Une déconvenue basée sur un malentendu

Salima Barragan

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Mabrouk Chetouane de Natixis IM: un durcissement de la Fed constitue aujourd’hui le scénario le plus plausible.

L’embellie des indices boursiers américains depuis le début de l’année est menée par deux hypothèses : les grandes économies échapperont vraisemblablement à la récession et la Réserve fédérale devrait mettre fin à son cycle restrictif d’ici la fin du mois de décembre. Cependant, la vigueur du marché du travail vient jouer les trouble-fêtes en incitant la Fed à poursuivre ses hausses de taux au-delà des attentes. Un scénario largement sous-estimé jusqu’aujourd’hui selon Mabrouk Chetouane, directeur de la stratégie de marché chez Natixis IM. Entretien.

Quelle pourrait-être la prochaine surprise de marché?

Les détracteurs de la Réserve fédérale qui avaient abondamment critiqué la possibilité d’un soft landing, tout comme ceux qui estimaient que la Fed avait commis des erreurs de politique monétaire sont aujourd’hui mis en défaut. Bien qu’ayant sous-estimé les forces inflationnistes, la Fed n’a jamais dévié de son objectif et son message est resté cohérent tout au long de cette phase de remontée des taux. In fine, sa politique monétaire continue de se durcir pour faire face à une économie américaine qui ne ralentit que modestement, ce qui m’amène à penser que nous pourrions nous diriger vers une surprise monétaire et davantage de volatilité sur les marchés obligataires notamment.

Les investisseurs anticipent un ajustement du taux des fonds fédéraux d’ici la fin de l’année. Or, le comité de la Fed n’envisage pas à ce stade de baisser les taux directeurs, sauf si un choc exogène majeur devait se produire. James Bullard- un membre non-votant – a également indiqué, courant février, ne pas exclure des hausses d’une amplitude de 50 points de base.

Quel sera l’élément clé du second semestre?

La question de la durée du «plateau monétaire» va dominer le second semestre. Se situera-t-il entre 5 et 5,50% – comme indiqué par les anticipations des membres du FOMC (dot plot) de la Fed – ou au-delà de cette fourchette? Ce second scénario induirait alors un durcissement plus long qu’anticipé par le marché et constitue en soi une surprise négative. Ce scénario affecterait les conditions financières, la volatilité des marchés financiers, le cycle économique et, in fine, les actifs risqués.

Compte tenu des pressions inflationnistes et de la trajectoire de l’inflation sous-jacente, la BCE n’avait d’autres possibilités que de monter ses taux.
Dans ce contexte, est-ce le bon moment d’investir dans le segment obligataire américain?

L’essentiel du mouvement haussier des taux est derrière nous. Nous ne reverrons plus les mêmes amplitudes et variations de l’an dernier lorsque les taux ont augmenté de 425 points de base en l’espace de quelques mois. Nous sommes rentrées dans une année de normalisation de la politique favorable aux stratégies de portage. La décélération attendue des économies va exercer une pression baissière sur les taux longs. Les stratégies de reprise de duration seront opportunes en seconde partie d’année, lorsque les banques centrales indiqueront vouloir mettre un terme à la remontée des taux une fois le resserrement achevé. La partie courte de la courbe devrait également s’ajuster dans le courant de l’année, lorsque la Fed annoncera la fin du resserrement.

Du côté de l’Europe, quel est votre regard sur la politique de la BCE?

La position résolument «hawkish» prise par BCE en décembre dernier traduisait son inconfort et son mécontentement. Lagarde a opté pour des remontées franches et significatives, préannonçant mêmes les décisions de la BCE pour les 3 prochains mois. Compte tenu des pressions inflationnistes et de la trajectoire de l’inflation sous-jacente, la BCE n’avait d’autres possibilités que de monter ses taux. Par ailleurs, la crise énergétique attendue pour cet hiver ne s’est pas produite. La diversification des sources d’approvisionnement et la baisse de la consommation permettent d’envisager des réserves européennes suffisantes pour couvrir les besoins énergétiques de la prochaine saison froide. Nous avons ainsi davantage d’activité, d’inflation et une banque centrale qui se voit conforter dans ses décisions de politique monétaire, à condition que les perspectives de croissance des prix ne s’emballent pas. Le taux terminal de la BCE devrait atteindre 4% d’ici le second trimestre.

La BCE pourrait-elle bientôt abandonner le marché obligataire?

La banque centrale a pris la décision de réduire la taille de bilan à travers la mise en place d’un resserrement quantitative d’une taille de 15 milliards d’euros. Ce montant sera probablement révisé d’ici le second semestre. Le plan de réinvestissement des retombés obligataires pour 2023 atteindra 350 milliards d’euros, hors programme PEPP lancé lors de la pandémie pour racheter de la dette souveraine. Ces craintes sont donc infondées à mon sens; le marché obligataire ne sera pas orphelin de la BCE.

Quelles sont vos principales convictions obligataires?

L’Investment Grade continue de faire preuve de solidité notamment en Europe. Les spreads de crédit restent contenus en phase avec une croissance résiliente. La dette d’entreprise de qualité constitue le segment à privilégier. Il me semble qu’il est encore trop tôt pour entrer sur le marché de dette dite à haut rendement qui demeure tributaire des conditions financières et donc de la politique monétaire, mais aussi des taux de défaut qui devraient s’ajuster mécaniquement à la hausse en raison d’un ralentissement économique à venir. Nous attendons la normalisation des taux à la hausse avant d’investir sur ce segment.

Maintenant que la Suisse a perdu son régime de taux négatif, retournez-vous sur son marché obligataire?

Pas encore. Nous pouvons d’ailleurs établir un parallèle avec la situation européenne. La partie courte de courbe constitue encore une zone dangereuse à ne pas jouer – autant en Europe qu’en Suisse –, en raison du durcissement de la BNS, bien que le taux d’inflation en Suisse soit moindre que dans la zone euro.

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