Séparer le bon grain de l'ivraie

Salima Barragan

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Peu d'analystes font de bonnes recommandations, estime François-Serge Lhabitant de l’EDHEC Business School.

Dans un univers d'investissement débordant de recommandations «sell-side», comment reconnaître celles qui ajoutent de la valeur? Comment identifier qui excelle dans quel secteur? Ou encore qui est constamment mauvais dans ses prévisions? Si la mémoire humaine se souvient facilement des prédictions correctes, elle a tendance à jeter les moins bonnes aux oubliettes, comme l’ont montré les prix Nobel Daniel Kahneman et Richard Thaler. Les systèmes de capture d'alpha (ACS) qui collectent et analysent systématiquement les performances des recommandations d'investissement, ont la mémoire bien plus longue. Dans une étude toute récente*, François-Serge Lhabitant, Professeur de Finance à l’EDHEC Business School, et Denis Mirlesse, de Seadfast Advisory Services Ltd expliquent comment ces systèmes, dont la finalité est de créer des portefeuilles générateurs d'alpha, peuvent être affinés et générer de la surperformance. Les explications de François-Serge Lhabitant.

Comment fonctionnent les ACS et comment changent-ils la vie des gérants?

Un gérant reçoit quotidiennement une multitude de recommandations et de recherches fastidieuses de brokers à suivre simultanément. Les ACS ont pour première caractéristique de se baser sur des informations «buy side», ce qui signifie qu’ils analysent des portefeuilles réels. Ces systèmes permettent d'avoir un seul point d'entrée pour toutes ces informations; qu'elles soient sur format électronique ou papier. Toutes les données sont standardisées afin que le système puisse analyser l'historique des positions sans biais. En effet, la recherche en finance comportementale montre que les individus ont tendance à se rappeler des bonnes recommandations, et à oublier les mauvaises. Les systèmes de capture d'alpha gardent au contraire tout l’historique des portefeuilles sélectionnés et analysent comment ils ont fonctionné. Ils permettent de démontrer clairement de quelle façon les performances ont été générées.

L’alpha d'un portefeuille est en général concentré sur un petit nombre de positions de conviction, entre 3 et 10.
Prenons l’exemple d’ACS qui sélectionne 25 gérants de qualité: que démontre-t-il sur les grandes tendances de génération d'alpha?

Première grande tendance: il n'y a pas que les hedge funds qui parviennent à générer de l'alpha; les gérants long only y arrivent aussi. Mais selon nos analyses, l’alpha est concentré sur un petit nombre de positions de conviction, généralement entre 3 et 10, qui tirent réellement la performance du portefeuille vers le haut. Malheureusement l'alpha est dilué par des dizaines de positions sans grand intérêt: elles ne détruisent pas de valeur, mais elles n'en ajoutent pas. Les gérants sont forcés de diluer leur portefeuille avec des douzaines d'autres titres car les investisseurs ne veulent pas de fonds trop concentrés. La situation est identique chez un analyste qui fait 100 recommandations: toutes ne généreront pas d'alpha. Le système met également en évidence l’importance de la pondération des titres par le gérant, un élément de conviction également contributeur d'alpha. Enfin, le système décrypte comment les gérants réagissent à divers événements comme les rallyes, la volatilité et les krachs boursiers. Certains gérants sont doués pour ajuster le poids des titres dans le temps.  D'autres sont plutôt maladroits avec ces pondérations mais ils sont d'excellents sélectionneurs d'actions: il est important de savoir à quoi le gérant est bon.

Pour cette raison, vous invalidez les stratégies qui consistent à copier l’intégralité du portefeuille d'un gérant...

On ne peut pas se contenter de simplement copier les idées des gérants, mais il faut les analyser et capitaliser sur leurs points forts. Certains gérants ne sont bons que dans certains secteurs, ou alors seules leurs cinq premières positions sont pertinentes. Le système nous permet également d'ignorer les titres des gérants dont le taux de confiance est en baisse.

Certains ACS se basent sur les données transmises par les gérants et analystes américains à la SEC, conformément à une exigence de transparence. Ont-ils toutefois des faiblesses?

Ces systèmes ont besoin d'une information transparente et régulière. Pour l'instant, les systèmes ne peuvent traiter que les actions américaines car elles sont divulguées par la SEC. Mais certaines informations sont transmises par les gérants à la SEC avec un décalage allant jusqu’à 45 jours. Certains systèmes s’en contentent. Le système de Steadfast par exemple analyse le coût du retard d’information et si cette valeur est trop importante, il ignorera la position. Il peut aussi identifier une position surachetée, ce qui constitue un risque potentiel. A cet égard, toutes les positions du portefeuille sont initialement équipondérées, indépendamment du nombre de recommandations d'achat sur un seul titre.

Votre papier fait également le point sur les systèmes naïfs qui ne font que collecter les données.

Goldman Sachs, par exemple, inclut dans son système les hedge funds en fonction de leur taille, soit les portefeuilles les plus détenus. La nouvelle génération d'ACS ne devra pas seulement se baser sur l’envergure des gérants, car ce n'est pas parce qu’un fonds est gros qu'il est bon. En étant plus intelligent et plus sophistiqué, on atteindra une surperformance plus systématique.

Les ACS peuvent s’adapter à tous les univers d’investissement.
Pourrait-on également adapter ces systèmes à des gestions spécifiques, par exemple ESG?

Les ACS peuvent s’adapter à tous les univers d’investissement. Nous avons pensé à ajouter des filtres sur ces portefeuilles, tels que des caractéristiques spécifiques qui élimineraient certains titres afin de suivre des recommandations ESG. Nous avons également imaginé des filtres qui convertissent les positions en sur ou sous-pondération dans le cas d'un gestionnaire qui suit un benchmark.

Quelles autres extensions proposez-vous afin d'améliorer les systèmes existants?

On pourrait ajouter une poche de ventes à découvert dans le but de créer un portefeuille long­short. Bien que les positions vendeuses soient plus compliquées à gérer à cause du risque de short squeeze, le portefeuille pourrait être conçu symétriquement au système existant. Plus un titre est ignoré, plus il aura de chance d'être une idée short.

* Alpha Capture Systems: Past, Present, and Future Directions, disponible en cliquant ici.