Les fonds privés bénéficient de la pénurie de financements bancaires

Nicolette de Joncaire

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En Europe, la dette privée gagne en importance avec une multiplication des opportunités. Entretien avec Frédéric Nadal de MV Credit.

Spécialiste du financement des entreprises européennes, MV Credit, filiale du groupe Natixis, opère sur le marché de la dette privée depuis plus de vingt ans. Avec plus de cinq milliards d’encours à fin septembre, l’équipe cible principalement les valeurs défensives de la santé et de l’informatique. Non pas celles de la tech glamour mais des valeurs opérationnelles plus terre-à-terre et plus profitables. Sur un marché où la hausse des taux d’intérêt modifie profondément le paysage du financement d’entreprises, quelques questions à Frédéric Nadal, directeur général de la société de gestion.

Pouvez-vous résumer la structure de votre offre?

Je la résumerais en trois segments: direct lending, hybrid strategies et CLO1 &BSL2. En premier lieu, et pour l’essentiel, nous offrons des investissements sur des prêts directs qui constituent notre activité principale et historique. Ces prêts consistent en des opérations à effet de levier sur de la dette senior ou subordonnée. Les stratégies hybrides, initiées il y a 3 ans en collaboration avec Loomis Sayles, sont un mix d’obligations cotées et de prêts directs et offrent ainsi une liquidité plus élevée que les solutions traditionnelles en dette privée. Quant aux CLOS et aux BSL, ce sont des produits à fort levier mais très diversifiés.

Sur quelle base investissez-vous?

Nous investissons essentiellement en Europe, majoritairement dans des multinationales (qui travailleent au niveau européen ou mondial) dans le secteur de la santé et des logiciels. Permettez-moi de noter ici qu’il ne s’agit pas de grands noms de la tech mais d’entreprises profitables uniquement.

Comment sourcez-vous vos investissements?

Nos investissements en direct lending sont dans 100% des cas réalisés auprès de sociétés dont le capital est détenu par des sociétés de private equity et rarement dans les mains d’une famille ou de l’équipe dirigeante car il est indispensable de pouvoir dissocier actionnariat et gestion.

Comment la désintermédiation progressive en Europe favorise-t-elle le marché de la dette privée?

La sévérité réglementaire vis-à-vis des banques et leur volonté de transiter vers un modèle de rémunération basé sur les commissions plutôt que sur les intérêts, ont accru notablement les opportunités de financement privé depuis 2008. Nous avons constaté que ce marché est beaucoup plus mur aux Etats-Unis où sont établis depuis longtemps des acteurs gigantesques avec des portefeuilles qui se comptent en centaines de milliards d’euros. Mais en Europe, la désintermédiation progresse et le secteur prend une place très importante avec une multiplication des intervenants ce qui laisse présager une consolidation du secteur.

Comment la hausse des taux d'intérêt a-t-elle modifié le marché de la dette privée au cours des derniers mois? Y a-t-il un risque d'assèchement du marché?

En ce qui nous concerne, nous sommes peu touchés par la hausse des taux parce que nous ne prêtons qu’à taux flottants mais, de manière plus générale, cette hausse limite le choix d’entreprises car la charge d’intérêt s’est alourdie et qu’en conséquence, les entreprises hésitent à émettre des emprunts. Il y a un an, avec l’Euribor à 0, les entreprises empruntaient à 4%, aujourd’hui cette charge a presque doublé. Il y a donc effectivement une capacité d’emprunt réduite et le problème de la valorisation des entreprises se pose sur ce marché gelé. Nous avons un peu moins 70 sociétés en portefeuille et, même si leurs résultats sont solides, on voit bien que le rythme de leurs projets décroit et que leur croissance diminue. Même sur de belles entreprises, le ralentissement est général. Le soft landing est déjà bien visible. C’est d’ailleurs ce que les banques centrales cherchent à obtenir pour maintenir une inflation raisonnable. Nos secteurs de prédilection, la santé et les logiciels se tiennent bien mais les secteurs industriels de la distribution qui ont des marges faibles, éprouvent des difficultés.

En Europe, l’inflation des salaires handicape-t-elle déjà ces entreprises?

L’inflation sur les salaires a commencé il y a 18 mois environ et commence à avoir un impact très visible sur la distribution et sur l’industrie.

Il semblerait que les résultats de vos toutes premières stratégies, il y a 20 ans, aient été nettement supérieurs à ceux obtenus par la suite. Pour quelles raisons?

Ces placements correspondent au début des années 2000, avant la politique de taux zéro des banques centrales, un temps où les taux se situaient autour de 5%. Et que nous retrouvons maintenant.

Qui dit hausse des taux, dit hausse du risque de taux. Comment êtes-vous protégés?

Le risque de taux est couvert par les entreprises elles-mêmes. Avant de consentir un financement, nous modélisons l’impact des taux sur la génération de trésorerie des emprunteurs. Nous pouvons aussi par exemple demander que le risque de taux soit couvert pour la majorité de la dette pour deux ou trois ans. Au bout de cette période, l’entreprise doit avoir en principe dé-risqué en diminuant sa dette et nous réévaluons la situation.

Que se passe-t-il si l’entreprise stagne?

Dans un cas extrême, une entreprise dont l’endettement devient trop important par rapport à son profil de croissance peut devenir une «entreprises zombie». Sa structure financière pourrait être restructurée dans ce cas afin de ne pas disparaitre.

Comment intégrez-vous les critères ESG?

Nous avons toujours eu la fibre éthique, sommes signataires des Principes pour l’investissement responsable (PRI) depuis 2012 et pratiquons l’exclusion depuis toujours. Aujourd’hui, l’ESG est intégré dans notre processus d’investissement et de suivi sur la base de notations émises par un prestataire extérieur. Nous étudions le lancement d’une stratégie à impact sur la transition climatique et la décarbonisation.

 

1 Collateralized loan obligations
2 Broadly syndicated loans

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