Porter une attention particulière aux taux d'intérêt à long terme

Yves Hulmann

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Pour Jürg Sturzenegger, directeur de Fisch AM, l’évolution des taux aura un fort impact non seulement sur les obligations mais aussi sur les marchés d’actions.

Pour beaucoup d’observateurs, la politique monétaire mise en place ces dernières années, axée sur les mesures d’assouplissement quantitatif, se trouve à un tournant. Elle est toujours davantage remise en question par la reprise économique et l’accélération de l’inflation. Dans un tel contexte, quelle est la place des obligations et des produits à revenu fixe dans les portefeuilles? Le point avec Jürg Sturzenegger, directeur de Fisch Asset Management, une société spécialisée à l’origine dans les emprunts convertibles et qui s’est ensuite peu à peu diversifiée dans les obligations d’entreprise notamment.

Historiquement, Fisch Asset Management est une société de gestion spécialisée dans les obligations convertibles. Compte tenu des nombreuses discussions en cours actuellement concernant l’évolution des taux d’intérêt et de la politique monétaire des banques centrales, comment appréhendez-vous cette situation d’incertitude en tant que gérant?

L’analyse de l’environnement macroéconomique mobilise bien sûr d’importantes ressources chez Fisch Asset Management. Nos décisions d’investissement s’appuient à la fois sur notre propre recherche et sur celle fournie par des prestataires externes. Dans la seconde catégorie, nous nous appuyons sur la recherche fournie par des sociétés spécialisées dans l’analyse macroéconomique mais pas sur celle provenant de banques.

En ce qui concerne l'inflation, les augmentations de prix ont été élevées jusqu'à présent cette année, en particulier aux États-Unis. La Réserve fédérale suit généralement de près l'évolution de l'inflation. Cependant, la Fed accorde toujours beaucoup plus d'attention aux données du marché du travail – cet aspect déterminera la décision concernant une hausse des taux d'intérêt ainsi que le moment de celle-ci. Tôt ou tard, la Fed commencera à réduire ses achats d'actifs. La politique monétaire actuelle est trop souple et de moins en moins en phase avec l'environnement économique. Et cela aura un impact sur les taux d'intérêt à court terme plus tard, peut-être dans le courant de l'année prochaine.

La politique monétaire actuelle est trop souple et de moins en moins en phase avec l'environnement économique.

Toutefois, l'affaiblissement de la croissance en Chine et la crise entourant le groupe immobilier Evergrande entraînent un assouplissement actuel de la politique monétaire de la banque centrale chinoise ainsi qu’une baisse du yuan et une hausse correspondante du dollar américain. Cela donne à la Fed un peu plus de marge de manœuvre et la possibilité d'attendre un peu plus longtemps avant de réduire ses achats de titres («tapering»). Dans l'ensemble, l'environnement de marché reste positif. Cependant, nous devons continuer à porter une attention particulière aux taux d'intérêt à long terme, car ils auront un fort impact – non seulement sur les marchés obligataires mais aussi sur les marchés d'actions. Les marchés d'actions sont également très influencés par l'évolution des taux d'intérêt.

Entre les actions et les obligations, quelle est la place des emprunts convertibles dans le contexte de marché actuel?

Dans un contexte de hausse des taux d'intérêt, les obligations convertibles présentent l'avantage décisif, par rapport aux obligations classiques, de réagir de manière moins sensible en raison de leur très courte durée. En revanche, ces emprunts participent à la hausse des marchés d'actions et perdent généralement beaucoup moins dans les phases de correction que les actions sous-jacentes. Depuis le début de la crise du coronavirus, l'univers d'investissement s'est considérablement élargi, car de nombreuses entreprises ont découvert les obligations convertibles en tant qu’instrument de financement, alors qu'elles n'étaient pas actives auparavant dans ce segment de niche. Cela ouvre des possibilités de diversification intéressantes pour les investisseurs.

Quels secteurs d’activité vous paraissent intéressants actuellement dans le domaine des obligations convertibles?

Le secteur technologique reste intéressant sur une base sélective pour le moment, la hausse des taux d'intérêt exigeant une attention toute particulière. C'est un secteur qui continue à se développer, bien qu'à un rythme un peu plus lent qu'auparavant. Maintenant que le pire de la crise du coronavirus semble passé et qu'en même temps la reflation de l'économie s'accélère, les secteurs cycliques et les métiers dits «de réouverture» offrent également des opportunités. Ceux-ci bénéficient d'une normalisation de l'activité économique et des voyages, notamment les compagnies aériennes et les compagnies spécialisées dans les croisières.

Nous devons continuer à porter une attention particulière aux taux d'intérêt à long terme, car ils auront un fort impact – non seulement sur les marchés obligataires mais aussi sur les marchés d'actions.
Vous avez évoqué la complexité des emprunts convertibles en tant qu’instrument de placement. Qui investit principalement dans vos fonds?

Nos fonds sont principalement destinés aux investisseurs professionnels et institutionnels.  En raison de leur forme hybride, ils présentent du reste justement un avantage pour les caisses de pension qui peuvent les attribuer dans certains cas, soit à la partie actions, soit à celle des obligations, au sein de leur portefeuille. Je précise toutefois que si les obligations convertibles restent la compétence de base de Fisch Asset Management, nous exploitons aussi nos connaissances acquises dans l’analyse de crédit pour étendre notre offre dans le domaine des obligations d’entreprise, notamment.

Le marché suisse étant restreint, avez-vous des projets d’expansion à l’étranger?

Dans cette optique, Fisch Asset Management propose plusieurs de ses fonds sous la forme de produits UCITS, de droit luxembourgeois, ce qui permet de les distribuer dans l’ensemble de l’UE. Maintenant, notre principal marché à l’étranger est d’abord l’Allemagne. S’y ajoutent aussi certains marchés de niche extra-européens comme le Chili, en raison des spécificités du système de retraite de ce pays.

Intégrez-vous aussi les aspects de durabilité dans votre méthode d’analyse et si oui, de quelle façon?

En plus de l’analyse du contexte macroéconomique et des données financières des entreprises, la prise en considération des critères ESG constitue une dimension supplémentaire qui s’y ajoute. La prise en compte des critères ESG fait partie intégrale de notre travail d’analyse et d’évaluation. Chez nous, cette analyse se répartit schématiquement en trois étapes. Il y a d’abord l’exclusion de certaines entreprises en raison de leurs secteurs d’activité. Vient ensuite l'intégration des critères ESG et, surtout, l'évaluation de l'impact sur la qualité de crédit d'une entreprise d'un point de vue environnemental ou social, en s'appuyant sur diverses sources de recherche sur la durabilité. Dans ce processus, nous essayons également de savoir ce que nous réalisons avec un investissement particulier. Par exemple : quelle est son efficacité énergétique ou contribue-t-elle à améliorer l'environnement dans lequel elle opère? Dans la troisième étape, nous contactons les entreprises pour lesquelles notre analyse nous a amenés à conclure que leurs pratiques ont entraîné des risques ESG accrus qui sont importants pour notre décision d'investissement.

En tant que gestionnaires d'actifs pour des clients professionnels et institutionnels, il est dans notre intérêt d'intégrer ces aspects dans nos processus d'investissement dès le départ. Encore davantage quand il s’agit de fonds qui sont distribués dans d’autres pays européens. En effet, tôt ou tard, les fonds commercialisés en Europe devront être conformes aux règles prévues dans le cadre de la «taxonomie» mise en place par l’UE en matière de placements durables. Ainsi, les fonds distribués en Europe devront se conformer aux règles de la taxonomie européenne pour les investissements durables. Notre fonds d'obligations convertibles durables est considéré comme un pionnier sur ce segment depuis son lancement en 2009. Il suit une approche stricte de la durabilité consistant en une combinaison de critères d'exclusion et de sélection des meilleurs de leur catégorie.

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