Blockchains & développement durable – Livre blanc

Présélection prix Turgot

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Institut Louis Bachelier et Coreum Consulting.

 

L'avis du Club de présélection du prix Turgot
Jean-Jacques Pluchart

L’Institut Louis Bachelier publie en juin 2020 un livre blanc intitulé «Blockchains & développement durable» (130 pages), qui mérite une attention particulière parmi les nombreux ouvrages et articles consacrés à la blockchain. Le livre blanc présente 200 cas d’usages illustrant les diverses applications de blockchains qui contribuent à la réalisation des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) fixés en 2015 dans le cadre de «l’agenda 2030», par 193 membres de l’ONU. Les ODD visent 169 cibles et font l’objet de 232 indicateurs-clé qui contribuent à la régulation des politiques publiques et de stratégies des grandes entreprises. 

Les auteurs du livre blanc s’efforcent de répondre à la question: comment les blockchains peuvent-elles contribuer à accélérer la réalisation des ODD? Ils visent à montrer comment les 3 générations de blockchains se sont adaptées aux différentes chaînes de création de valeur des principales filières d’activité (commerce, agriculture, énergie, industrie, immobilier, finance). Ils expliquent par quelle ingénierie conjuguant la Business Intelligence (BI), l’Intelligence Artificielle (IA), le big data et l’Internet des Objets (IoT), les blockchains s’imposent de plus en plus comme le «socle de la confiance collective» nécessaire aux progrès social, sociétal et environnemental. Elles s’affirment comme une «nouvelle technologie de consensus» instaurant la confiance entre les parties prenantes d’une même transaction. L’usage de blockchains devrait ainsi rendre transparentdes chaînes de valeur de plus en plus complexes qui encadrent les interactions entre des acteurs de plus en plus nombreux.

Le livre blanc rappelle les fondements techniques des blockchains, fondées sur les mêmes principes: «une base de données distribuée, un réseau pair-à-pair, un mécanisme de consensus». La 1ere génération porte sur le bitcoin, conçu en 2008 par Satochi Nakamoto, qui repose sur un «minage» par une «preuve de travail» et une cryptographie de bloc de données. Avec l’invention du bitcoin, pour la première fois depuis le début de l’informatique, la propriété d’un bien numérique peut être transférée sans être dupliquée ni passer par un registre centralisé. La 2e génération est celle de l’etherum mis au point en 2015 par Vitalik Buterin. Elle permet de créer des contrats autonomes (smart contracts) favorisant la vérification, la transmission et l’application d’accords complexes, consultables en ligne et opposables aux tiers. La 2e génération de blockchain émet des jetons (token) par un processus de cryptographie et de valorisation permettant de rendre liquides presque tous les types d’actifs (devises, crédits carbone, titres de propriété, contrats…). La 3e génération (dite de l’IOTA) porte depuis 2015 sur des crypto-devises régies par des protocoles open source permettant de monétiser des données issues notamment de l’IoT (smartphones), de la tag RFID1, des capteurs et des actionneurs. Son fonctionnement est différent des précédentes générations de blockchains puisqu’il est fondé sur une technologie utilisant le concept de graphe dirigé acyclique (DAG), dont l’infrastructure décentralisée s’appelle le Tangle (entrelacs/enchevêtrement). Alors que les transactions en bitcoins sont regroupées en blocs et validées par des mineurs, les transactions en IOTA sont à la fois indépendantes et reliés entres elles à travers un réseau « entrelacé».

Les projets étudiés dans le livre blanc ont été classés en neuf domaines répondant aux ODD: 1. L’identité numérique; 2. La circulation monétaire; 3. La sécurisation du foncier; 4. L’agriculture durable; 5. L’accès à la santé ; 6. Les énergies renouvelables; 7. La consommation responsable; 8. La traçabilité des matières premières; 9. Le fonctionnement des administrations publiques.

Le livre blanc recense notamment les projets portant sur «l’identité numérique souveraine» (self-sovereign identity), qui vise à sécuriser les transferts de données personnelles. Il expose les recherches développées par l’alliance entre Accenture, Microsoft Mercy Corp et Hyperledger. Il présente les systèmes IRespond, et X-Road, puis recense les applications permettant de prouver une identité, d’authentifier des titres de propriété foncière (projets Bitfury, Ubitquity, Bitlend) et d’organiser un vote (Agora).

Les propriétés des blockchains - en particulier la traçabilité, la transparence et l’enregistrement inviolable des données sur un registre - permettent la mise en place du reporting et le suivi des actions dans le cadre de l’Accord de Paris. Plus d’un millier d’initiatives ont été lancées à l’échelle mondiale afin de gérer les droits d’émission de gaz à effet de serre. Le projet lancé par IBM et l’Iridium Lab Ltd vise à «jetonner» les crédits bas carbone. La coalition «climate chain» créée à Paris en 2017 regroupe 170 membres et s’est fixée pour objectif l’avancement des Distribute Ledger Technologies (DLT) en faveur des solutions accompagnant le changement climatique. D’autres applications devraient contribuer à financer les projets bas carbone par des Initial Coin Offerings (ICO). Les blockchains pourraient également favoriser le traçage de «l’électricité verte» (issue de la biomasse, du solaire et de l’éolien), grâce aux applications de Lition et d’Engie. Elles pourraient aussi organiser «l’autoconsommation collective locale» de l’électricité par des «réseaux microgrids» (projets Brooklyn Microgrid, jetons Solar Coin, Lyon Confluence, Sunchain). Ces projets visent la certification «CDM Gold Standard».

Le commerce responsable implique une traçabilité des produits et des modes de production, ainsi que le raccourcissement des chaînes logistiques. Leur développement donne actuellement lieu à de multiples projets dans les secteurs des matières premières et de l’agriculture (Better Cobalt, Everledger, Agunity, AgriLedger, AltFinlab, Bext360). 

Afin de rendre «l’argent programmable», plusieurs projets visent à mieux contrôler les transferts de fonds (Stellar, Suremit, TEMPO), les investissements à impact social (TREE Token, Sun Exchange), les «monnaies complémentaires», qui flèchent les achats des consommateurs (Impak Finance, Grassroot cooperative, Bancor, Atomic swap), l’inclusion financière des personnes non bancarisées (Humaniq, Arcadia Blockchain Technologies), la collecte philanthropique (AIDChain, Helperbit) et le traçage des collectes alimentaires. Les auteurs du livre blanc s’interrogent également sur la mesure des impacts des investissements basés sur la «tokenisation» et sur la traçabilité des engagements sociétaux des entreprises pris en faveur de la responsabilité sociale et environnementale. Les blockchains deviennent ainsi des «briques de confiance» dans le financement participatif de projets énergétiques innovants par des plates-formes de crowdfunding ou de crowdlending, comme Enerfip, Lendosphère ou Lumo. 

Les auteurs s’efforcent également de montrer l’intérêt de la blockchain dans l’intégration des ODD dès la conception du produit ou du service (Développement durable by design) et dans la construction du business model de l’entreprise (conformément au modèle de Venkatramen)2.

Les auteurs s’appuient sur une abondante documentation universitaire et professionnelle. Ils analysent de nombreuses micro-expériences et posent les principales questions soulevées par l’apport des blockchains à la responsabilisation sociale et environnementale des entreprises. Ils sont enseignants-chercheurs (J-A-F. Schlumberger et P. Geoffin) et consultants (S. Voison et P. Campsavoir). 

1 la RFID désigne une méthode d’identification de données à distance incorporés, sous la forme de tag, dans des objets ou des produits.
2 Voir J-J. Pluchart, les nouveaux systèmes de pilotage des entreprises, Eds Eska.