Mise au point sur les obligations value

Salima Barragan

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Les quatre décennies de baisse de taux favorable au portage sont révolues, estime Matthieu Bailly d’Octo AM.

Depuis les années 1980, la stratégie de portage qui consiste à maintenir des titres obligataires jusqu’à leur échéance afin de neutraliser les risques de taux s’est avérée judicieuse. Mais selon Octo Asset Management, une filiale du groupe Amplegest, le cycle anticipé par les marchés de relèvements des taux autour de zéro va compromettre le portage au profit de la gestion obligataire value. Le point avec Matthieu Bailly, directeur des investissements.

Comment les dynamiques du marché obligataire ont-elles évolué, et quelles en sont les conséquences pour les investisseurs?

C’est la fin du portage parce que les taux des indices obligataires étaient autour de zéro. Les obligations étaient devenues des actifs coffre-fort dont la détention coûtait à l’investisseur. Dans ces conditions, le moindre écartement de taux ou de prime de crédit provoque des pertes importantes car il n’y a plus aucun coussin de protection par le rendement. Depuis 2021, nous voyons l’effet des écartements de taux significatifs sur les indices obligataires à rendement nuls.

Pourquoi le qualifiez-vous de marché à deux vitesses?

Dans le marché obligataire contemporain, il y a deux types d’investisseurs. Le premier groupe se compose des banques centrales et institutionnels, banques et assureurs, qui achètent des obligations pour gérer leur politique monétaire ou leurs contraintes réglementaires ; ceux ci acceptent un rendement réduit à néant et raisonnent essentiellement de manière non économique. Le deuxième groupe d’investisseurs qui recherche des performances, doit s’orienter sur les segments dont les rendements n’ont pas été déformés par l’afflux de liquidité des banques centrales tels que la dette d’entreprise, qu’elle soit obligataire ou sous forme de prêts en direct. Alors que les portefeuilles d’obligations d’Etats ont été très volatiles et en perte significative depuis plusieurs mois, les portefeuilles positionnés sur des obligations corporate avec des primes de rendement significatives jouent mieux leur rôle au sein d’un portefeuille: rendement significatif et absorption des chocs pour une volatilité moindre.

Lorsqu’une société peu connue telle que House of HR, dans l’intérim, émet son unique obligation, il faut un certain temps avant que les analystes ne se penchent dessus.
Comment définissez-vous la gestion obligataire value qui, selon vous, va prendre l’ascendant sur le portage? Et comment la comparez-vous avec celle des actions value?

Le gestionnaire value investit dans des émetteurs qui offrent une prime de rendement par rapport à leur qualité de crédit. Près de 80 pour cents du marché est traité par les contraintes règlementaires des banques centrales ou des institutionnels. La gestion benchmarkée investit à l’opposé du bon sens en surpondérant les émetteurs de grande taille ayant les stocks de dette les plus importants et souvent les rendements les plus bas. Du fait de ces contraintes non économiques, il y a des opportunités dans lesquelles la gestion obligataire value identifie des incohérences sur le taux de rendement. Le point de comparaison avec la gestion value action, c’est la recherche de diversification et de décorrélation. La différence essentielle est que la prime de rendement a vocation à se résorber à un horizon défini qui est la maturité de l’obligation, ce qui permet de concrétiser plus facilement en performance, à moins d’un défaut qui reste un phénomène rare. Ainsi la gestion obligataire exclut le phénomène de value trap (trappe à liquidité). Enfin, le marché obligataire est beaucoup plus profond et diversifié en termes d’émetteurs, de subordination, de spécificités de prospectus, de structuration, de maturités que le marché actions ce qui permet davantage de diversification des scenarios d’investissement.

Revenons sur quelques exemples illustrant des incohérences de marché…

Prenons deux émissions équivalentes d’un émetteur: l’une est noté BBB et la seconde n’est pas notée. Cette dernière, pourtant à risque égal avec la première, ne sera pas éligible pour la plupart des portefeuilles , ce qui aboutit à un rendement supérieur. Il en va de même avec la taille des émissions, l’actionnariat, le pays d’origine de l’émetteur ou autres... Ou encore sur des sujets relatifs au marché comme les flux, l’éligibilité à la BCE, ainsi que les mauvaises catégorisations sectorielles de certains émetteurs. Lors de la crise COVID, les agences de rating avaient abaissé les notes des équipementiers automobiles dont la société Autodis qui n’appartient pas à ce sous-secteur. Cette entreprise qui vend des pièces détachées pour les voitures d’occasion a fait une année historique alors que les garages étaient restés ouverts et que la chute des ventes de voitures neuves impliquait plus de réparations du parc existant.

Lorsqu’une société peu connue telle que House of HR, dans l’intérim, émet son unique obligation, il faut un certain temps avant que les analystes ne se penchent dessus. Enfin, beaucoup d’investisseurs comme la BCE peuvent investir uniquement sur des sociétés opérationnelles et non sur les holdings ce qui a créé des distorsions sur le prix de l’émission de la holding financière Heimstaden.

Quelles sont vos perspectives sur le marché?

En ce début d’année, le consensus de hausse des taux se matérialise très vite, comme en 2015. Déjà les courbes de rendement escomptent 4 ou 5 hausses d’ici un an aux Etats-Unis et 2-3 en Europe suite au revirement du discours de la BCE. Les taux européens ont toujours une certaine sympathie avec les taux américains qui sont montés en raison du dynamisme économique et de la capacité de la Fed à gérer un unique pays, une unique croissance et une unique monnaie. Les dynamiques de la BCE sont très éloignés avec des dichotomies entre les pays du Nord et du Sud. Son but est de maintenir la stabilité de la zone Euro et de rétablir artificiellement une certaine homogénéité entre pays périphériques très endettés et à la croissance faible et pays core, notamment l’Allemagne, aux fondamentaux solides. Un retour vers le niveau au-dessus de zéro n’est donc pas une priorité pour elle. Les taux réels négatifs sont aussi positifs pour le désendettement des Etats membres et la possibilité de financer des déficits budgétaires structurels élevés. Il est probable qu’on revoit, à moyen terme le même découplage de taux entre les Etats-Unis et l’Europe qu’au cours de la décennie 2010. En Europe, des taux qui montent seraient plus une opportunité qu’un risque de crack.