Saluons le retour du portefeuille équilibré

Nicolette de Joncaire

4 minutes de lecture

Dans un environnement plus incertain, plus volatile, les actifs à revenu fixe permettent de stabiliser les portefeuilles. Entretien avec Christel Rendu de Lint de Vontobel.

L’inflation est là pour rester. Pas au niveau actuel mais à 2% ou 3% vraisemblablement. Nous ne sommes plus dans les années 70 ou 90, décennies où les indexations salariales étaient quasi mécaniques et où la crédibilité des banques centrales était nettement moindre. Pour ce qui est des allocations, avec l’inflation et le relèvement des taux d’intérêt, 2023 sonne le retour du «revenu» dans les «titres à revenu fixe». Alors que les actifs «sans risque» ne permettaient plus d’équilibrer un portefeuille de façon optimale, la construction de portefeuilles équilibrés redevient possible. «C’est donc aussi le retour de la diversification» exprime sans ambiguïté Christel Rendu de Lint, Deputy head of Investments de Vontobel.

Le pic d’inflation pourrait avoir été atteint. Est-ce votre sentiment? L’inflation restera-t-elle élevée dans le futur avec un modèle économique comparable à celui des années 1970?

Il est encore difficile de savoir précisément où nous en sommes avec l’inflation. Pour ce qui est de l’énergie et des biens manufacturés, l’inflation est en régression mais pour ce qui est des services - aux Etats-Unis en particulier -, il n’est pas clair si le pic d’inflation est d’ores et déjà atteint. Notre anticipation est que ce pic approche, dans la mesure où les banques centrales s’efforcent de ralentir l’économie à travers un resserrement monétaire. Les hausses de taux ont un impact direct sur la croissance, le marché de l’emploi et ainsi les salaires qui représentent la composante principale des prix des services. Cependant, la politique monétaire agissant avec un effet retardé, il faut rester prudent car il est n’est pas aisé d’anticiper l’inflation sur les deux ou trois prochains mois, mais ce qui a été mis en place par les banques centrales devrait fonctionner. Exception faite, bien évidemment, d’une escalade du conflit en Ukraine … ou d’un nouveau cygne noir. Janet Yellen déclare s’attendre à une décélération de l’inflation, «sauf choc inattendu». Structurellement, l’inflation restera plus élevée qu’elle ne l’a été au cours de la dernière décennie en raison des frictions dans les chaines de production et d’une géopolitique mouvementée - sans oublier l’effet de la transition énergétique. Néanmoins, son niveau sera inférieur à ceux que nous avons observés dernièrement. Les banques centrales ne pourraient le tolérer.

«2023 sonne le retour de l’obligataire avec enfin du ‘revenu’ dans les ‘titres à revenu fixe’».
Un retour à 2%?

Deux pour cent était une limite approximative, un peu arbitraire. La zone de tolérance des banques centrales se situe en-deçà du seuil de la spirale inflationniste où prix et hausses des salaires s’autoalimentent, où les consommateurs achètent aujourd’hui parce demain tout sera plus cher. Ce seuil de tolérance devrait se situer aux environs de 2 à 3% et certainement pas à 8%. Nous ne sommes pas de retour dans les années 70 ou 90, périodes où les indexations salariales étaient quasi mécaniques et où la crédibilité des banques centrales était nettement moindre.

Avec le retour de l’inflation, on parle du retour de l’obligataire. Mais quel obligataire?

Oui, 2023 sonne le retour de l’obligataire avec enfin du «revenu» dans les «titres à revenu fixe». Dans les dernières années, les actifs «sans risque» (obligations d’Etat américaines ou suisses par exemple), ne permettaient plus d’équilibrer un portefeuille de façon optimale. Avec des taux «normalisés», il devient de nouveau attrayant de construire des portefeuilles équilibrés. C’est donc aussi le retour de la diversification. Or, dans un environnement plus incertain, plus volatile, les actifs à revenu fixe permettent de stabiliser les portefeuilles et c’est une excellente chose. Quel obligataire? La correction a été prononcée, ainsi le choix dépend du goût et de la tolérance au risque des investisseurs qui peuvent privilégier la dette émergente (en dollar), la dette Investment Grade ou encore les actifs financiers subordonnés, selon leurs préférences.

Faut-il «sortir du dollar» comme on l’entend parfois?

Attention à ne pas prédire la «fin du dollar». Les Etats-Unis ont de réels atouts économiques à ne pas négliger. Nous verrons encore quantité de corrections cycliques et le pic d’inflation va probablement entraîner une telle correction, mais structurellement, une devise majeure ne perd pas son statut rapidement.

Dans l’univers de l’equity, la tech a perdu de son lustre. Comment orientez-vous votre allocation sectorielle?

Le facteur dominant de la détérioration de la tech a été la remontée des taux d’intérêt mais le secteur a encore de beaux jours devant lui. D’autant que la transition énergétique ne se fera pas sans tech; on pense aux cleantech par exemple. Les points d’entrée dans les énergies renouvelables par rapport aux énergies fossiles sont revenus sur des niveaux attrayants même si, effectivement, la tech est plus sensible aux taux d’intérêt que d’autres secteurs. Notre vision est que, lorsque le cycle est plus compliqué à lire, il faut se tourner vers la qualité, vers des entreprises qui offrent des cashflows forts et résilients, des bilans solides, et un positionnement de leader.

La bataille fait rage autour du portefeuille 60/40. A-t-il encore un sens?

60/40, 70/30: les proportions peuvent varier mais saluons le retour du portefeuille équilibré. Qu’obligations et actions aient bougé en même temps cette année ne signifie pas que la corrélation restera positive.

«Nous sommes témoins d’une ‘sanctionnisation’ croissante mais pas encore de déglobalisation au sens d’une décrue des volumes commerciaux au-delà de l’effet conjoncturel.»
Le monde s’est beaucoup polarisé dans les 5 ou 6 dernières années avec un rééquilibrage des blocs géopolitiques. Allons-nous vers une déglobalisation, une régionalisation ou des modèles encore plus restreints?

Nous sommes effectivement témoins d’une «sanctionnisation» croissante mais pas encore de déglobalisation au sens d’une décrue des volumes commerciaux au-delà de l’effet conjoncturel. La croissance des inégalités sociales au sein des pays et les tensions géopolitiques (dont on ne voit pas la fin) signifient que les économies occidentales essaient de ramener une partie de la production dans des pays alliés. Néanmoins, «friendshoring» ne veut pas dire chute des échanges commerciaux, seul un rapatriement dans une économie propre sonne le glas du commerce extérieur. Le mouvement n’est en tous cas pas encore visible. Sauf peut-être en Asie du Sud-Est où l’on assiste à une forte régionalisation autour de la Chine.

Comment allouez-vous les actifs en fonction des blocs existants ou en formation?

Il y a deux manières de réagir à cette tendance. Nous pouvons soit refuser d’investir dans les zones à risque politique, soit intégrer des facteurs de risque-pays dans les valorisations. Mais les marchés émergents représentant environ 40% du PIB mondial, les exclure me paraît hors de question. Chez Vontobel, nous offrons plusieurs possibilités, stratégies globales ou stratégies régionales, et laissons ainsi à l’investisseur le choix de nous déléguer l’allocation ou de le faire en fonction de ses convictions. Parfois, l’investisseur nous donne des mandats précis dans ce domaine, par exemple sur les marchés émergents ex-Chine.

A ce propos, quelle sera la place de la Chine dans un portefeuille?

C’est un marché dont les risques politiques et économiques sont devenus plus visibles au cours des derniers 18 mois. Cependant, la Chine reste une puissance économique qui offre et offrira indéniablement des opportunités mais dont les risques doivent être correctement évalués et pris en compte.

Quelles sont les convictions et la méthodologie de Vontobel en matière d’ESG et d’impact?

Nous avons été présents très tôt sur l’impact, plus précisément depuis 2008 sur l’impact environnemental global. Depuis 2021 nous nous profilons aussi sur l’impact social global. Vontobel a un modèle multi-boutiques, mais l’ESG est complètement intégré au sein de toutes les approches d’investissement. Toutes nos équipes suivent 4 grands principes ESG et doivent rendre des comptes sur le respect de ces principes et avoir une communication transparente. Ensuite, chaque client peut choisir entre différents degrés de durabilité selon sa sensibilité.

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