Le protectionnisme avant et après Trump

Présélection prix Turgot 2018

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Henri Bourguinat, Editions Dalloz.

Henri Bourguinat, lauréat du Prix Turgot (1995) auteur et professeur d’université (bordeaux4) fondateur du laboratoire de recherches LARE, spécialiste de l’économie et des échanges internationaux.

L'avis du Club de présélection du prix Turgot
Jean-Louis Chambon

Janus joue malicieusement avec le terme de «protectionnisme» et de ses deux visages: une face lumineuse que le grand public vénère (protection de la nature, des populations fragiles etc..) et, une face sombre, celle du paradigme économique «ostracisé» longtemps par l’opinion et le consensus économique. Imperceptiblement, ce ressenti a commencé à se modifier au début du XXIe siècle, puis, les interrogations des économistes, leurs doutes mêmes, se sont fait plus nombreux avec notamment la grande crise de 2008. Les vertus du «doux commerce» cher à Montesquieu et le libre-échange mondialisé ont été contestés non seulement en raison des conséquences désastreuses sociales et sociétales que ces excès pouvaient entrainer mais aussi par une actualité politique débordante. Certes, «ces fruits amers du libre-échange…», les inégalités de plus en plus insupportables malgré le bénéfice général en termes quantitatifs du niveau de vie, posaient question, mais, aussi, la théorie même et ses fondamentaux, interrogeait (coûts comparatifs, marginaux et spécialisations internationales, etc). Enfin en 2016, alors même que la tendance était aux méga-marchés (US-Europe-Asie), intervint le revirement américain, porté par les tweets de Donald Trump, précipitant une forme de guerre de moins en moins froide entre les Etats-Unis et la Chine, avec une tendance marquée à la propagation à l’ensemble de la Planète. Toute la structure du commerce international vacillait, et, ironie de l’histoire, on assiste, médusé, à une forme de renversement des dogmes avec un Empire du milieu qui en appelle à la protection de l’OMC, (la main sur le cœur jurant que par les vertus du libre-échange), tandis que L’ex-hyperpuissance américaine décide que ce jeu de «dupe» est révolu et qu’on ne la reprendra plus aux sirènes du libre échange… Dès lors il y aura d’évidence «un avant et un après TRUMP» dans le commerce mondial. Le professeur Bourguinat, dont on connait les publications qui on fait date sur ces sujets, propose dans ce nouvel essai une analyse particulièrement éclairante sur cette situation nouvelle et complexe du commerce international. D’un côté il pointe du doigt les risques d’une guerre commerciale qui ne ferait que des perdants, et de l’autre, des responsabilités largement partagées; la présidence américaine accusée d’avoir allumé l’incendie, tandis que «... d’autres pusillanimes ou maladroits, n’auraient pas su l’éteindre…» 

En réalité dans cette actualité douloureuse, à l’heure des comptes qui ne manquera pas d’arriver, c’est moins le principe du protectionnisme que sa mise en œuvre (au cours de l’histoire et particulièrement ces derniers temps), de façon inappropriée, belliqueuse et brutale, qui est en cause. La conviction de l’auteur reste que le protectionnisme, et son avatar français «le patriotisme économique», bien circonscrit et maîtrisé, peut apporter sa pierre dans la nécessaire sérénité qu’exigerait la réforme des règles du jeu d’un commerce international aujourd’hui bien fragilisé.

Le plus important dans ce contexte est de prévenir «le grand désordre» et les tensions qui résultent des intérêts des groupes géopolitiques dominants au mépris de l’intérêt général. Tout reste cependant ouvert et rien ne garantit une conversion systématique de l’Amérique au protectionnisme pas plus qu’un ralliement durable de la Chine aux pratiques du libre-échange en renonçant de facto à la surveillance pointilleuse qu’elle porte sur son commerce extérieur (et de son marché intérieur …)

Que peut-on espérer d’une réforme de l’OMC et de la place de l’Europe dans ce nouveau jeu mondial ou les nations, les plus protectionnistes, avançaient masquées, drapées dans l’hypocrisie d’une fausse adhésion au libre-échange, car «pensée à sens unique»? Il reste encore de nombreuses questions en suspens que l’auteur éclaire avec son expérience assez exceptionnelle pour «combiner raisonnablement protectionnisme et échange international» en proposant une «décantation intellectuelle» stimulante.