Les stratégies Event Driven contre les vicissitudes des marchés

Anne Barrat

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Jouer les événements qui président au destin des entreprises promet un meilleur rendement absolu que les marchés. Avec Xavier Morin de Syquant Capital.

Dans la famille des catalyseurs qui influencent la vie des entreprises se distinguent les «soft catalysts», autrement dit les événements qui vont du versement d’un dividende à une augmentation de capital en passant par la cession d’une activité, une IPO, la décote de holding, SPAC etc., de ceux qui en bouleversent définitivement le cours, les opérations de fusion & acquisition (M&A) en particulier. Combiner les deux au sein d’un même portefeuille garantit une allocation moins sensible aux marchés et plus performant explique Xavier Morin de Syquant Capital.

«Event driven» un concept, deux stratégies: en quoi sont-elles différentes et complémentaires?

Les soft catalysts sont peu sensibles aux conditions de marché, contrairement à l’activité de M&A, dont le «deal flow» est davantage lié à l’environnement de marché. Leurs deal flows sont par ailleurs décorellés l’un de l’autre avec des profils de risques distincts (cas du M&A ayant un risque asymétrique, ce qui n’est pas le cas pour les soft catalyst) – un environnement favorable aux M&A ne l’est pas forcément pour les soft catalysts et vice versa. Autant de caractéristiques qui expliquent que ces deux stratégies sont complémentaires, et qu’il est important de les combiner pour démultiplier la performance et assurer l’équilibre d’un portefeuille – nous visons au moins 6% d’absolute return par an.

«Alors que le deal flow de M&A s’est tari dès mars 2020, celui des soft catalysts a connu une effervescence très porteuse.»
Cette différence s’est-elle vérifiée au cours des deux dernières années?

Sur les transactions de M&A lancées avant la crise de COVID, la plupart ont été retardées. Les rares qui ont été maintenues ont vu leurs termes revus à la baisse et connu un destin chahuté, quand elles n’ont pas tout simplement échoué. Alors que le deal flow de M&A s’est tari dès mars 2020, celui des soft catalysts a connu une effervescence très porteuse, qui a permis de plus que compenser la performance atone engrangée du côté des M&A. A contrario, l’année 2021 a été un exemple de période faste pour les deux stratégies, la conjonction des politiques monétaires accommodantes et de soutien budgétaire alimentant un deal flow riche en opérations ultimes de M&A – même si l’arrivée de l’administration Biden a pu être un frein, avec la nomination de nouvelles personnalités à la SEC ou au département antitrust –  ainsi que de spin off, de rachat d’actions, de blocs secondaires dans le cadre d’IPO et autres événements corporate, …: les entreprises ont fait feu de tout bois.

2022 sera-t-elle aussi porteuse?

La prudence s’impose. Aussi bien aux Etats-Unis, où la situation s’est tendue au premier trimestre, qu’en Europe, où les incertitudes pèsent sur les marchés et empêchent un redécollage franc des économies. Dans l’attente de la levée de l’épée de Damoclès sur la zone euro que constitue le confit en Ukraine, et de la réponse des banques centrales pour juguler l’inflation, l’attentisme freine le deal flow de M&A. Du côté des soft catalysts en revanche, l’Europe continue sur sa lancée de 2021, la transition énergétique créant de belles opportunités. La société Neoen SA, constructeur et exploitant de centrales solaires, de parcs éoliens et d’installations stockage d’énergie en est un exemple, que nous accompagnons dans tous ses événements depuis son IPO en 2018. De belles IPO sont à prévoir sur le secteur énergétique, de l’hydrogène notamment. Nous regardons par ailleurs attentivement la niche des décotes de lignes, une cinquantaine de ligne dont Prosus Tecent, celle des augmentations de capital (Air France) et des arbitrages sur dividende sur indice eurostoxx50.

Là encore, s’illustre la complémentarité des deux stratégies: le M&A s’annonce sous des auspices plus favorables sur le marché américain, d’où proviennent traditionnellement plus de 60% des opportunités, que sur le marché européen qui, lui, ne devrait pas décevoir sur la stratégie de soft catalysts, dont il représente 60% des opportunités.

«Les montants investis dépendent du «time to completion»; plus la position est grosse dans l’allocation globale, plus la gestion du risque est minutieuse.»
Comment trouvez-vous et gérez-vous ces opportunités?

Notre approche est bottom up et collégiale. Le deal flow est enrichi sur une base quotidienne, chaque opération analysée par deux personnes au moins qui proposent une pondération par position – aucune d’entre elle ne représentant plus de 10% de la NAV. Sur la stratégie soft catalysts, un portefeuille de 60 lignes environ, il nous arrive de prendre de grosses positions pour profiter à plein d’un événement. Les montants investis dépendent du «time to completion»; plus la position est grosse dans l’allocation globale, plus la gestion du risque est minutieuse. L’exposition peut exposition peut varier du simple au double, mais dans tous les cas, nous nous imposons de ne pas être investis à 100%, afin de pouvoir nous positionner à tout moment sur une opportunité. Le portefeuille tourne six fois environ par an.

L’univers des opérations de type «soft catalysts» est beaucoup plus large que celui des M&A, les opportunités d’investissement plus simples à identifier.

Quelles zones sont les plus favorables?

Historiquement les Etats-Unis ont été le marché le plus porteur, pour le M&A en particulier. L’Europe est longtemps restée à la traîne, le cas le plus récent étant les SPAC, qu’elle a accueillis avec un retard de dix ans. Ce retard est en passe d’être comblée, l’Europe offrant pour la première fois un environnement porteur de nombreux projets. Que ce soit au Royaume-Uni, pays le plus dynamique en Europe, dans les pays nordiques, qui présentent un tissu riche en sociétés à la fois capitalistes dans l’âme mais profondément marquées par une vision long terme, ou en France, redevenue active depuis 2017 et le soutien de l’administration Macron à des initiatives telles que la French Tech. L’Europe du Sud est en retrait.

Quid de la Suisse?

La Suisse a un profil proche de celui des pays nordiques, dynamique et privilégiant le durable. Le marché offre régulièrement de très belles opérations, tout le monde a en tête la fusion entre Holcim et Lafarge. Un autre exemple est celui de Vifor Pharma, société suisse valorisée à 10,5 milliards de francs, qui a fait l’objet d’une OPA par la société australienne CSL, désireuse de renforcer sa position de leader dans de nombreux domaines pharmaceutiques. Convaincus des synergies de cette opération et du bon couple rendement/risque qu’elle présente, nous avons participé à l’augmentation de capital de CSL fin 2021 pour financer l'offre fondée sur une prime de 61% par rapport au cours de clôture de l'action Vifor Pharma au 1er décembre 2021 et dont le dénouement est attendu dans quelques mois.