Quand expansion rime avec internationalisation

Nicolette de Joncaire

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Marc Bürki: «Une entreprise suisse est en quelque sorte condamnée à exporter pour réussir».

©Keystone

Début août Swissquote annonçait un résultat bénéficiaire sur le premier semestre. Depuis plus de 15 ans – 2003 pour être précis – la société a dégagé un bénéfice année après année, y compris pendant la crise financière. En croissance quasi-permanente, Swissquote projette un troisième bâtiment à Gland à un horizon de cinq ans, capable d’accueillir un millier d’employés supplémentaires – ce qui correspondrait à un triplement des effectifs au siège social à Gland. Reprise d’Internaxx au Luxembourg, ouverture d’une filiale à Singapour, redéploiement de l’offre B2B, développement de l’offre Crypto, Swissquote semble faire feu de tout bois, tant sur le plan de l’expansion géographique que sur celle de sa gamme de produits. Entretien avec Marc Bürki, CEO de Swissquote. 

Swissquote dégage un bénéfice chaque année depuis plus de quinze ans, y compris pendant la crise financière. Comment?

Nous avons démarré avec la bulle internet, un marché porteur dans lequel il était relativement facile de trouver des financements. Par la suite, il nous a fallu affiner le modèle sinon nous aurions probablement subi le sort des dizaines de plateforme en ligne qui ont vu le jour à l’époque et disparu depuis. Maintenir une avance technologique est essentiel mais d’autres facteurs nous guident. Une stratégie d’expansion vers l’extérieur qui est le lot de toutes les entreprises suisses car le marché intérieur est limité. Une prudence qui est venue avec l’obtention de la licence bancaire car, contrairement aux entreprises de pure technologie, nous n’avons pas droit à l’erreur, ni aux pertes. La confiance des déposants - et les quelques 30 milliards qu’ils ont déposé chez nous-, ne s’obtient qu’en donnant des garanties de stabilité. Il nous a fallu apprendre à modérer notre désir d’être toujours à l’avant garde. Ceci dit, les motifs d’une réussite sont complexes. Il faut un business model qui génère du chiffre, une dose d’humilité … et un peu de chance. 

Il existe une vraie compétition entre employeurs.
Vos projets de croissance sont ambitieux comme en témoigne la construction d’un troisième bâtiment sur votre site et il est question d’un triplement de vos effectifs ici. Pourquoi un siège concentrant tant de collaborateurs à Gland?

Nos projets sont ambitieux car nous estimons être positionnés dans un domaine où la disruption n’est pas terminée, où il existe un réel potentiel de faire de la finance différemment. Centraliser les équipes à Gland nous parait fondamental car c’est là que se trouve le noyau de notre créativité. Nous avons étudié d’autres types d’organisation, en particulier celles qui distribuent les équipes de par le monde – et y avons cru un certain temps. Cela fonctionne pour certaines fonctions comme à Kiev où nous employons environ 150 ingénieurs hautement spécialisés dans le code. Mais, au cœur de notre entreprise, là où sont développées les idées, nous estimons qu’il est essentiel que les équipes partagent des espaces communs, se retrouvent autour d’un café, aient le sentiment d’appartenir à une communauté. C’est l’une des clés de la créativité, un modèle qu’ont adopté les grandes sociétés de technologie américaines dont les employés travaillent sur de véritables campus. Sans aller aussi loin – car la culture suisse s’y prête moins que la californienne -, nous devons offrir plus à nos employés qu’un simple 9h-5h. Surtout à une génération pour laquelle la frontière entre travail et loisir est devenue floue. 

Les coûts de personnel en Suisse ne sont-ils pas prohibitifs?

En Suisse, ce n’est pas le coût qui est le plus problématique mais de trouver les talents et de les garder, d’autant que le secteur de la technologie ne peut pas systématiquement se permettre d’offrir les rémunérations que permet le secteur bancaire. A beaucoup Swissquote offre un premier job et une formation intense. Ils restent un certain temps puis parfois nous quittent. Notre turnover est d’environ 20%. Il nous faut donc les séduire, leur offrir ce que d’autres ne leur offrent pas. Vis-à-vis des jeunes générations, il existe une vraie compétition entre employeurs. 

Les algorithmes sont capables de battre la gestion humaine.
La concurrence grandit en Suisse comme ailleurs avec de nouveaux acteurs comme Revolut ou N26. Y-a-t-il suffisamment de place pour tous? 

Entre grandes banques, banques cantonales et fintech, nous avons toujours évolué dans un environnement très compétitif. L’important est de maintenir l’avantage et de construire les bons partenariats. Pour ce qui est des nouveaux acteurs, il faut noter que le paysage a changé. Les nouvelles générations sont moins attachées à la crédibilité que donne une marque assise sur la tradition et plus enclins à privilégier l’expérience utilisateur. C’est ce qui a fait le succès d’un Revolut par exemple. Il faut toutefois savoir que certaines valorisations à des prix incroyables concernent des sociétés dont le cœur de métier sont les paiements, un domaine où les marges sont presque inexistantes. Comment vont-elles évoluer? Comment vont-elles réussir à intégrer de nouveaux produits sur lesquels règne une règlementation toujours plus lourde?

Votre offre se diversifie régulièrement. Comment choisissez-vous les segments sur lesquels vous comptez vous positionner? Une approche stratégique ou plutôt opportuniste? 

En matière de produits financiers, il y a rarement de vraies innovations. Ce qui diffère est la manière d’amener le produit au client. Nous nous demandons donc continuellement quel est le produit qui va pouvoir s’intégrer à notre savoir-faire. Ce fut le cas pour le forex, pour la gestion automatisée, pour les cryptos. En matière de roboadvisory, nous partons du postulat que les algorithmes sont capables de battre la gestion humaine. Mais l’expérience prouve qu’il n’est pas si simple de gagner la confiance des investisseurs. Même si les programmes donnent de bons résultats, la croissance de la gestion automatisée est inférieure à nos prévisions. 

«Nous ne sommes pas les champions de la parité».
Internaxx en Europe, Swissquote Pte à Singapour, vous renforcez votre présence à l’étranger sur plusieurs segments. Sur quel modèle? 

Comme je l’évoquais plus tôt, une entreprise suisse est en quelque sorte condamnée à exporter pour réussir. Pour l’Europe, nous nous étions originellement fixés sur Londres mais le Brexit a changé la donne. Nous avons donc examiné des possibilités en Allemagne, en Irlande, aux Pays-Bas, en France et c’est finalement le Luxembourg qui l’a emporté. Mais cela ne tient pas au hasard. Internaxx a toujours été sous notre radar en raison de ses similarités en termes de savoir-faire et de typologie de clientèle. De plus, nous cherchions une banque déjà profitable qui n’avait pas besoin d’être restructurée. 

Pensez-vous pouvoir vous imposer sur le marché international, asiatique en particulier, comme plateforme de trading et de courtage – face à des géants comme Tencent? 

Vous seriez surprise de l’aura qu’a la Suisse en Asie. Probité, sécurité, savoir-faire, le Swissness s’y vend très bien… Notre plateforme retail est déjà disponible à Hong Kong et avec Swissquote Pte nous démarrons une activité B2B à Singapour sur un marché institutionnel où notre suite d’outils obtient un certain succès. Quant aux Chinois, personne ne peut s’y comparer. Revolut est un nain face à WeChat Pay. 

La Suisse – et plus particulièrement Genève - veut se positionner comme centre de l’ESG. Pensez-vous intégrer un outil de notation ESG des portefeuilles dans votre offre?

Nous réfléchissons à la manière d’aborder la question, mais l’intégration de critères ESG dans l’évaluation des portefeuilles peut apporter un vrai plus. Encore faut-il trouver des données fiables sur les quelques 3 millions de produits que constitue l’univers d’investissement disponible sur Swissquote. Mais peut-être que notre premier souci serait de répondre nous-mêmes en tant qu’entreprise aux normes ESG principalement au niveau de la parité. Comme vous avez pu le constater, nous ne sommes pas les champions dans ce domaine. Inutile de chercher des excuses pour un passé qui ne peut être changé. Il nous faut améliorer le futur. 

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