Une approche plus différenciée est souhaitable

Yves Hulmann

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Pour Thomas Meier, gérant chez MainFirst, une grande partie des nouvelles négatives sont désormais déjà intégrées dans les cours.

Après avoir constamment dégringolé jusqu’à la mi-juin, les marchés d’actions se sont nettement ressaisis tout au long du mois de juillet. Que faut-il penser de ce rebond et à quels aspects faut-il être attentif en particulier en vue de la suite du deuxième semestre? Le point avec Thomas Meier, gérant de portefeuille spécialisé dans les actions européennes et les valeurs qui offrent des dividendes attrayants chez MainFirst.

En juillet, ainsi qu'au début du mois d'août, on a assisté à une forte reprise des marchés boursiers. Comment analysez-vous cette évolution?

Les marchés boursiers ont connu un rebond ces dernières semaines, car les acteurs du marché estiment que le pic d'inflation ne sera atteint que dans les prochains mois. On constate également un net ralentissement des prix de nombreuses matières premières. En combinaison avec le ralentissement de la dynamique économique, les acteurs du marché s'attendent à des impulsions inflationnistes plus faibles, ce qui devrait inciter les banques centrales à agir de manière plus réfléchie dans le cadre du resserrement monétaire. A cela s'ajoute la saison actuelle de publication des rapports d’activité. Les entreprises font certes état des répercussions du ralentissement économique, mais sur le plan fondamental, on n'observe pas de recul significatif.

«Nous observons une saison des résultats robuste des deux côtés de l'Atlantique.»
Quelles conclusions tirez-vous jusqu’à présent de la saison des résultats pour les chiffres publiés à fin juin de manière générale?

Nous observons une saison des résultats robuste des deux côtés de l'Atlantique. Aux Etats-Unis, les deux tiers des sociétés ont dépassé leurs prévisions de chiffre d'affaires et les trois quarts leurs estimations de bénéfices. En Europe, les trois quarts des entreprises ont dépassé leurs prévisions de chiffre d'affaires, mais seulement la moitié leurs estimations de bénéfices. Les entreprises européennes semblent répercuter l'augmentation de leurs coûts sur les clients finaux, mais pas dans la mesure qui serait nécessaire pour maintenir les marges. Cela est principalement dû aux coûts élevés de l'énergie résultant de la guerre en Ukraine.

A quels aspects faut-il être particulièrement attentif lorsque l’on analyse ou sélectionne des entreprises dans le contexte actuel?

Le fait de disposer d’un pouvoir de fixation des prix et la capacité d’une entreprise à pouvoir répercuter à ses clients les éventuelles hausses des coûts des intrants sont certainement l’un des critères les plus importants à prendre en compte dans le contexte actuel caractérisé par une inflation élevée. Hormis cet aspect, il faut aussi regarder de près s’il y a eu des variations dans la demande des produits ou services d’une entreprise ou si l’on observe des changements dans le comportement de ses clients. Enfin, il faut aussi regarder dans quelle mesure une entreprise est suffisamment flexible pour adapter sa base de coûts.

Dans l’ensemble, j’ai toutefois l’impression que le «cocktail» de nouvelles très négatives qui se sont succédées tout au long du premier semestre a fortement influencé la perception des investisseurs. De mon point de vue, il y a beaucoup de nouvelles négatives qui sont déjà intégrées dans les cours.

Si l’on reprend quelques-uns des éléments que vous avez mentionnés, pourquoi la capacité des entreprises à pouvoir imposer leur prix est-elle si importante actuellement? N’est-ce pas un critère important en tout temps…

Oui, c’est le cas. Toutefois, je n’ai encore jamais vécu une phase comparable à celle que nous vivons actuellement. Plusieurs facteurs se cumulent: les entreprises sont confrontées à un important manque de main d’œuvre et elles doivent verser des salaires plus élevés réclamés par le personnel en raison de l’inflation galopante dans de nombreux pays. Et cela intervient alors que l’économie, dans son ensemble, ne se trouve pas dans une situation de surchauffe, ce qui constitue une différence par rapport à d’autres périodes qui ont précédé des corrections boursières. Par exemple, il n’y a pas eu en 2021 de phase de surchauffe de l’économie comparable à celle du marché de l’immobilier avant la crise financière globale en 2007 ou à celle qui a précédé la bulle des «dotcoms» au début du millénaire. Je ne vois pas de tels excès actuellement. Certes, il y a des problèmes importants comme l’inflation et les interruptions des chaînes de production. En revanche, beaucoup d’entreprises affichent toujours des bilans sains, leurs marges bénéficiaires sont encore élevées. Elles sont souvent «fit» de manière générale et sont aptes à affronter des crises.

«En 2021, les marchés étaient clairement beaucoup trop euphoriques. En 2022, ils ont basculé dans un pessimisme généralisé.»
Cela parle plutôt en faveur de la poursuite du rebond…

On ne peut pas ignorer les nombreuses incertitudes qui persistent, notamment concernant l’approvisionnement énergétique en Europe. L’énergie restera un bien rare ces prochains mois et les entreprises feraient bien de diversifier au mieux leurs sources d’énergie. Malgré tout, les marchés ont déjà intégré une bonne partie de ces incertitudes. Comme le formulait Warren Buffett, «Mister Market» peut être d’humeur changeante. En 2021, les marchés étaient clairement beaucoup trop euphoriques. En 2022, ils ont basculé dans un pessimisme généralisé. Je pense qu’une approche plus différenciée serait souhaitable.

Dans une note aux investisseurs, vous parlez justement d’une liquidation indifférenciée qui permet maintenant aux investisseurs d’acheter désormais des entreprises «hautement compétitives» à un prix attrayant. A quels profils d’entreprises pensez-vous?

Les marchés ne différencient plus vraiment entre des entreprises qui sont de qualité très différente. Aussi bien en Allemagne, en France qu’en Italie, vous trouvez de nombreuses entreprises qui sont sorties renforcées de la crise du COVID – les sociétés les plus compétitives dans leur secteur sont souvent devenues encore plus fortes, les plus agiles d’entre-elles sont encore plus rapides à réagir – et pourtant beaucoup de ces sociétés ont perdu 20, 30, 40% de leur valeur entre janvier et juin, voire davantage.

Y a-t-il de tels exemples d’entreprises en Suisse aussi?

Oui, il y en beaucoup. On trouve en Suisse un grand nombre de PME qui occupent une excellente position dans un domaine de niche donné et qui sont capables de faire preuve de résistance dans un environnement inflationniste. Un certain nombre d’entreprises helvétiques de première qualité ont énormément corrigé en première moitié d’année. Si l’on prend l’exemple d’une moyenne capitalisation qui a publié récemment ses résultats semestriels comme Interroll, l’action de ce spécialiste des équipements de logistique est un exemple typique de ce type de trajectoire. En novembre 2021, le titre Interroll valait plus de 4’800 francs, puis il a chuté ensuite de moitié pour frôler les 2’000 francs à la mi-juin, avant de rebondir quelque peu en juillet. Je ne m’avancerais à formuler un pronostic de cours sur l’action de cette société mais je pense que la valeur correcte du titre doit se situer quelque part entre ces deux extrêmes. C’est un exemple qui montre à quel point «Mister Market» peut connaître des sautes d’humeurs spectaculaires en quelques mois, sans que ces variations ne soient justifiées par un changement fondamental de la valorisation d’une société.

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