Prudence sur le crédit

Salima Barragan

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Les hausses de taux vont bientôt frapper l’économie. Avec Emmanuel Petit de Rothschild & Co AM.

Les incidents bancaires sont des signes avant-coureurs de l’efficacité d’un resserrement monétaire. Les anticipations sur le taux directeur américain sont redescendues lors du premier semestre, suggérant la réalisation de l’essentiel des hausses. Cependant, le scénario macroéconomique n’est pas encourageant. Emmanuel Petit, responsable de la gestion obligataire chez Rothschild & Co Asset Management, estime que l’économie réelle va bientôt subir le contrecoup de la politique restrictive. Entretien.

Suite aux crises survenues sur le secteur bancaire, comment anticipez-vous la poursuite de la politique monétaire de la FED?

L’essentiel des hausses est derrière nous. Les anticipations de marché font état d’une dernière hausse de 25 points lors de la réunion du FOMC de juillet, pour porter le taux directeur à 5,50%. Bien que ces anticipations soient volatiles depuis le début d’année, notamment depuis les incidents bancaires, j’ai le sentiment que les récents éléments désinflationnistes comme la baisse de l’inflation sous-jacente et des prix de l’énergie donnent de l’air à la Fed, et lui permettent de suivre une phase d’observation. L’économie montre des signes de résilience, parce que les économies s’endettent de plus en plus à taux fixe. Cependant, les effets du resserrement monétaire vont certainement se faire ressentir dans les mois à venir.

La pentification de la courbe des taux que nous attendons va profiter aux actifs sans risque.
Si les crises bancaires peuvent être considérées comme les premiers indicateurs visibles de l’efficacité d’une politique monétaire restrictive, quels autres types d’accidents envisagez-vous à court terme?

Nous venons d’assister à des évènements très rares. Mais effectivement, la violence de l’ajustement monétaire ne pardonne pas les erreurs de gestion. Il est fort probable que l’immobilier soit impacté par ce durcissement des conditions de crédit, ce qui se reflète déjà dans les valorisations de marché du secteur. De plus, les entreprises les plus endettées vont avoir des difficultés à se refinancer, d’autant plus que leurs marges devraient être impactées par un ralentissement cyclique. Les taux de défaut sur le segment High Yield vont certainement augmenter, notamment aux États-Unis où le marché est plus endetté qu’en Europe.

Suite à ces évènements, les conditions des prêts bancaires sont devenues plus restrictives. Comment vont-elles affecter les entreprises?

La liquidité, et donc le refinancement, est la clé des entreprises. On observe cependant en Europe que les entreprises ont anticipé les refinancements quand les conditions étaient favorables. La situation de liquidité de départ en Europe est donc bonne, meilleure que de l’autre côté de l’Atlantique.  En Europe, le refinancement concerne majoritairement des émetteurs de bonne qualité, tandis qu’aux États-Unis il concerne aussi des acteurs moins bien notés. Les grosses échéances de dettes arrivent en 2025-2026, il n’y a pas d’urgence, mais il faudra quand même être attentif aux refinancements des trimestres à venir pour anticiper cette échéance.

Comment voyez-vous les différents segments du marché obligataire évoluer lors du second semestre?

La normalisation monétaire a davantage impacté les segments les plus solides. Pourtant, ces émetteurs sont résilients et capables de traverser un cycle de récession. La partie risquée du spectre a intégré beaucoup d’éléments négatifs dans ses prix, mais elle offre peu de visibilité. Malgré sa bonne rémunération, je ne compte pas augmenter le risque. L’Investment Grade reste relativement plus attractif, d’autant plus que les actifs risqués souffrent davantage en fin de cycle.

Quelles stratégies obligataires favorisez-vous dans cet environnement de taux souverains volatils?

La pentification de la courbe des taux que nous attendons va profiter aux actifs sans risque. D’ici 7 à 9 mois, nous achèterons de la dette souveraine sur des maturités plus longues, mais très peu de high yield. Nous restons neutres sur la duration tant que les taux réels européens demeurent en territoire négatif. Nous attendons ce mouvement afin de nous positionner long sur la duration.

C’est une période propice au portage, qui représente la plus grosse contribution de notre portefeuille obligataire flexible depuis le début d’année. Par prudence, nous nous limitons aux émissions de bonne qualité sur la partie crédit afin d’augmenter la duration du portefeuille. Nous couvrons une partie du risque crédit avec des CDS (Crédit Default Swap).

Nous voyons aussi de l’alpha sur des biais sectoriels, comme le bancaire dont les conditions actuelles sont profitables. Mais les fins de cycle crédit sont généralement plus propices aux stratégies flexibles, car elles ont plus de marge de manœuvre à la fois pour se positionner prudemment, mais tout en saisissant les opportunités qui se présenteront lors des périodes de tensions.  

Quels sont vos émetteurs bancaires favoris du moment?

L’établissement Unicredit dispose d’une bonne trajectoire crédit. En Belgique, Crelan, un établissement de taille intermédiaire spécialisé dans le détail aux particuliers et PME est un nouvel émetteur de taille moyenne qui offre des rendements attractifs sur sa dette senior. Un autre exemple qui offre un grand potentiel d’amélioration des fondamentaux est Novobanco au Portugal.