Le monde à taux zéro - Voyage au bout de l’économie

Prix Turgot 2017

3 minutes de lecture

 Vivien Levy-Garboula, Editions Puf.

L’auteur a été directeur de la stratégie de BNP Paribas. Il est professeur associé à Siences pô et membre du cercle Turgot.

 

L'avis du Club de présélection du prix Turgot
Dominique Chesneau

Keynes présentait les taux zéro comme l’arme de l’euthanasie du rentier. Il n’avait pas envisagé les modèles d’affaires actuels pour lesquels les taux zéro peuvent conduire à la disparition des banques, des assureurs-vie et de certaines sociétés de gestion et à une réorganisation majeure des banques centrales. Face à cela, des Etats surendettés rêvent d’échapper au contraintes en empruntant sans douleur, des entreprises peuvent réinvestir dans des projets, des jeunes vont enfin créer leur entreprise, des épargnants moins jeunes sont forcés de prendre des risques dont ils ne voulaient quand le monde semblait calme; les électeurs sont à la recherche de protection que le marché ne fournit plus car son instabilité est perçue comme anxiogène. Ce livre nous invite à comprendre la transformation en cours, à partir de ce qui est au coeur de nos économies: le prix de l’argent. Et à voyager au bout de notre économie, qui se mue sous nos yeux en monde nouveau. Ce moment d’explication nécessaire nous conduit à un détour par la théorie économique et financière. Après deux parties volontairement basiques, l’auteur nous présente les désordres dans la finance et nous fait part de la transgression que représente cette finance à taux voisins de zéro. Vivien Levy Garboua n’est pas tendre avec le plan Junker qui n’est certes pas un plan d’investissement financé par une nouvelle épargne mais un programme basé sur la mobilisation de poches existantes et le recours à l’effet de levier des banques et des fonds d’investissement. Aussi l’auteur recommande de «changer de pied» et nous livre «les ingrédients d’un nouvel équilibre».Il s’agit d’un réaménagement profond du système de l’épargne règlementée, de l’introduction de prêts immobiliers à taux variable, de la réduction de la liquidité offerte sur l’assurance-vie, de l’introduction de nouveaux produits de retraite, de la priorité donnée au financement des entreprises et du développement de la titrisation des crédits et de la désintermédiation. Nous sommes dans une période où l’avenir fait peur: c’est ce que signifient les taux zéros. Il faut donc réécrire une histoire qu’il faudra vendre aux agents économiques. Cet ouvrage est particulièrement pédagogique et d’aucuns l’utiliseront dans leur cours d’enseignement supérieur! On peut regretter que les recettes presque évidentes mais si difficiles à mettre en oeuvre ne soient pas d’avantage expliquer avec la même précision que les constats, les impacts quantifiés sur les institutions financières. On apprécie néanmoins la dernière phrase du livre: «lorsqu’un problème n’a pas de solution, il faut changer le problème; c’est ainsi que le Petit Poucet doit changer de pied et aller de l’avant plutôt que de chercher le chemin de retour comme on le lui avait appris!».Tout un programme, qui demande une solide pédagogie des agents économiques. Ce livre est un élément nécessaire de cette pédagogie mais pas forcément suffisant.

Jean Louis Chambon Depuis la crise de 2008 les difficultés dans de nombreux pays comme dans la zone euro n’ont pas disparu, justifiant de nouvelles et amples mesures de politique monétaire. La réserve fédérale Américaine et la BCE sont rentrées durablement dans l’application de politiques monétaires non conventionnelles, se traduisant par l’injection de liquidités dans les systèmes financiers. La coexistence prolongée de taux d’intérêts bas et une faible inflation compliquent l’action des banques centrales. Ce niveau actuel, proche de zéro ou négatif, ne constitue pas une rupture soudaine due à la crise mais la continuité d’une évolution baissière entamée au début des années 1980. Or, à la lumière des résultats de ces politiques, la question de leur efficience de la politique monétaire est posée ainsi que celle de l’émergence de nouveaux risques pour la stabilité financière, en particulier du système bancaire. Les politiques monétaires sont rentrées dans une terra incognita qui, sans doute, souligne à la fois leurs limites et la nécessité de traiter le marasme économique, la faible croissance et le surendettement des Etats par d’autres moyens «plus conventionnels». C’est sur ce chemin que la FED vient de s’engager en relevant pour la deuxième fois depuis l’arrivée de Monsieur TRUMP son taux de 0,25, portant le taux directeur dans une fourchette de 0,75 à 1%. Mais la route est encore longue d’autant que l’Europe, de son côté, reste confrontée à une croissance atone et une très faible inflation. L’ouvrage de Vivien LEVY-GARBOUA, grand banquier et auteur de talent, vient à point nommé éclairer «… ce voyage au bout de notre économie…..».Il rappelle que Keynes présentait les «taux zéro» comme l’arme de l’euthanasie du rentier. Mais nous vivons aussi la disparition des banques, celle, plus rapide encore s’ils ne changent pas de modèles, des assureurs-vie, l’instabilité chronique des marchés financiers, la douloureuse mutation des Banques centrales….bref, l’explosion d’un système financier que l’on tente pourtant de reconstruire depuis la crise financière de 2007-2008 à coup de règles et de normes. Et face à cela, des Etats surendettés rêvent d’échapper aux contraintes en empruntant sans douleur, des entreprises peuvent réinvestir dans des projets, des jeunes vont enfin créer leur entreprise, des épargnants moins jeunes sont forcés de prendre des risques dont ils ne voulaient pas quand le monde semblait calme. Ce livre nous invite à comprendre la transformation en cours, à partir de ce qui est au cœur de nos économies: le prix de l’argent et la mutation sous nos yeux en un monde nouveau. Un monde où il ne suffit plus d’inverser la courbe du chômage mais bien de le supprimer. Ce voyage vaut bien un détour par la théorie économique. Tout lecteur avide de comprendre cette «disruption intellectuelle, financière» (et morale!) prendra son billet pour ce «lumineux voyage au bout de la nuit (économique)».