Marchés émergents: quelles perspectives?

Salima Barragan

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«Le COVID-19 a accéléré les tendances structurelles existantes», estime Richard Titherington de J.P. Morgan AM.

Trêve de la guerre commerciale, reprise chinoise, rebond de l’activité manufacturière mondiale: tous les ingrédients sont réunis pour soutenir les actions des pays émergents. A l’occasion du J.P. Morgan Media Tour, cette année en format entièrement digital, Richard Titherington, CIO and Head of Emerging Markets and Asia Pacific Equities nous livre ses perspectives sur ce vaste marché à la lumière de l'actualité récente. Entretien.

Le mot «déglobalisation» est sur toutes les lèvres depuis le confinement. Comment ce récent retournement de tendance affectera-t-il les marchés émergents qui se sont construits avec la mondialisation?

Ils ne seront pas impactés par la démondialisation.  Il y aura toujours des opportunités au sein des grands marchés domestiques comme l’Inde. Déglobalisation ou pas.

Comment la redéfinition de la chaîne d’approvisionnement chinoise va-t-elle réorganiser l’activité manufacturière asiatique?

Sa redéfinition profitera à la Thaïlande, à Taïwan et au Vietnam où Samsung est déjà en train de construire des unités. Produire en Chine devient onéreux, et beaucoup de sociétés ont déjà commencé à délocaliser leur production dans ces pays voisins plus abordables.

Les élections américaines pourraient-elles semer le trouble sur les marchés asiatiques?

Une victoire de Biden, qui cherche à atteindre les accords de Paris sur la transition climatique et à retourner certains programmes de Trump, pourrait devenir un vent contraire pour certains projets spécifiques. Mais en fin de compte, les élections n’auront pas d’impact car les tendances structurelles qui prédominent en Asie resteront intactes, quelle que soit l’issue du scrutin.

Dans le domaine des soins de santé, la Chine a déjà orienté
ses efforts vers la fabrication de médicaments plus innovants.
On parle moins de l’Amérique du Sud qui se bat contre un taux d’infection très élevé. Etes-vous confiants sur ces marchés?

La région traverse effectivement une période très difficile… Mais les performances sont bonnes au Brésil et au Mexique contrairement à l’Argentine, au Venezuela et au Pérou. En général, les fonds LATAM ont bien évolué compte tenu du taux d’infection élevé.

Pendant ce temps, les actions chinoises ont remarquablement rebondi. Que pensez-vous de ce marché?

Nous continuons à voir des opportunités après une année de hausse soutenue. Son importance continuera à croître avec le temps grâce aux nouvelles réglementations. La Chine gagne des parts de marché dans le domaine de la technologie grâce à l'amélioration de la propriété intellectuelle. Le gouvernement souhaite devenir plus autonome dans le domaine de la technologie - mais aussi dans d’autres secteurs - en raison des tensions géopolitiques avec les États-Unis. Si l'on considère la composition de la croissance de son PIB, on constate qu'elle est désormais de bien meilleure qualité, avec des contributions croissantes de la 5G, de l'économie d’Internet et de la numérisation des entreprises. Dans le domaine des soins de santé, la Chine a déjà orienté ses efforts vers la fabrication de médicaments plus innovants. Nous privilégions par exemple le secteur des diagnostics et de l’externalisation de la recherche médicale dont la croissance a été accélérée par le virus.

Avez-vous rééquilibré votre portefeuille après le rallye des actions chinoises?

Nous avons pris des profits sur certains titres de la santé et des grands noms d’internet devenus élevés, et avons acheté des titres en Inde et en Indonésie - où les valorisations étaient plus attractives vis-à-vis des autres pays de la région - ainsi que des titres hautement cycliques coréens.

La durabilité ne concerne plus uniquement
les rendements mais aussi les sociétés.
La Chine qui s’est rapidement remise de la pandémie, annonce déjà un PIB à venir en hausse de 2%. Reverra-t-on ses anciennes cadences de croissance?

À mesure que l'économie chinoise s'enrichit, elle subit un ralentissement structurel naturel. Le gouvernement se concentre de plus en plus sur la durabilité de la croissance. Autrement dit, à l’avenir le taux de croissance du PIB sera plus lent que par le passé, mais également moins volatil. Dans le cas d’éventuelles mesures de relance, l'accent sera mis sur les leviers budgétaires plutôt que monétaires, en raison des préoccupations liées à l'effet de levier. Nous ne prévoyons pas une répétition des cycles Boom & Bust d'une ampleur équivalente à ceux du passé.

Comment le cœur de votre portefeuille sur les marchés émergents est-il investi?

Il est axé sur les opportunités de croissance structurelle. La demande a augmenté pour les entreprises technologiques asiatique fournissant des services et des capacités numériques. Plusieurs années de développement et d'évolution des tendances de consommation se sont condensées durant ces derniers six à neuf mois dans le commerce électronique et l'infrastructure en nuage.  Nous sommes aussi exposés à la cybersécurité, la médecine préventive et les diagnostiques. Enfin, la durabilité ne concerne plus uniquement les rendements mais aussi les sociétés et nous intégrons davantage les critères ESG.

Comment la pandémie a-t-elle tactiquement influencé vos investissements?

Nous avons investi dans des sociétés avec un biais domestique. Cependant, la pandémie a agrandi le potentiel des entreprises des marchés émergents. Par exemple, à mesure que nous nous dirigeons vers un monde à haute performance gourmand en mémoire, TSMC jouit d’une meilleure position. Il en est de même pour les sociétés dans la santé et les entreprises de délocalisation à l’heure où la recherche médicale devient de plus en plus coûteuse. Si certains secteurs comme le tourisme et les voyages sont affectés par la pandémie, d’autres secteurs gagnent en importance.

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