Soutenir l’économie locale

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Une solution de private equity qui s’engage à investir pour au moins 70% dans des entreprises suisses. Entretien avec Flexstone Partners.

Eric Deram et David Arcauz, associés de Flexstone Partners.

Il a fréquemment été reproché aux investisseurs institutionnels suisses – et plus particulièrement aux caisses de pension – de ne pas investir suffisamment dans l’économie locale. En matière de financement direct des entreprises non cotées, s’y ajoute la problématique d’un nombre restreint de gérants suisses de private equity. «Pour investir dans le private equity en Suisse, nous devons souvent nous adresser à des managers étrangers dont une partie du portefeuille est composée d’entreprises suisses de manière opportuniste» nous disait déjà Eric Deram l’an dernier. En bref, les institutions de prévoyance suisses s’engagent peu dans les sociétés non cotées car elles ont du mal à s’appuyer sur une expertise locale dédiée au segment. Cette époque semble désormais révolue. Soutenu par le Centre Patronal et la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève, Flexstone Partners, société affiliée de Natixis Investment Managers, vient de lancer le programme Swiss Select Opportunities destiné à soutenir l’économie locale, en particulier les entreprises en croissance basées en Suisse. Entretien avec Eric Deram et David Arcauz, deux des six associés de Flexstone Partners.

La prévoyance suisse a mille milliards de francs à placer. Pourquoi si peu d’investissement direct dans l’économie locale?

Ce n’est pas faute d’intérêt de la part des investisseurs institutionnels. Mais le marché suisse n’est pas assez profond. Il y a assez peu de start-up et les sociétés familiales sont souvent réticentes à laisser des «étrangers» entrer à leur capital. Et surtout, comme nous l’évoquions dans une précédente conversation, il existe encore peu de gérants de qualité. Historiquement, les caisses de pension ont perdu beaucoup d’argent confié à des «apprentis-sorciers» et ont ainsi perdu confiance.  En bref, l’offre est faible ce qui impose une présence européenne.

«Peu d’entrepreneurs cherchent à créer des start-up
lorsqu’on compare avec nos voisins français ou allemands.»
Peu de start-up? On dit pourtant que la Suisse est fertile en entreprises innovatrices.

Nous constatons plutôt une aversion au risque. Peu d’entrepreneurs cherchent à créer des start-up lorsqu’on compare avec nos voisins français ou allemands. Auquel il faut ajouter une structure fiscale et juridique peu favorable - impôt sur les stock-options, fiscalisation des gains en capital - et un prix des véhicules financiers indigènes élevé. Dans ce domaine, la Suisse est trois fois plus chère que la France ou le Luxembourg. Pour finir, disons aussi que l’Etat ne montre aucune volonté de participer aux financements. Sauf exception, il refuse même de donner une garantie. Dès qu’un besoin se manifeste, l’argent doit souvent provenir de l’étranger.

Quelle est la nature de votre partenariat avec le Centre Patronal et la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève?

Ces deux institutions apportent les fonds de départ - seed money – dont Flexstone Partners assure la gestion fiduciaire. Elles ont toutes deux un représentant au comité consultatif du programme et un droit de regard mais pas de droit de décision car elles n’y sont pas autorisées réglementairement. Le partenariat est fondé sur une notion de club, de partage du deal flow. Ces établissements sont ainsi plus près de l’action: ils peuvent apporter des contacts, rendre visite aux start-up. Ils ont aussi délégué des ressources pour appuyer la réalisation du programme. Notez que nous attendons l’arrivée d’une troisième institution ce qui nous permettra de finaliser le comité consultatif.

Comment fonctionne votre nouveau produit?

Ce n’est pas un produit mais un programme et même une solution dont l’engagement est d’investir au moins 70% des capitaux qu’elle recueille dans des entreprises suisses, en direct ou indirectement. La moitié des capitaux du programme sont (ou seront) investis chez des managers de Private Equity suisse tel Wingman ou dans des fonds paneuropéens de capital croissance avec un bureau et une activité en Suisse. Nous analysons deux autres opportunités à l’heure actuelle, un à Genève et un à Zurich. La volonté est de diversifier à 6 ou 7 managers dans les prochaines années. L’autre moitié des placements sera investie directement dans des sociétés suisses, en partenariat avec les managers de PE précités. Un premier closing vient de se faire, dans une société technologique de croissance lémanique qui nous a été présentée par le Centre Patronal. Nous entendons placer des tickets de 5 à 7 millions auprès des managers et de l’ordre de 3 à 5 millions dans les sociétés en direct.

«Les cibles sont des sociétés technologiques de croissance
dont le business est prouvé et qui n’affichent pas de dette.»
Quel est le type de société ciblé pour l’investissement?

Des sociétés technologiques de croissance dont le business est prouvé et qui n’affichent pas de dette. Avec, au départ, une concentration sur la Suisse romande. Nous serons associés minoritaires en accompagnement des managers de venture capital que nous évoquions plus tôt, en co-investissant lors des 3e ou 4e tours de financement. Notez bien que nous ne financerons pas l’amorçage et ne prendrons pas de risques technologiques mais plutôt un risque commercial en soutien du développement de l’entreprise.

En quoi estimez-vous que votre solution fait une différence?

En premier lieu, par un engagement à placer au moins 70% des capitaux dans des entreprises suisses. Ensuite par une grande diversification des placements: nous entendons investir sur 70 à 75 sociétés au total (y compris les sous-jacents de nos managers). Ces deux engagements sont possibles grâce à la stratégie d’investissement innovante de Swiss Select Opportunities qui est d’investir à la fois dans des fonds et directement dans des sociétés suisses non cotées. Mentionnons également la taille raisonnable du fonds ainsi que notre expérience de gestion des portefeuilles d’investissement en private equity en Suisse depuis 2005. Enfin, grâce à un «total expense ratio» plus bas, de 2-2,5% au lieu des 4% habituels. Notez à ce propos que nous facturons sur la VNI et non sur le commitment et que nous ne chargerons pas de commission de surperformance car le TER en Private Equity reste un enjeu important pour nos partenaires.

Quelle est la taille visée pour ce programme?

La cible est de 75 millions avec un maximum de 100 millions. C’est-à-dire qu’il sera proportionnel à la taille du marché selon notre analyse.

Comment se portent vos portefeuilles existants?

Comme pour la plupart des classes d’actif, les portefeuilles de private equity - dont les nôtres - ont souffert au premier trimestre. Néanmoins, grâce à l’action proactive de nos gérants, au 30 septembre nous avions rattrapé l’essentiel des baisses de valorisation constatées au 31 mars. Au troisième trimestre nous avons constaté un fort rebond mais nous restons très prudents car les six prochains mois pourraient être compliqués avec la deuxième vague de la crise sanitaire et les confinements qui se multiplient.

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