Les marchés pourraient parier contre la Fed

Mabrouk Chetouane, Natixis IM

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La banque centrale reste persuadée que les taux directeurs devraient passer en territoire «modérément» restrictif.

La Réserve fédérale n’a pas surpris et a relevé sa fourchette cible pour le taux des fonds fédéraux de 75 points de base pour la porter à 2,25%-2,5%. L’inflation élevée faisant office de déclencheur et demeurant sa principale préoccupation. Si la vigueur du marché du travail a permis de garder un ton globalement hawkish lors de la conférence de presse, le ralentissement de la dynamique économique a toutefois été noté. En attendant la réunion cruciale du FOMC de septembre, au cours de laquelle la Fed pourrait décider de freiner les hausses de taux, voici quelques observations à garder à l’esprit pour les huit prochaines semaines.

Plus proche de l’estimation du taux neutre par la Fed

La deuxième hausse consécutive de 75 points de base qui a eu lieu lors de la réunion de la semaine dernière a rapproché le taux directeur du taux neutre de l’économie américaine estimé par les banques centrales. Un taux qui n’est pas observable mais qui se situe dans une fourchette de 2,5% à 2,75%. De fait, la politique monétaire américaine demeure accommodante par rapport à ce taux neutre. Le président de la Fed, Jerome Powell, a toutefois reconnu que les perspectives de croissance se détérioraient, citant le ralentissement des dépenses des consommateurs et des entreprises. Toutefois, il a déclaré que la Fed souhaiterait constater quelques mois d’atténuation des pressions inflationnistes avant de ralentir le resserrement de sa politique. Ainsi, de nouvelles hausses de taux lors des prochaines réunions pourraient avoir lieu au vu de la tension perdurant sur le marché du travail, qui contribue à soutenir les pressions sur les prix. Dans l’ensemble, le FOMC continue de privilégier l’inflation à la croissance, notamment suite aux déclarations de Jerome Powell minimisant la décélération de l’activité. Pour rappel, dans le dernier résumé des projections économiques (SEP) publié en juin, la projection médiane des participants au FOMC pour le taux des fonds fédéraux était de 3,4% et 3,8% pour 2022 et 2023, respectivement. Cela signifie qu’il y a seulement six semaines, les décideurs pensaient que le taux directeur devrait dépasser d’environ 90 points de base son niveau neutre pour passer en territoire restrictif afin de pouvoir stabiliser les prix. Dans cette optique, Jerome Powell s’est dit convaincu que la demande continuerait d’être supérieure à l’offre et que les taux directeurs devraient passer au moins en territoire «modérément» restrictif.

Compte tenu des preuves de plus en plus nombreuses du ralentissement de la croissance économique et de la persistance probable de la Fed à s’attaquer à l’inflation, les marchés anticipent de plus en plus une récession.
Vers une orientation prospective plus faible

L’abandon de l’orientation prospective semble être la «nouvelle normalité». En effet, après que la BCE l’a fait lors de sa dernière réunion de politique monétaire, le président Powell a annoncé que la Fed ne fournira plus d’orientation prospective claire sur les hausses de taux à venir et qu’elle adoptera plutôt une approche réunion par réunion. De la même manière que pour la BCE, cette démarche s’explique probablement par le caractère atypique du cycle économique que nous connaissons. Depuis mars 2020, la volatilité du cycle économique est restée historiquement élevée, ce qui a accru la dépendance des banques centrales vis-à-vis des données économiques entrantes. Jerome Powell a déclaré qu’après avoir procédé à des hausses de taux en début de période, le FOMC doit évaluer les décisions relatives aux taux d’intérêt avec un plus grand degré de flexibilité. Pour cela, il faut d’abord éviter d’être conditionné par des mouvements déjà annoncés et adopter progressivement un mode plus «attentif aux données». Toutefois, Jerome Powell a donné un aperçu de la façon dont le FOMC pourrait commencer à penser à l’avenir. Il a mentionné qu’un «ralentissement» des hausses serait approprié «à un moment donné», ce qui, bien que très vague, semble légèrement plus dovish. En fait, cela a déclenché un rallye généralisé. Néanmoins, en fonction des données entrantes, «une autre hausse exceptionnellement importante» reste une option possible pour septembre. En fin de compte, si cette nouvelle position semble être une bonne stratégie, elle augmente l’incertitude générale et, par conséquent, la volatilité. Les données économiques publiées jusqu’au 21 septembre seront d’une importance remarquable pour évaluer ce que la Fed pourrait faire.

Ce à quoi il faut s’attendre à l’automne

Deux autres rapports sur l’indice des prix à la consommation et sur l’emploi seront publiés avant la prochaine réunion du FOMC en septembre et il convient de garder à l’esprit que ces deux rapports n’ont de cesse de surprendre à la hausse ces derniers temps. En outre, le 2022 Economic Policy Symposium à Jackson Hole (25-27 août) est généralement utilisé par les décideurs comme un événement intermédiaire important pour guider les attentes du marché.

Compte tenu des preuves de plus en plus nombreuses du ralentissement de la croissance économique et de la persistance probable de la Fed à s’attaquer à l’inflation, les marchés anticipent de plus en plus une récession. En fait, une baisse importante des prévisions de hausse des taux est déjà visible ces dernières semaines. En d’autres termes, nous avons vu les actifs de longue durée surperformer les actifs de courte durée, y compris les titres de qualité supérieure par rapport aux titres à haut rendement.

Quoi qu’il en soit, les marchés sont susceptibles de parier contre des hausses de taux aussi importantes et, par conséquent, de parier contre la Fed. La courbe des taux devrait continuer à s’inverser, car la partie longue continue de prendre en compte le ralentissement de l’activité économique, et la volatilité sur le marché des titres à revenu fixe devrait rester élevée, voire augmenter, au cours des prochains mois. Depuis juin, la Fed a laissé arriver à échéance un maximum de 47,5 milliards de dollars d’obligations du Trésor et de titres adossés à des créances hypothécaires par mois dans le cadre de son processus de resserrement quantitatif (QT). En septembre, la Fed devrait augmenter ce rythme pour atteindre un maximum de 95 milliards de dollars par mois, soit environ 1000 milliards de dollars par an. Cela représenterait presque le double du montant que lors de la première tentative de QT de la Fed entre 2017 et 2019.

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