L’Italie semblait faire partie des gagnants du changement de régime fiscal britannique («non dom resident»). Mais le gouvernement de Giorgia Meloni vient de décider de presque doubler (de 100 000 à 200 000 euros) son forfait fiscal sur les revenus étrangers des plus fortunés. Le régime fiscal censé attirer les grandes fortunes, italiennes ou non, existe depuis 2017. Au cours de la période fiscale 2022, 1136 individus fortunés ont opté pour le régime, selon les autorités.
Est-ce que l’Italie conservera ses charmes fiscaux? Alessandro Cianci, Head Wealth Planning for Italy, Edmond de Rothschild, répond aux questions d’Allnews:
Est-ce que l’Italie est en train de gagner dans la concurrence pour attirer les familles fortunées malgré le relèvement du forfait fiscal?
La décision du gouvernement a surpris les experts. Elle a été prise sans consultation préalable. Mais s’il y a doublement du forfait fiscal à 200'000 euros, les autres points que comprend ce régime fiscal n’ont pas été modifiés. La loi pourra être amendée dans les 60 jours et devra être approuvée par le parlement.
Plusieurs gouvernements se sont succédés depuis 2017 mais aucun n’a modifié ce régime fiscal. L’Italie peut donc souligner sa stabilité fiscale. Au début 2024, un changement est intervenu mais il s’est limité aux nouveaux arrivants et n’a donc pas porté sur les personnes résidant déjà en Italie, lesquelles continuent de bénéficier d’un régime plus favorable que le nouveau.
Quelles sont les réactions des personnes au bénéfice de la Flat tax?
J’ai pu m’entretenir avec quelques-unes de ces personnes. Elles ont évidemment été surprises par la modification mais, après s’être renseignées, elles ont vu qu’elles n’en seraient pas affectées.
La question concerne les personnes qui réfléchissent à un futur changement de résidence au profit de l’Italie, en 2025 ou 2026. Une telle décision concerne plusieurs membres de la famille et s’inscrit dans un long processus. Malgré le relèvement du forfait, il n’en demeure pas moins qu’il restera intéressant pour nombre de ses familles de se relocaliser en Italie du fait de la stabilité des autres éléments du régime fiscal.
«La relocalisation en Italie n’est pas seulement favorable sous l’angle fiscal»
Pourquoi?
Ce système de forfait est en effet étendu aux autres membres de la famille. La durée est de 15 ans et il permet, de travailler en Italie. Il prévoit aussi une exemption pour les donations et les successions ayant pour objet des biens situés à l’étranger. Si une personne a l’intention de transférer ses actifs aux enfants ou à d’autres membres de la famille, ce régime demeure attrayant.
La relocalisation en Italie n’est pas seulement favorable sous l’angle fiscal. Toutes les régions d’Italie offrent des qualités de services avec des avantages plus ou moins forts. Qu’il suffise de penser aux connexions qu’offre Milan, une ville au cœur de l’Europe, ou à la qualité de ses écoles, sachant que certaines universités italiennes se situent dans les classements des meilleures au monde. Tous ces aspects pris en compte, le doublement du forfait est une décision risquée de la part du gouvernement mais elle ne met pas nécessairement en cause l’ensemble des avantages d’une relocalisation en Italie.
Quelle catégorie de personnes sont prêtes à quitter le Royaume-Uni pour s’établir en Italie?
Plusieurs catégories d’individus très différents en font partie. Il s’agit par exemple d’associés de sociétés de private equity parce que le régime fiscal italien permet à ces personnes de continuer à travailler en Italie, mais aussi des retraités très fortunés dont le patrimoine se situe peut-être en partie à l’étranger et prévoit une distribution de revenus stable, peut-être à partir de trusts ou holdings étrangères. L’investisseur paie un impôt forfaitaire annuel de 200 000 euros mais il n’a pas besoin d’effectuer de tâches administratives (reporting) sur l’ensemble de ses actifs. De plus, avec le changement intervenant au Royaume-Uni, de nombreuses personnes évaluent les avantages et les inconvénients d’une relocalisation en Italie.
Quels sont les autres principaux facteurs fiscaux qui participent à ce genre de décision?
La fiscalité de la fortune est l’aspect le plus significatif. Dans le contexte d’un lieu de résidence en Italie et d’actifs à l’étranger, le régime ordinaire exige un reporting et des taxes sur les avoirs à l’étranger. Mais avec l’impôt forfaitaire, ce n’est pas nécessaire.
Différentes personnes viennent aussi en Italie sans bénéfice du forfait et choisissent le régime ordinaire parce le transfert d’entreprise en Italie est très avantageux. En Italie, la transmission des entreprises est entièrement exemptée fiscalement si les héritiers ou donataires décident de poursuivre l’activité cinq ans après la donation ou la succession. Les autorités ont l’intention d’étendre explicitement très prochainement ce régime à des entreprises localisées dans l’Union européenne.
Quels sont les comportements à éviter pour éviter de mauvaises surprises en Italie?
Les considérations non fiscales sont à étudier en profondeur. Des personnes désirant se relocaliser en Italie mais sans expérience précédente dans les villes de la péninsule pourraient être négativement surprises par exemple si elles choisissent une localité éloignée d’un centre tel que Milan ou Rome. L’endroit peut être idéal pour y passer des vacances mais s’avérer compliqué pour répondre aux exigences de vie quotidienne ou de mobilité d’un entrepreneur. J’ajouterai que 100% des bureaux d’avocats qui interviennent dans une relocalisation connaissent parfaitement les régimes fiscaux italiens et effectuent une due diligence des actifs de la personne intéressée et des enjeux potentiels.
L’Italie ne crée pas de problèmes avec des entreprises étrangères ou des véhicules tels que les trusts étrangers mais il est nécessaire de procéder à une analyse avant de prendre une décision de relocalisation et d’obtenir une confirmation des autorités fiscales italiennes via un rescrit fiscal. Le revenu découlant d’un trust étranger est considéré comme un revenu étranger par exemple et il est normalement couvert par la flat tax. Mais si un ou des actifs italiens sont compris dans le trust il sera nécessaire de prêter une attention majeure.
«Différentes personnes viennent aussi en Italie sans bénéfice du forfait et choisissent le régime ordinaire parce le transfert d’entreprise en Italie est très avantageux».
Quel est le coût d’une relocalisation en Italie pour couvrir les aspects juridiques?
Le coût dépend du nombre d’heures de travail consultants ou des avocats pour la le due diligence. Dans le cas d’une situation de «plain vanilla», soit une personne qui n’a pas résidé en Italie auparavant et qui n’a pas de membre de la famille ni d’actif dans le pays, le coût devrait probablement osciller entre 15 et 30'000 euros. Mais si le candidat à la relocalisation détient des structures complexes à l’étranger et possède déjà certains actifs en Italie ou si des membres de la famille sont déjà en Italie, les consultants doivent alors effectuer une due diligence plus approfondie. Le coût de la relocalisation sera alors supérieur. L’une des conditions nécessaires pour bénéficier de la Flat tax consiste à ne pas avoir résidé en Italie au cours des neuf dernières années fiscales précédant la relocalisation en Italie.
La situation n’est pas entièrement nouvelle puisqu’avant l’annonce du changement de loi au Royaume Uni, de nombreux résidents du Royaume-Uni venait déjà s’installer en Italie. Les changements annoncés pourront produire une accélération de ce mouvement parce que la modification du statut de «résident non dom» aura des conséquences majeures. Le nouveau régime «FIG» durera seulement quatre ans et -un aspect important mais sous-estimé- la fiscalité des successions sera potentiellement modifiée, passant du concept de domicile à celui de résidence: Les personnes résidant au Royaume-Uni depuis plus de dix ans seront impactées par l’impôt de succession sur leurs avoirs mondiaux. Si l’on compare les droits de succession britanniques et italiens, il faut savoir qu’une exemption existe en Italie en dessous d’un million d’euros en ligne directe. Au-dessus de ce montant, le taux appliqué se monte à 4%. Au Royaume-Uni, l’exemption porte actuellement sur 325'000 livres sterling et le taux appliqué au-delà atteint 40%, soit dix fois plus élevé qu’en Italie.
Est-ce que vous observez une nette augmentation des relocalisations en 2024?
Cette augmentation est marquée depuis les annonces sur l’abolition du statut de «resident non dom» en avril dernier. Mais ceux qui pouvaient quitter le Royaume-Uni l’ont déjà fait.
Le fait d’avoir des enfants en âge scolaire ou les membres de famille au Royaume Uni sont des contraintes majeures. De même, ceux qui travaillent au Royaume-Uni ne peuvent pas partir du jour au lendemain. Elles attendent que la modification soit effective avant d’éventuellement quitter le Royaume-Uni.
Comme le confirment nos contacts dans la profession, l’Italie est l’une des options préférées pour une relocalisation.
D’autres pays au bénéfice d’une fiscalité modérée tentent aussi de se profiler pour attirer ces personnes. C’est le cas de la Suisse, de la Grèce, de Monaco, de l’Espagne ou de Dubaï. Mais l’Italie a également l’avantage, d’offrir le visa européen (Investor Visa) subordonnée à l’obligation d’investir dans l’économie italienne.
Enfin, l’Investor visa italien n’est pas lié à un investissement immobilier et se distingue ainsi de la Grèce et par le régime en vigueur jusqu’en 2023 au Portugal. Pour un pays qui attire les grandes fortunes, le risque est d’assister à une hausse des prix de l’immobilier qui pénalise la population locale.
Qu’en est-il des aspects immobiliers?
Les prix de l’immobilier de luxe et en centre à Milan et dans certaines villes sont en train de fortement augmenter en partie du fait des relocalisations. En Italie, comme déjà mentionné, l’obtention du visa n’est toutefois pas liée à un investissement immobilier. Pour obtenir un Investor visa, il faut investir dans une entreprise ou réaliser une donation philanthropique.
Est-ce que la Suisse est une option valable pour les personnes résidant au Royaume-Uni?
La Suisse est une très bonne option, du fait de son régime de forfait fiscal, qui est resté très stable au fil du temps. La seule restriction du régime suisse réside dans l’obligation de ne pas pouvoir travailler en Suisse. Le traitement fiscal des structures étrangères doit être également évalué selon le canton choisi.
Une due diligence avant de transférer la résidence est vraiment indispensable.
Mais en général, la Suisse est fiscalement compétitive, sans parler de ses autres points forts, liés à la stabilité politique ou à la qualité du système de santé.
Plutôt que de concurrence entre la Suisse et l’Italie, je préférerais parler de choix de vie différents.
Existe-t-il des taux différents entre les régions d’Italie?
Les différences portent uniquement sur l’impôt communal et régional appliqué aux revenus de source italienne. Mais l’impact est principalement limité aux revenus du travail presté en Italie.
L’immobilier italien est-il attractif pour les étrangers?
Oui. Nous observons une augmentation de l’investissement immobilier de la part d’investisseurs étrangers ces derniers mois. Le marché milanais s’est accru de plus de 30% en dix ans. Mais les centres des villes d’arts et les endroits touristiques aussi ont vu augmenter beaucoup les prix, par exemple le centre de Florence. Pour les personnes physiques, les gains ne sont pas soumis à l’impôt sur les plus-values à condition de conserver le bien immobilier moins cinq ans. L’Italie n’as pas d’impôt sur la fortune immobilière et la seule taxe (IMU) est basée que sur la valeur cadastrale, assez similaire à la taxe foncière française.
Pour l’instant, dans des villes comme Milan, en vertu du potentiel économique, la quasi-totalité des personnes qui achètent un bien immobilier supérieur à 3 millions d’euros sont étrangers. L’intérêt de ces derniers se concentre aussi sur des endroits très touristiques comme Portofino, le lac de Côme, la Sardaigne ou des villes comme Florence.
Qu’en est-il de l’intérêt de jeunes Italiens qui aimeraient revenir en Italie?
Le régime prévu pour les Italiens qui retournent au pays a été modifié début 2024 mais uniquement pour adapter sa durée à 5 ans, contre 10 auparavant et pour réduire l’exemption de revenu, qui était de 70% (donc un impôt sur 30% du revenu en Italie) et qui est passée à 50%. Les statistiques révèlent que 20% des retours en Italie proviennent de talents qui travaillaient à Londres. La France et l’Espagne ont aussi introduit un régime similaire pour faire revenir leurs talents, y compris pour des sportifs.