Seilern, l’iconoclaste de la finance

Anne Barrat

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«La diversification? Trop souvent un alibi pour un manque de conviction et une politique de l’autruche». Avec Peter Seilern, Chairman de Seilern Investment Management Ltd.

«Quality growth» est la devise de Peter Seilern. Cet Autrichien polyglotte est aussi un grand iconoclaste qui assume pleinement ses choix: la qualité avant la diversité. Ce qui lui réussit bien puisque la boutique londonienne qu’il a créée en 1989, Seilern Investments Ltd., gère aujourd’hui environ 3,3 milliards d’actifs de francs sur la base d’une stratégie concentrée sur des actions de croissance européennes et américaines. Un pied de nez à une gestion d’actifs qui met souvent en avant la diversification comme facteur, voire impératif catégorique, de performance ajustée au risque. Une trajectoire originale que Peter Seilern a expliquée dans un livre publié en octobre 2019, Only the Best Will Do, et sur laquelle il revient dans cet entretien.

Vous avez fondé Seilern Investment Management Ltd. pour pouvoir mettre en œuvre une approche d’investissement de croissance de qualité (quality growth) telle que vous l’entendiez. N’était-ce pas un pari risqué en 1989?

Avant de fonder Seilern Investment Ltd. en 1989, je travaillais dans une société de gestion financière spécialisée dans les hedge funds à Genève. Le principal risque à l’époque où le rideau de fer divisait toujours l’Europe était de ne pas percevoir le passage d’une économie mondiale principalement industrielle à une économie fondée sur le savoir. Ce risque, nous l’avons géré en créant une structure à Londres, au cœur de laquelle a été mise en place une équipe de recherche solide, composée d’analystes financiers et de gérants de la même génération, c’est-à-dire jeunes, à même de repérer les entreprises susceptibles de livrer une croissance de grande qualité sur le long terme. Depuis lors, le défi est resté entier de faire vivre ce parti pris de la jeunesse et de renouveler nos équipes au fur et à mesure des développements que nous avons vécus et continuons de vivre, jusqu’à aujourd’hui.

Le pari que nous avons pris était risqué en 1989, il le reste aujourd’hui sous forme d’un double défi: celui de trouver des clients qui comprennent cette approche différente du consensus, pour laquelle la clé du dilemme entre risque et rendement est dans la qualité, celui de mobiliser des équipes toujours à la pointe des évolutions, adaptables, agiles. Garder le cap de la «quality growth» continue à mes yeux d’être la meilleure solution pour gérer ces défis.

La dilution est une stratégie faible. Limiter la prise de risque tout en ouvrant grand les portes de la performance ne va pas se soi, tant s’en faut.
En quoi est-elle différente d’autres stratégies «growth»?

Une stratégie de croissance n’a pas forcément pour objectif une croissance de qualité. Pour que ce soit le cas, des critères fondamentaux doivent être réunis, que nous avons intégrés dans nos dix règles d’or: un modèle économique évolutif; une croissance sectorielle supérieures; un leadership continu dans le secteur d’activité; un ou des avantages concurrentiels durables; une croissance organique forte; une grande diversité de marchés, et une diversification de zones géographiques et de clients; de faibles besoins en capitaux et un rendement des capitaux investis élevés; une situation financière solide; des comptes transparents; un management et une gouvernance exceptionnels. Les entreprises dans lesquelles nous investissons doivent répondre à chacune de ces règles d’or: il ne s’agit pas de faire une moyenne des notes, qu’une force ici compense une faiblesse là. C’est du 100%. Une exigence de qualité qui à la fois nous caractérise et nous différencie de nombreux concurrents qui se proclament gérants de «quality growth» mais sont loin de respecter ces règles d’or. A la place ils se contentent de multiplier les lignes des fonds – 50, 100, 150 positions – pour rassurer les investisseurs, comme si la quantité les mettait à l’abri du ou des risques.

La diversification est pourtant largement vantée non seulement comme couverture contre les risques mais aussi comme catalyseur de performance d’un portefeuille, n’est-ce pas le cas?

Pour ceux qui renoncent à l’exigence de qualité, oui. La qualité est le meilleur rempart contre le risque. Et non la diversification, qui peut in fine être un voile sur l’absence de qualité. Nombreux sont les observateurs, les clients, les professionnels de la gestion, dans un cercle auto-entretenue, qui pensent que diversifier un portefeuille réduit le risque. Nous pensons exactement le contraire: diversifier les lignes, c’est exposer le portefeuille à davantage d’aléas, alors que plus un portefeuille est concentré sur des lignes de qualité, moins il est risqué. L’erreur fondamentale est de vouloir diluer le risque, mieux vaut en prendre le moins possible. Sans compter que diluer le risque implique également de diluer la performance. La dilution est une stratégie faible. Limiter la prise de risque tout en ouvrant grand les portes de la performance ne va pas se soi, tant s’en faut.

Comment vos dix règles d’or se traduisent-elles dans votre gestion?

L’exigence de qualité, bien sûr et avant tout. Encore et toujours parce que ne retenir que les meilleures entreprises mondiales, grâce à notre approche d’«entreprise pickers», permet de réduire le risque et d’augmenter la performance ajustée au risque. La concentration ensuite. Chacun de nos trois fonds global – Seilern World Growth, Seilern Europa, Seilern America – compte entre 17 et 25 positions. L’engagement par ailleurs. Concentration – nos positions variant entre 3% et 8 à 9% – et incitations des régulateurs en matière de standards ESG nous poussent à être des actionnaires de plus en plus impliqués. La vision long terme enfin. La détention moyenne de nos positions est d’au moins cinq ans et tend vers les 10 ans; le turn over est quant à lui très faible, entre 10 et20% par an en moyenne. Nos stratégies d’investissement s’inscrivent dans le temps, investisseurs pressés, s’abstenir.

Quel que soit le scénario final, 2022 sera incontestablement l’année des taux.
Comment ces règles influent-elles vos processus et univers d’investissement?

Nos règles d’or impliquent un univers d’investissement restreint: peu nombreuses sont celles des 58’000 sociétés cotées qui les respectent les 10. Concrètement, nos gérants visent environ 50 à 70 sociétés, toutes de l’OCDE, européennes ou américaines, pour construire les portefeuilles. Ils sont donc constamment à la recherche de nouvelles idées d’investissement conformes aux dix règles d’or. La sélection d’une seule entreprise peut prendre entre six et neuf mois, le temps pour les analystes d’acquérir une connaissance de fond en comble d’une entreprise avant qu’ils ne la proposent. Cette discipline de fer est la clé de notre performance.

En parlant de performance, votre approche vous a-t-elle réussi?

Nos fonds ont en effet surperformé leurs indices de référence depuis dix ans et plus, attirant toujours davantage d’investisseurs institutionnels. Lesquels sont également séduits par notre offre restée simple ¬ trois fonds et deux versions Ucits de ces fonds–, et par l’accueil que nous leur réservons systématiquement dans leur langue: nos présentations sont toujours faites dans la langue de notre clientèle internationale par un analyste ou un gérant dont c’est la langue.

Comment voyez-vous 2022 pour votre approche d’investissement?

2022 présente un calendrier plus difficile pour les marchés que 2021 et 2020. Les banques centrales, des plus petites aux plus grandes, ont déjà commencé à exercer une pression haussière sur les taux, d’abord en diminuant leur politique de quantitative easing, puis en augmentant leurs taux directeurs. Et ce qu’est que le début. L’impact sur les bourses de ces mesures sera majeur, dont l’ampleur dépendant de l’intensité et de la durée de cette tendance haussière. Combien de temps et jusqu’où, les paris sont ouverts. Quel que soit le scénario final, 2022 sera incontestablement l’année des taux. Quel impact sur des actions des croissance de qualité? Modéré et temporaire. Parce que les entreprises qui répondent à nos dix règles d’or ne sont pas ou très peu endettées, peu susceptibles donc de souffrir de la hausse des taux sur leur profitabilité et sur leurs marges.