«Ce plan garantira la sécurité d’approvisionnement des usines européennes, en multipliant par quatre la production de semi-conducteurs en Europe d’ici à 2030», a déclaré le commissaire au Marché intérieur Thierry Breton.
La Commission européenne va proposer mardi de débloquer près de 42 milliards d’euros d’argent public en faveur de l’industrie des semi-conducteurs pour réduire sa dépendance à l’Asie dans ce secteur stratégique qui subit des pénuries.
«C’est un investissement absolument majeur», a déclaré le commissaire au Marché intérieur Thierry Breton, lors d’une visite au centre de recherche Imec, à Louvain, près de Bruxelles. Ce plan «garantira la sécurité d’approvisionnement des usines européennes, en multipliant par quatre la production de semi-conducteurs en Europe» d’ici à 2030, a-t-il assuré.
L’Union européenne, à la pointe de la recherche sur les puces, a vu sa part de marché chuter ces dernières décennies, à seulement 10% de la production mondiale.
Mais la pénurie de semi-conducteurs, qui a freiné l’industrie automobile depuis trois ans avec l’arrêt forcé de nombreuses usines, a provoqué un électrochoc. Les tensions géopolitiques autour de la Chine, ainsi que la pandémie, ont fait prendre conscience de la nécessité de produire en Europe ces composants indispensables essentiellement importés de Taïwan et de Corée.
Au point de convaincre la Commission d’assouplir son strict encadrement des aides d’Etat et d’assumer une politique industrielle interventionniste sur un continent traditionnellement très ouvert à la concurrence mondiale.
«Pour la première fois, l’Europe fait évoluer les règles sur la politique de concurrence, notamment les aides d’Etat», a expliqué Thierry Breton, qui pilote l’initiative de l’UE.
Ces composants sont incontournables dans de nombreux objets du quotidien, comme les téléphones mobiles, mais aussi dans les centres de stockage de données, au coeur de l’économie numérique en plein boom. L’an dernier, les semi-conducteurs ont représenté un marché mondial de près de 600 milliards d’euros, selon le cabinet de conseil Yole Développement. Selon Bruxelles, il pourrait atteindre 1.000 milliards en 2030.
Le projet de règlement, qui devra encore être adopté par les pays membres et le Parlement européen, prévoit 12 milliards d’euros de subventions (6 milliards de l’UE et 6 provenant des États membres) pour financer la recherche dans les technologies les plus innovantes et des lignes pilotes pour préparer leur industrialisation.
Pour permettre l’implantation d’usines de très grande taille, mais aussi favoriser l’innovation au sein d’entreprises plus petites, Bruxelles autorisera en outre 30 milliards d’euros d’aides publiques des États membres à des industriels du secteur, y compris des groupes étrangers, comme l’américain Intel qui envisage d’investir en Europe.
Ces fonds publics devraient entraîner un montant encore plus important d’investissements privés, espère la Commission.
Le plan européen rivalise avec celui des Etats-Unis, qui ont aussi engagé un rapatriement d’activités de production sur leur territoire. Vendredi, la Chambre des représentants a adopté un projet de loi qui prévoit 52 milliards de dollars (45 mds d’euros) pour relocaliser la fabrication de puces électroniques.
«L’Europe est aujourd’hui très en retard en termes de moyens de production», souligne Emilie Jolivet, directrice semi-conducteurs pour le cabinet de conseil Yole Développement. Le projet annoncé mardi est «un pas en avant, mais il faut le relativiser par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde, surtout en Asie», a-t-elle expliqué à l’AFP, en soulignant que le groupe taïwanais TSMC allait investir à lui seul 36 milliards d’euros pour la seule année 2022.
L’Europe subit aujourd’hui «une double dépendance» en matière de semi-conducteurs. D’un côté, une dépendance aux Etats-Unis qui font le design des puces, avec des acteurs comme Intel, Micron, Nvydia et AMD. De l’autre, une dépendance à l’Asie où l’essentiel de la fabrication s’effectue, à Taïwan avec TSMC, mais aussi en Corée, avec des leaders comme Samsung et SK Hynix, et, de plus en plus, en Chine.
L’Union européenne dépend de Taïwan pour plus de la moitié de ses besoins, a souligné M. Breton. D’où un risque économique majeur, par exemple si un conflit militaire survenait avec la Chine. «Si Taïwan n’était plus en capacité d’exporter, quasiment l’ensemble des usines du monde s’arrêteraient en trois semaines», a-t-il mis en garde.