Un mini crash sur les marchés actions possible au deuxième semestre 2022

Anne Barrat

4 minutes de lecture

Selon Kevin Thozet, membre du comité d'investissement de Carmignac, les marchés d’actions sous-estiment l’enracinement de l’environnement stagflationniste actuel.

En 2021, les marchés ont eu envie de croire que l’inflation était temporaire, en 2022 ils semblent d’accord pour que les banques centrales la contrôlent. Qu’elle provienne d’un choc d’offre – en Europe – ou de demande – aux États-Unis –, une recette unique: faire grandir les taux d’intérêt, mettre les bilans au régime. Une réponse unanime qui pourrait ne pas ne pas apporter pleinement les effets escomptés prévient Kevin Thozet, membre du comité d'investissement de Carmignac.

Comment vous positionnez-vous par rapport au consensus sur l’évolution des fondamentaux macro-économiques en 2022?

Nous sommes moins optimistes que le consensus aussi bien en termes de croissance économique – et de scénarios économiques pour 2022 – que sur le front de l’inflation, et ce depuis le début de l’année, avant même que n’intervienne la crise russo-ukrainienne. Notre conviction alors, qui a été renforcée par l’invasion du 24 février dernier, était que le ralentissement de la croissance et le le rythme de décrue de l’inflation étaient respectivement sous-estimé et surestimé. Le scénario que nous avons toujours privilégié pour 2022 est celui de la stagflation ou de la slowflation, qui a été confirmé avec l’impact baissier de la crise sur la croissance économique et haussier sur l’inflation, les deux aspects étant indissociables.

Ce décalage avec le consensus concerne-t-il les marchés américains?

la thèse qui semble généralement admise est celle d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine sur la base d’une croissance de 3,3% et d’une inflation en deca de 7% attendue par le consensus. Ce scénario, alors que les États-Unis connaissent une inflation forte et une situation de plein emploi, 11 millions de postes étant encore à pourvoir, pousse la Fed à intervenir agressivement. Elle a relevé de 50 points de base ses taux de dépôt la semaine dernière et s’est engagée sur un programme de réduction de son bilan de 45 milliards de dollars qui deviendront 95 milliards par mois à partir d'août, un resserrement volontaire mais pour autant globalement en ligne avec ce que les marchés attendaient. De nouvelles hausses des taux ont été confirmées, qui ont notamment pour objectifs de brider l’économie américaine en durcissant les conditions financières ou encore l’accès aux crédits immobiliers dans un contexte où les prix de l’immobilier flambent et que la demande de biens mais surtout de services reste élevée, soutenue par la hausse des salaires. Tout se passe aux États-Unis comme si la réponse d’un tour de vis monétaire à une inflation galopante liée à un choc de la demande devait être la solution parfaite. Ce narratif, que les marchés ont intégré, nous paraît omettre deux facteurs qui nous conduisent à douter que cela ne soit effectivement réalisable: d’une part,  si l’inflation a selon nous atteint un niveau proche de son pic – le pétrole a déjà augmenté de 50% en un an et il n’est pas attendu qu’il suive une trajectoire similaire à la hausse comme à la baisse pour les mois à venir - l’inflation «cœur» - hors éléments volatils -devrait être relativement persistante; en effet, la hausse des prix liée à la demande de services, en lien avec la réouverture des économies post–COVID et qui concerne les loisirs, la restauration, l’hôtellerie, les voyages, est largement derrière nous, ce sont donc bien des facteurs plus persistants (salaires, frais de santé, immobilier) qui y contribuent. D’autre part  les salaires réels se sont relativement bien tenus. Pénurie oblige. Mais si le durcissement monétaire était trop fort, cela induirait une baisse de l’effet richesse dont ont largement bénéficié les ménages américains, ce qui pourrait venir remettre en cause leurs velléités de dépenses.

Même si les salaires nominaux sont orientés à la hausse, les salaires réels sont en terrain négatif; il faudra vraisemblablement attendre 2023 pour qu’ils deviennent positifs.

Voilà pourquoi nous envisageons une année compliquée pour les marchés actions américains, qui se négocient encore aujourd’hui à des niveaux de valorisation relativement élevés et pourraient subir une correction plus forte dans le sillage de la remontée des taux longs et des primes de risques avec le risque de provoquer un ralentissement de la croissance plus important. Un mini crash n’est pas à exclure pour les semaines et mois à venir.

Prévoyez-vous un scénario comparable pour les marchés européens?

L’Europe se trouve dans une situation différente de stagflation où l’inflation relève plutôt d’un choc d’offre dont nous sommes loin d’avoir vu la fin. En effet, l’impact de la hausse du prix des matières premières essentielles, énergétiques dans un premier temps – avec un coût supplémentaire de l’ordre de 300 milliards d’euros pour les consommateurs de la zone euro –, puis alimentaires, continuera à peser tant que la crise russo-ukrainienne sera d’actualité, voire au-delà. Or, même si les salaires nominaux sont orientés à la hausse, les salaires réels sont en terrain négatif; il faudra vraisemblablement attendre 2023 pour qu’ils deviennent positifs, si nous devions effectivement assister à des effets de second tour.

Alors que le consensus tablait en début d’année sur une croissance de 4%, revue à la baisse à 3% depuis, nous pensons qu’elle sera au mieux de 2%, avec le risque qu’elle se rapproche dangereusement des 0% en cas de davantage de durcissement des restrictions sur les importations de gaz et de pétrole et d’un éventuel embargo sur le gaz. Même la réponse budgétaire que met en œuvre l’Europe (contrairement aux Etats-Unis qui répondent à la hausse des prix par moins de stimulus), qui prendra principalement la forme d’incitations fiscales et relaiera les réponses jusque-là purement nationales données par les États membres de l’UE, ne devrait pas suffire à endiguer entièrement l’érosion du pouvoir d’achat et de la croissance.

Ce scénario en demi-teinte est-il valable pour la Chine?

La Chine a plus de marge de manœuvre pour pouvoir faire de la relance budgétaire, un outil qu’elle a moins utilisé durant la crise de COVID que d’autres – crise qu’elle a mieux gérée que les États-Unis et l’Europe –  et qu’elle utilisera en combinaison avec une baisse des taux sur le front monétaire. Dès qu’elle sera libérée de sa politique «zéro COVID», qui met en suspens toutes les mesures additionnelles de soutien à l’économie, il y a fort à parier qu’elle accélèrera le déploiement des stimuli, via le financement d’infrastructures par les gouvernements locaux mais aussi en aidant les consommateurs et les PME. Elle devra en faire plus, et ce, afin d’atteindre les 5,5% de croissance qu’elle s’est fixée pour 2022.

Comment se traduit votre approche macro-économique en termes d’investissement?

Par une sous-exposition aux marchés actions en général et aux marchés américains en particulier. Nous étions déjà sous-pondérés en actions américaines au début de l’année. En effet, les marges bénéficiaires de ces dernières sont sur des niveaux records et ne peuvent que pâtir de l’érosion des marges des entreprises sous le double impact négatif de l’augmentation des coûts salariaux et des matières premières. Dans ce contexte nous privilégions les secteurs/valeurs défensives et celles offrant une bonne visibilité sur leur trajectoire de résultats. Notre exposition aux marchés actions globaux est néanmoins dynamisée en jouant la carte des thématiques axées sur la réouverture post-COVID allant de l’aéronautique – Airbus ou Ryanair – à la restauration collective – Sodexo ou Compass – en passant par les loisirs – parcs à thème. Quant à notre exposition aux marchés d’actions européens, elle est également limitée par exemple dans notre fonds Carmignac Portfolio Patrimoine Europe, l’exposition nette aux actions est de 10% et nous avons renforcé nos valeurs défensives, notamment dans le secteur de la santé. Par exemple avec la société suisse Straumann spécialisée en implants dentaires qui bénéficie d’une grande visibilité en termes de croissance embarquée pour les années futures.

S’agissant du crédit, nous continuons de privilégier le risque spécifique au risque systématique. Et nous privilégions le crédit structuré, les CLO notamment. Ces instruments à  taux variables adossés à des prêts de bonne qualité offrent un coussin contre la remontée des taux d’intérêt et des taux de défaut. Sur les marchés de taux, après avoir boudé les taux courts américains au profit des taux longs, nous sommes aujourd’hui plus positifs sur les parties courtes des courbes de taux et moins sur les maturités à 10 ans et plus, afin de tirer parti des incertitudes sur le front de l’inflation et du «quantitative tightening» – dans le sillage de sa politique de remontée des taux, la Fed va également réduire la taille de son bilan (en réinvestissant et possiblement revendant les instruments qu’elle a acheté par le passé). Les marchés émergents présentent de belles opportunités, la Hongrie par exemple, sur les parties courtes des courbes de taux, sur lesquelles nous sommes exposées.

Du côté des devises, nous sommes exposés au dollar. Le différentiel entre les taux courts américains et de la zone euro perdurera, car, même si la BCE ne devrait pas passer pas son tour et bien remonter ses taux, il faudra attendre l’été 2022 pour qu’elle annonce l’arrêt de son programme de rachat et sa remontée effective des taux.  

In fine, nous conservons une part importante en cash, de l’ordre de 25%, qui garantissent notre réactivité à un mini crash probable.

A lire aussi...