination persistante de l’économie néoclassique et à son postulat du plein-emploi. Selon le récit qui prévaut, le renforcement du niveau d’investissement public est sans efficacité sur l’augmentation de l’offre. Ainsi les dépenses vertes proposées par le Labour devront-elles être financées par une hausse de l’impôt.

Il y a une autre raison, plus profonde, pour laquelle les responsables politiques du Labour se montrent si réticents dans l’adoption du keynésianisme. Depuis que Brown a défini les règles budgétaires du parti, en 1997, ses dirigeants n’ont cessé de vouloir démentir la réputation d’hostilité du Labour à l’égard de l’entreprise privée, en endossant les habits du conservatisme budgétaire.

En conséquence de quoi les dirigeants travaillistes se trouvent dans une position peu enviable: ils sont blâmés par les marchés et les médias pour des objectifs révolutionnaires qui n’ont jamais été les leurs tout en voyant se restreindre leur capacité à mettre en œuvre les politiques progressistes voulues par leurs électrices et leurs électeurs. Le parti n’a qu’une façon d’échapper à ce dilemme: présenter des arguments keynésiens persuasifs en faveur des investissements qui relanceront la croissance – verte.

 

Traduit de l’anglais par François Boisivon

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