Retrouver la notion d’entreprenariat

Salima Barragan

4 minutes de lecture

«Le capitalisme occidental doit retrouver ses racines entrepreneuriales», estime Daniel Pinto, CEO de Stanhope Capital.

Stanhope Capital, une boutique globale dans la gestion d’actifs créée en 2004 à Londres, fête ses 10 ans d’existence en Suisse. Une occasion de revenir sur les récents développements d'un gestionnaire européen qui se différencie des banques privées par ses valeurs d’indépendance, de transparence et d’alignement avec les intérêts de ses clients. Interview avec Daniel Pinto, CEO et fondateur de Stanhope Capital.

Stanhope Capital a connu en 2018 une forte croissance des services de Wealth Management. Comment vous positionnez-vous sur ce marché par rapport aux banques privées traditionnelles?

Contrairement aux banques privées traditionnelles, nous n’avons pas de produits maison ce qui évite les conflits d’intérêt. Nous sélectionnons les meilleurs fonds de placement et ETFs et négocions les meilleurs tarifs possibles. Nos clients bénéficient ainsi de notre intelligence et du pouvoir de négociation liée à la masse d’actifs gérée. Nous opérons en architecture ouverte mais sommes également neutres sur le plan de la rémunération car nous ne percevons rien des émetteurs, les rétrocessions passent à nos clients. Nous sommes rémunérés uniquement par ces derniers. Nous avons été les premiers à le faire avant même les nouvelles réglementations car cette transparence est inscrite dans notre ADN.

«Nous sommes sur le même bateau que nos clients,
et cela même dans les moments difficiles.»

Aussi l’alignement des intérêts entre les associés de Stanhope Capital et les clients est une valeur primordiale. Nous avons comme politique que les associés investissent leur patrimoine de la même manière que les clients, à profil de risque équivalent. Nous sommes donc sur le même bateau que nos clients, et cela même dans les moments difficiles. En partageant les mêmes risques et en étant réellement impliqués, des rapports très différents sont créés et ils garantissent un partage des résultats du conseil au-delà d’une activité purement intellectuelle. Nous avons remis au goût du jour cet ancien modèle qui tend à disparaître du marché.

Comment sont organisées les activités de votre groupe? 

Nous avons trois grandes activités, dont la gestion de fortune reste la principale, et comptons au total 85 collaborateurs. Nous avons également créé une activité de banque d’investissement car beaucoup de nos clients sont également des entrepreneurs. Nous les accompagnons dans les activités de fusions et acquisitions et les levées de fonds. Enfin, nous avons une troisième activité dans les investissements illiquides comme le Private Equity et l’immobilier. Les montants minimums requis pour rentrer dans les plus grands fonds internationaux sont très élevés. En regroupant les engagements de nos clients au sein de notre plateforme luxembourgeoise, nous leur permettons d’avoir accès aux meilleurs gérants mondiaux dans ces classes d’actifs. 

Nous avons aussi constaté un appétit de nos clients entrepreneurs pour des opérations de plus petites tailles et avons lancé dans ce but le Stanhope Entrepreneur Fund, une plateforme originale de co-investissement dans des PMEs européennes en forte croissance. Il s’agit d’un véhicule unique en son genre puisque nous avons créé un modèle participatif où les investisseurs sont incentivisés à apporter des idées de transaction au fond. Les investisseurs de référence du fonds sont eux-mêmes des grands entrepreneurs qui, au-delà de leur contribution financière, apportent leur expertise et jouent le rôle de mentors pour les managements des sociétés du portefeuille. 

«Nous aimons le marché suisse car il y a un écosystème d’excellence
en matière de gestion de fortune et de finance.»
Vous fêtez vos 10 ans de présence en Suisse. Quels sont vos intérêts sur ce marché?  

En 2008, nous avons apporté notre modèle en Suisse. Nous aimons ce marché car il y a un écosystème d’excellence en matière de gestion de fortune et de finance. Avoir un axe Suisse-Grande Bretagne nous paraît une bonne chose.  

Quels éléments expliquent votre forte croissance en Suisse? 

Les valeurs décrites au préalable expliquent notre croissance sur ce marché depuis 10 ans. Aujourd’hui, nous avons 15 personnes en Suisse sous la direction de Nicole Curti qui a créé la filiale de zéro et qui est aujourd’hui membre du Comité Executif du groupe. Nous avons la vocation de créer ce genre de parcours et de donner aux personnes qui nous rejoignent l’opportunité d’etre eux même des créateurs. Nous sommes dans le créneau de l’intelligence du conseil et la capacité d’attirer des talents est notre force.

Comment interprétez-vous le retour de la volatilité sur les marchés boursiers?

Le déclencheur a été la remontée des taux aux États-Unis qui a suscité des peurs de fin de cycle. Mais aux États-Unis, il y a de la croissance et pas de chômage. Les investisseurs craignent que la Réserve fédérale remonte ses taux plus vite que prévu pour éviter des tensions inflationnistes car cela pourrait ouvrir sur une nouvelle période défavorable pour les profits des entreprises. Les investisseurs sont en train de revisiter les valorisations du marché.

Vous restez donc positif sur les marchés actions?

Nous n’avons pas une vision pessimiste. Depuis 2010, il y a eu trois ou quatre cas de baisse de près de 20%, mais cela n’a pas empêché les marchés de garder une tendance haussière. Le marché sur-réagit car les résultats d’entreprises restent bons. Les niveaux de valorisation ne sont pas particulièrement élevés, de l’ordre de 13x les bénéfices en Europe, et 15x aux États-Unis. Ce ne sont pas des niveaux dangereux et nous ne sommes donc pas sur une bulle de valorisation. Dans la mesure où nous ne voyons pas d’éléments de risques systémiques et que nous n’anticipons pas une fin de cycle imminente, nous restons exposés aux actions et saisissons les opportunités. 

«Il faut donner plus de place au secteur des indépendants dans le monde financier
pour créer des liens plus étroits entre décideurs et clients.»
Vous avez également fondé en 2010 le think thank «New City Initiative», comprenant les cinquante plus importants asset managers européens. En quoi consiste ce think thank?

New City Initiative vise à représenter les maisons de gestion indépendantes européennes. Ce milieu n’était pas assez représenté auprès des régulateurs et gouvernements alors qu’il apporte beaucoup d’emplois et de créativité. Lorsque vous êtes propriétaire, vous avez une vue sur le long terme.  Lorsque vous avez une entreprise détenue par des actionnaires purement financiers par opposition à des entrepreneurs, les modes de décision et la perception du risque sont différents. Cela est vrai pour tous les secteurs d’activité, mais particulièrement dans la finance où la prise de risque est au cœur du métier. Notre point de vue est qu’il faut donner plus de place au secteur des indépendants dans le monde financier pour créer des liens plus étroits entre décideurs et clients et ce faisant limiter les risques systémiques.

Vous analysez les faiblesses des entreprises occidentales dans votre livre «Le choc des capitalismes», publié en 2014, et qui a obtenu le prestigieux Prix Turgot. Quel message adressez-vous à ces sociétés?

En Europe, le capitalisme est vieillissant alors que dans les pays émergents, il s’éveille. Lorsque l’on regarde les changements des rapports de force entre les pays occidentaux et les pays émergents, ces derniers n’ont pas pris plus de poids économiquement à cause d’une main d’œuvre peu chère. Leur montée en puissance vient du fait que leurs entreprises sont largement entre les mains de leurs fondateurs ou de familles qui prennent des risques avec des vues à long terme. Alors qu’en Europe et aux États-Unis, les sociétés sont entre les mains d’actionnaires financiers à visage inconnu ce qui encourage le chef d’entreprise à se focaliser sur les résultats du prochain trimestre au lieu de bâtir l’avenir. Ainsi les entreprises occidentales sont devenues plus timorées et moins créatives à l’exception du secteur technologique américain qui se différencie grâce à la vision de ses fondateurs. Ce livre est un appel au réveil. Le monde occidental ne doit pas perdre la notion de vrai entrepreneur! Devenons moins centrés sur les résultats trimestriels mais plus soucieux de la création de valeur à long terme.