Quand la vertu paie

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Alfredo Piacentini: «Augmenter la durée de vie des produits, ne pas gaspiller, recycler, ce n’est que du bon sens».

Avec ou sans crise du COVID, il y a une claire prise de conscience des urgences climatiques et d’une nécessité de comportement responsable. Pionnier de l’investissement dans l’économie circulaire, Decalia Asset Management s’est positionné sur une tendance qui ne fera que se conforter dans les années à venir. Force est d’admettre que ce positionnement est porteur : expansion des multiples sur les titres vertueux et compression de ces mêmes multiples sur les valeurs non-vertueuses, le constat est sans ambigüité. Conversation avec Alfredo Piacentini, Managing Partner.

Comment avez-vous navigué la crise des marchés boursiers sur les portefeuilles de vos clients?

Nous avions attaqué l’année avec une vision positive de la croissance des marchés mais, dès février, nous avions commencé à réduire nos positions pour engranger des plus-values. Nous avons une filiale à Milan et, grâce à cet observatoire, nous avons été alertés plus vite que d’autres sur l’aggravation de la situation sanitaire. Nous avons donc démarré mars sans trop plein. Notre stratégie s’est tournée vers une protection des actifs par l’utilisation de dérivés qui nous a permis, par la suite, de profiter de la remontée des cours, en retirant simplement ces protections quand le marché a repris. Je dirais que nous sommes plutôt satisfaits de la manière dont nous sommes sortis de la «grande centrifugeuse» qu’a été cette crise : ne pas surréagir nous a permis de performer décemment grâce à une gestion saine buy & hold qui a bien payé. Paradoxalement, les comptes les plus agressifs s’en sont mieux tirés que les comptes plus conservateurs, principalement parce que ces derniers comportent davantage d’obligations et moins d’actions du secteur technologique. En se tenant loin des BEACH1 - que nous n’avions pas en portefeuille -, il y avait moyen de s’en sortir honorablement.

Et vos fonds?

Ils ont bien suivi. Que ce soit la stratégie Millenials qui vise les nouvelles tendances de consommation, la stratégie Silver Age axée sur le médical et la pharma, la stratégie Economie circulaire ou encore les Global Brands, tous nos portefeuilles ont tenu la route car ils sont orientés vers des secteurs porteurs. Je dirais même mieux: notre fonds de grandes capitalisations a atteint une performance de 12% sur l’année à ce jour. Mais inutile de pavoiser. Je préfère rester prudent… quitte à l’être parfois un peu trop. 

Les Etats vont à l’encontre de grandes difficultés pour
doser correctement des politiques «frein/accélérateur».
Il est beaucoup question de décalage entre marchés financiers et économie réelle. Qu’en pensez-vous?
Oui, j’en suis assez surpris. N’oubliez pas que les marchés financiers fonctionnent eux-mêmes à deux vitesses. Le Nasdaq capitalise plus à lui seul que tous les marchés réunis. Et puis il y a l’effet bazooka des liquidités déversées par les banques centrales. A l’automne, nous serons confrontés à des problématiques sociales graves : chômage, endettement. Une situation à ne pas balayer du revers de la main et qui prendra de longs mois – et même de longues années – à être digérée. Les Etats vont à l’encontre de grandes difficultés pour doser correctement des politiques «frein/accélérateur», afin de gérer l’endettement d’un côté ou de relancer l’économie de l’autre. Sans compter que l’épidémie reste une épée de Damoclès. Restons prudent malgré des taux si bas qu’il n’y a guère d’alternatives aux actions. Alors mieux vaut privilégier les large caps, les global brands historiques qui ont déjà survécu à plusieurs crises, et les sociétés qui bénéficient du contexte.  C’est le cas en particulier de celles qui peuvent distribuer leurs produits et leurs services online.
 
La pandémie a imposé pas mal de contraintes dont le confinement n’est pas la moindre. Comment l’avez-vous vécue?

La responsabilité de tout entrepreneur est de sauvegarder autant que faire se peut les emplois et de protéger au mieux l’intégrité et le bien-être de ses collaborateurs. Nous nous devions de réagir à la pandémie en respectant les règles et en garantissant la continuité tout en sachant que les informations pouvaient être discordantes. Mi-mars, le télétravail était déjà en place et nous n’avions conservé qu’une minuscule équipe sur place avec toutes les précautions requises : écrans de plexiglass pour séparer les bureaux, gels désinfectants et distanciation obligatoire. A partir de mi-mai, nous sommes passés à un tournus hebdomadaire des collaborateurs en maintenant le télétravail pour les cas vulnérables, une rotation abandonnée il y a une quinzaine de jours.

On parle beaucoup de généralisation du télétravail. Y croyez-vous?

Dans certains métiers et pour certains travaux peut-être mais pas dans nos métiers. Le télétravail ne permet pas toujours la concentration qu’offre une présence physique et exclut une grande partie du langage corporel indispensable à une bonne compréhension. Et puis, tout le monde n’a pas la discipline nécessaire...

Nous assistons à une lame de fond tant chez les institutionnels
que chez les privés d’autant que l’approche ESG est payante.
Y-a-t-il un monde d’avant et un monde d’après la crise?

L’expérience des crises et des guerres montre qu’il n’y a pas forcément de changements radicaux au lendemain d’une crise. Après la destruction des tours jumelles de New York, il y a eu davantage de contrôles sur les avions et aux frontières mais le retour aux anciennes habitudes a été rapide. J’ai quelques doutes sur un changement social de fond, à moins d’une 2e vague d’infection très profonde.

Il semblerait toutefois que la conscience des investisseurs aux problèmes sociaux et environnementaux se soit éveillée?

Il est clair qu’il y a une prise de conscience des urgences climatiques ce qui, dit en passant, favorise les stratégies de type «économie circulaire». Mais de toutes façons, augmenter la durée de vie des produits, ne pas gaspiller, recycler, éviter les emballages plastiques ou l’excès de voyages est du simple bon sens. Nous assistons à une lame de fond tant chez les institutionnels que chez les privés d’autant que l’approche ESG est payante: les titres des sociétés «vertueuses» ont performé mieux que les autres. On constate sans ambiguïté une expansion des multiples sur les titres vertueux et une compression sur les non-vertueux. Aujourd’hui, la vertu paie.

Quelques mots sur votre partenariat avec Bonhôte Funds Solutions et sur votre expansion en Suisse alémanique?

Nous proposons des solutions, notamment thématiques, aux adhérents de la plateforme Bonhôte Funds Solutions. Quant à Zurich, nous y sommes évidemment intéressés mais ne voulons pas faire un «pas plus long que la jambe». En conséquence, nous attendons une opportunité de partenariat qui fasse sens.

 

1 BEACH est l’acronyme anglais de Booking, Entertainement, Airlines, Cruises, Hotels, soit en bref les secteurs du transport aérien et des loisirs.

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