Les débuts sont prometteurs. Altaroc a déjà réuni quelque 5000 clients privés dans ses fonds de private equity pour 1,3 milliard d’euros sous gestion. La société a l’ambition d’introduire les meilleurs fonds de private equity auprès des privés. Elle est présente en Suisse depuis plus d’un an sous la direction de Julie Van Campenhoudt, Senior Sales manager d’Altaroc. Altaroc organisait un événement à Genève la semaine dernière. Frédéric Stolar, managing partner, et Julie Van Campenhoudt répondent aux questions d’Allnews:
Pouvez-vous présenter le type de clients qui ont investi dans vos fonds de private equity?
Frédéric Stolar: Nos investisseurs sont à 90% des clients français et 10% des clients internationaux. Nous enregistrons depuis 6 mois nos premiers clients suisses, belges et italiens.
L’horizon de ces clients est très vaste. Nous avons une bonne vision de leur patrimoine financier (puisque ces questions figurent dans nos process de KYC règlementaires.) et il va de 1 million d’euros à 2 milliards d’euros avec une grande diversité, du dentiste aisé à l’avocat d’affaires sophistiqué en passant par l’entrepreneur ou les grandes familles.
Quel bilan pouvez-vous tirer de votre expérience en Suisse?
Julie Van Campenhoudt: Nous venons d’organiser une conférence à Genève pour présenter les aspects opérationnels du private equity. En 15 mois, nous avons multiplié les contacts avec des profils divers de tiers gérants ou de banques privées. L’intérêt est significatif pour cette classe d’actifs et il grandit quotidiennement. Mais la mise en place de volumes significatifs est encore freinée par les aspects opérationnels, du reporting à la souscription en passant par la détention des titres. Ces questions sont souvent très spécifiques à la Suisse.
Nous avons passé beaucoup de temps à résoudre des problèmes opérationnels très particuliers à la Suisse depuis 15 mois et je suis fière de dire que le chemin parcouru est significatif. Et ce, afin de répondre clairement et dans tous les détails aux questions pratiquo pratiques d’une banque privée ou d’un tiers gérant. Nous avons expliqué que la souscription, qui pouvait sembler ardue, compliquée et opaque, était en fait simple avec Altaroc. Les premiers clients se sentent rassurés par le fait que notre plateforme sait maintenant adresser leurs différentes problématiques techniques.
«Aux Etats-Unis, le marché repart sur des niveaux de valorisations ajustées».
Pourquoi existe-t-il des problèmes techniques?
F.S: Le private equity est un instrument de professionnels. Quand des banques privées entendent y souscrire, on s’aperçoit vite qu’elles ne disposent pas de la même «tuyauterie» que les institutionnels. De façon pratique, un grand nombre de problèmes techniques n’avaient pas été «craqués» avant l’arrivée d’acteurs tels qu’Altaroc. Le «middle» et le «back-office» rencontrent des vrais problèmes de souscription. Certaines de ces difficultés sont très spécifiques à la Suisse de par la nature des clients onshore et offshore et la présence significative des tiers gérants. Tant que ces problèmes d’infrastructures n’étaient pas réglés, les tiers gérants et les banques ne souscrivaient pas.
Jeudi, nous avons montré que nous avions 15 mois d’expérience en Suisse avec le «private equity opérationnel suisse». Nous avons exposé différents cas pratiques très concrets. Ces banques sont convaincues par le private equity, mais elles avaient besoin que nous puissions leur démontrer que, grâce à notre expérience, nous avions «craqué opérationnellement les tuyaux».
J.V.C: Parmi les acteurs de private equity présents en Suisse, nous sommes l’un des seuls à avoir schématisé, compris et expliqué chaque cas opérationnel spécifique. Il peut s’agir par exemple d’un tiers gérant avec un résident fiscal portugais qui désire souscrire facilement à un fonds, en son nom via la banque dépositaire et retrouver le reporting de ce client dans ses comptes.
La classe d’actifs «Marchés privés» est de plus en plus offerte aux clients. Les conférences se multiplient à ce sujet. Ces problèmes ne sont-ils pas universels?
J.V.C: De par sa structure tiers gérants, banques dépositaires, on-shore, off-shore avec un très grand nombre de clients internationaux à situations complexes présents, la Suisse présente des particularités opérationnelles que nous n’avions encore jamais rencontré ailleurs.
F.S: Les conférences se succèdent parce que le private equity intéresse de plus en plus les banques. Nous avons toutefois l’avantage de l’expérience avec cette classe d’actifs. Nous savons notamment qu’avant de collecter des fonds, il faut savoir gérer les enjeux de volumétrie. Nous avons un angle très opérationnel du fait de notre expérience sur presque 5000 clients finaux sur notre plateforme.
Nous voyons en effet que les banques et les tiers gérants ont une autre nature de question à l’égard du private equity. Comment par exemple un client d’une région compliquée qui est en «Nominee» chez moi pourrait-il souscrire à travers sa holding dans un autre pays? Nous sommes passés des questions de pertinence de la classe d’actifs à celle de l’infrastructure, des réglementations et des mouvements de flux. Sur un marché peu développé, personne ne s’était attaqué à ces défis de façon simple et claire.
«Dans notre stratégie d’investissements, nous avons 80% d’engagements dans des fonds et 20% de co-investissements».
Est-ce que l’accès aux meilleurs fonds et aux meilleurs gérants est devenu plus ardu avec l’augmentation du nombre d’acteurs bancaires dans les marchés privés?
F.S: Un grand établissement bancaire vient de nous dire avoir rencontré huit acteurs lui parler récemment de private equity. Nous leur avons demandé lequel collectait plus de 60 millions de francs par an. La réponse: aucun. Il s’agit uniquement de nouvelles plateformes en phase de démarrage. Il faut donc distinguer les bruits et la réalité. Il y a encore très peu d’acteurs de taille industrielle sur le marché naissant du private equity de qualité institutionnelle pour les clients privés.
Quelle est cette réalité?
F.S: Le marché du private equity pour les clients privés vit ses premiers balbutiements. Il existe très peu d’acteurs réels qui collectent des montants importants. L’arrivée de nouveaux entrants ne nous embarrasse pas. Au contraire, elle nous aide à évangéliser sur la pertinence de l’investissement dans le private equity. La vraie compétition pour entrer dans les meilleurs fonds mondiaux ne vient pas d’une nouvelle plateforme digitale start-up ayant levé 3 ou 4 millions mais des grands institutionnels globaux. Cette bataille pour les bonnes places n’a pas changé et ne changera pas.
Quelles sont les nouvelles tendances sur le marché?
F.S: Les clients prennent conscience d’un changement de paradigme. La situation économique et politique est de plus en plus compliquée en Europe si bien qu’ils ressentent de plus en plus le besoin d’avoir un portefeuille diversifié et global sur des durées longues. Un vrai changement culturel est en train de se produire. Plutôt que d’investir un portefeuille à long terme dans l’immobilier, l’intérêt grandit pour l’investissement d’une partie de la fortune dans des entreprises très performantes au plan mondial, dans de très bons secteurs, gérés par de très bons managers, et des sociétés différentes de celles qui composent les grands indices boursiers. Les banquiers perçoivent très bien cette demande nouvelle. Les volumes ne sont pas encore au rendez-vous, mais l’intérêt grandit pour l’investissement dans l’économie réelle à travers des entreprises championnes.
Le développement d’Altaroc est-il en ligne avec vos attentes?
J.V.C: Nous avons clos 3 millésimes, le quatrième est en cours de levée. Les performances des millésimes 2021, 2022 et 2023 sont entièrement en ligne avec nos attentes et surtout, la vitesse de déploiement de nos millésimes est en ligne avec le rythme de déploiement prévu. C’est important de le souligner parce que 2022 et 2023 ont été des années compliquées en termes de new deals pour le private equity mondial. Et aujourd’hui, malgré ces difficultés, nous sommes complètement en ligne avec le déploiement prévu. Ce n’est pas le cas d’autres véhicules concurrents qui tardent à engager et encore plus à déployer. Avant de livrer la bonne performance, il faut savoir déployer et c’est clef pour la performance future!
Quelle est la situation du private equity à la fin 2024?
Le marché du private equity a ralenti en 2022 et 2023 à cause de la hausse des taux en 2022 et une grande correction des marchés cotés. Le private equity a subi cet impact négatif avec retard. Les fonds de private equity à l’achat anticipaient une baisse des valorisations sur les marchés privés dès fin 2022. Et les vendeurs n’étaient pas entièrement prêts à accepter ces baisses de prix. Les années 2023 et 2024 ont donc été calmes au plan des déploiements parce que les vendeurs ne voulaient plus vendre aux valorisations que les acheteurs anticipaient à la baisse.
Dans l’immobilier par exemple, on observe un ralentissement des transactions avant une baisse des prix. Dans le private equity, le fort ralentissement s’est produit dès fin 2022, et a continué en 2023 et 2024. Dans notre stratégie d’investissements, nous avons 80% d’engagements dans des fonds et 20% de co-investissements. Grâce à cette poche stratégique de co-investissements, nous avons réussi à déployer nos fonds à la vitesse anticipée. Très peu de fonds y sont parvenus durant ces périodes complexes. A la fin 2024, nous voyons que les vendeurs ont maintenant accepté les baisses de prix. Aux Etats-Unis, le marché repart sur des niveaux de valorisations ajustées. En Europe, le marché va bientôt repartir.
«On observe un allongement de la période de «fund raising» parce que les institutionnels ont reçu moins d’argent et sont donc beaucoup plus sélectifs».
Pourquoi?
F.S: Il importe de savoir qu’un fonds, à un moment, doit vendre parce qu’il doit lever de nouveaux fonds. Un fonds n’a par exemple que 5 ans pour investir. A l’échéance, il ne peut plus déployer et il doit lever le prochain fonds. Il ne peut pas le faire s’il ne peut pas réaliser des sorties performantes du fonds précédent. Le marché américain réagit plus vite que le marché européen. Nous l’observons à travers le rythme de nos co-investissements.
Est-ce qu’on observe un intérêt plus fort à l’égard de la technologie et l’IA?
F.S: Oui. Les valorisations ont baissé de 25% en moyenne, mais elles ont augmenté sur des entreprises d’exception dans les logiciels parce qu’elles sont perçues comme des valeurs refuges. Il existe effectivement une polarisation sectorielle.
Quelles sont les dernières orientations des grands institutionnels?
F.S: Pour les grands gérants de private equity, les levées de fonds sont plus compliquées, parce qu’ils ont rendu moins d’argent depuis deux ans.
Mais ce qu’on constate aujourd’hui, c’est que dans certains secteurs convoités comme la tech et la santé, les très bons General Partners lèvent des fonds très vite. En revanche, les GP un peu généralistes et qui présentent une performance dans la moyenne ne lèvent plus en 12 mois mais en 36 mois. On observe un allongement de la période de «fund raising» parce que les institutionnels ont reçu moins d’argent et sont donc beaucoup plus sélectifs.
Quels sont vos objectifs pour 2025?
F.S: Nos millésimes débutent en avril. Nous sommes donc encore dans l’exercice 2024/25. L’année prochaine, nous investirons encore beaucoup dans la pédagogie tant vis-à-vis des tiers gérants que des banques et des family offices.
Nous continuerons encore à améliorer nos outils technologiques et serviciels. Et nous continuerons à augmenter nos collectes.
Mais il faut remettre les volumes en perspective. Par exemple rappeler que les montants levés dans le private equity par les institutionnels atteindront environ 600 milliards de dollars en 2024 tandis que le marché des privés en Europe ne dépassera pas quelques dizaines de milliards. Le rapport est presque de 1 à 100.
Le marché des clients privés augmentera régulièrement. Mais il faut le temps pour installer de la conviction, de l’explication et de l’acceptation. Il faut rencontrer un client souvent des années avant d’aboutir à un investissement. Nous sommes dans le temps de la confiance. Nous investissons dans le temps long et ne faiblissons pas dans le service, la technologie, la communication sur la durée. Nous sommes convaincus de la pertinence du marché suisse.