Le private equity fait l’objet d’une attention croissante auprès des investisseurs. Petiole Asset Management, avec une expérience de 20 ans, gère 2,2 milliards de dollars dans les marchés privés au plan global.
Lukas Burghardt, qui a débuté sa carrière dans la gestion de fortune en Allemagne et en Suisse, a rejoint Petiole Asset Management cette année, à Zurich. Son intention était de se focaliser sur les investissements sur les marchés privés s dont il était convaincu du potentiel, et qui est la spécialité de Petiole Asset Management. Petiole AM dispose de trois bureaux, à Zurich, Hong Kong et New-York. Lukas Burghardt répond aux questions d’Allnews:
Pourquoi les caisses de pension suisses sont-elles moins attirées par le private equity que leurs homologues européens ou américains?
La première raison de cette sous-exposition est liée aux obligations à remplir par les caisses de pension, lesquelles sont en francs suisses alors que le private equity local est d’une taille encore modeste, même si la Suisse est un marché en expansion. Les caisses de pension n’aiment pas procéder à un hedge de leur exposition dans d’autres monnaies.
Les caisses de pension suisses souffrent aussi d’un biais domestique, même s’il est en train de se réduire, et même si elles s’ouvrent progressivement à des actifs internationaux. Elles constatent en effet que le rendement attendu d’autres classes d’actifs, comme celui des actions, n’est plus aussi prometteur que précédemment. La culture d’investissement est en train de changer en Suisse.
Le marché suisse est toutefois moins exposé au private equity que ses homologues britannique, canadien ou américain, mais c’est aussi un marché financier très professionnel, si bien que nous pourrions nous attendre à une augmentation des investissements suisses dans le private equity.
Le private equity gagne toutefois en maturité depuis quelques années. Cette classe d’actifs répond de manière toujours plus appropriée aux défis des investisseurs. La confiance des caisses de pension augmente d’ailleurs progressivement à l’égard du private equity.
Il est vrai que les institutionnels suisses investissent moins dans ce segment que leurs homologues européens et américains. Cette situation est regrettable, compte tenu du potentiel du private equity et du crédit privé.
Le problème est-il également lié à la gouvernance des caisses de pension. Ne faut-il pas porter l’effort auprès des consultants des caisses de pension?
Les consultants ont un rôle clé en matière d’allocation des actifs des caisses de pension suisses. Ils se révèlent progressivement plus ouverts à l’égard des marchés privés.
«La première raison de cette sous-exposition est liée aux obligations à remplir par les caisses de pension, lesquelles sont en francs suisses».
La réglementation locale n’est pas non plus aussi favorable qu’elle pourrait l’être à l’égard du private equity. Je m’aperçois personnellement qu’il n’est pas possible d’inclure le private equity dans mon propre pilier 3A.
Il appartient donc aux épargnants privés eux-mêmes d’utiliser leur quatrième pilier pour investir dans le private equity et compléter le portefeuille de leurs deuxième et troisième piliers, lesquels sont surpondérés en obligations en francs suisses et en actions suisses. Il faut que l’épargnant accroisse la diversification du portefeuille et l’internationalise. Pour notre part, nous devons faire un effort de formation et expliquer les vertus des actifs illiquides.
Le private equity paraît opaque et complexe. Est-ce un obstacle majeur?
Je prendrais la question sous un autre angle. L’investisseur qui est à la quête de l’investissement parfait obtiendra un rendement qui sera extrêmement bas, un risque dérisoire, une transparence très élevé et une très solide qualité de l’émetteur. Mais son rendement aurait de bonnes chances d’être inférieur à l’inflation. C’est pourquoi l’investissement parfait qui offre un rendement net positif n’existe pas. L’investisseur doit prendre un risque. Il doit partir à la recherche des perles cachées.
L’illiquidité est-elle un autre frein?
L’illiquidité n’est pas l’attribut désirable d’un investissement, mais l’investisseur peut espérer en être compensé par une prime. Cet attribut peut donc être apprécié positivement sous la forme d’un rendement supérieur. D’ailleurs, le processus de professionnalisation du marché s’est traduit par l’émergence de solutions secondaires plus liquides. Nous en offrons nous-mêmes. Il est possible de sortir d’une transaction sur une plateforme secondaire. La valorisation est également devenue plus transparente. Elle est souvent confirmée par un auditeur externe. Dans le cas de Petiole, il s’agit de KPMG.
Quelle a été la performance du private equity ces dernières années?
Le rendement a dépassé celui des marchés cotés de façon persistante. Notre espérance de rendement futur pour le private equity s’élève à 12-15% en dollars sur une base nette de frais. Cette performance est à mettre en relation avec un taux sans risque de quelque 5% en dollars.
Pourquoi en dollars?
Le marché du private equity est beaucoup plus large en dollars. Les opportunités disponibles en francs suisses sont très peu nombreuses et très concentrées sur quelques secteurs de l’industrie. L’investisseur qui recherche explicitement une exposition en francs suisses peut se couvrir avec une stratégie d’overlay, laquelle réduira naturellement le rendement net.
Les pionniers parmi les caisses de pension qui ont investi dans le private equity ont été déçus par leur expérience et leur rendement. Comment sélectionner correctement les bons investissements dans le private equity?
Il est certain que les écarts de rendement sont élevés dans le private equity. La performance est fonction des investissements et des fonds en portefeuille. Habituellement, à la suite d’une concentration sur un seul secteur et un seul thème, la performance est très volatile. Il est donc préférable d’adopter une approche globale afin d’avoir un rendement plus aisé à prévoir. C’est aussi une bonne raison pour éviter les entreprises les plus jeunes et pour privilégier celles qui ont une longue expérience. Petiole investit dans le private equity depuis 20 ans, ce qui souligne la qualité de ses processus d’investissement. Nous ne cherchons pas à investir dans de nouvelles «stories» mais nous créons de la valeur à long terme pour l’investisseur.
«Une diversification optimale comprend plutôt 10-20 «deals» afin de stabiliser le rendement».
Quelle est la diversification recherchée?
Nous demandons aux investisseurs d’avoir au moins 5 «deals» dans leur portefeuille de private equity. Une diversification optimale comprend plutôt 10-20 «deals» afin de stabiliser le rendement.
Nous n’investissons pas non plus dans le capital-risque, où le rendement est plus hasardeux.
Observe-t-on une forte concentration de l’intérêt pour la technologie dans le private equity?
Nous n’aimons pas avoir une forte concentration sur un secteur, comme la tech. Nous observons parfois chez nos clients une concentration des investissements cotés dans la Big Tech, où la valorisation est d’ailleurs très élevée. C’est pourquoi nous n’investissons pas dans le capital-risque et c’est aussi pourquoi nous cherchons à contre-balancer cette exposition par d’autres secteurs. La diversification visée est donc sectorielle, géographique et en termes de sponsors.
Quelles sont vos actuelles convictions concernant le private equity?
Nous sommes actuellement neutres à l’égard de la valorisation du private equity. Cette dernière s’est stabilisée après sa baisse en 2023 et un pic en 2021. Le multiple est de 2,1 fois (EV/revenus). Nous prévoyons sa reprise en 2024.
Nous investissons selon l’agenda prévu cette année. Le nombre des «exit» n’est pas nombreux cette année, mais nous attendons une normalisation à ce sujet.
Comment mesurez-vous le risque du private equity?
Le risque ne peut être dissocié du rendement. S’il est très bas, le rendement le sera aussi. Nous disposons de notre propre département de gestion des risques, qui contrôle ces derniers avant aussi bien qu’après la clôture des deals.
Qu’attendez-vous des ELTIFs?
Il s’agit d’une initiative des régulateurs qui devrait encourager l’investissement dans les marchés privés. Il existe déjà des véhicules similaires également prometteurs sur d’autres marchés. Mais nous n’avons pas d’ELTIFs nous-mêmes.
Est-ce que vous vous adressez surtout à des institutionnels?
Notre clientèle est à la fois privée et institutionnelle. Le montant d’investissement minimal se monte à 150'000 dollars, ce qui est assez bas pour l’industrie, et il permet déjà de disposer d’un portefeuille diversifié de co-investissements. Pour les gérants de fortune indépendants, la limite inférieure est fixée à 3 millions de dollars pour un titre bancaire, et pour les investisseurs institutionnels à 25 millions de dollars.
Est-ce que le niveau des frais est en baisse?
La tendance est à la baisse sous l’effet de la concurrence et de l’émergence de nouveaux acteurs. Nous saluons cette concurrence accrue parce qu’elle profite à l’investisseur final.
Chez Petiole Asset Management, nous avons un mandat clair de démocratisation de l'accès à la classe d'actifs, ce qui implique également une structure de frais totalement transparente et équitable. C'est pourquoi nous ne facturons qu'une commission de gestion sur le capital investi, ainsi qu'une commission de performance, qui est strictement liée au succès du client.
Est-ce que l’achat d’un ETF sur le private equity n’est pas une solution attractive pour obtenir le rendement du marché?
L’investisseur qui achète un ETF n’obtient pas une exposition sur l’ensemble de la classe d’actifs du private equity mais uniquement une exposition sur certains gérants de fonds de private equity. La corrélation est très imparfaite.