Les cycliques sont plus attractives que les défensives

Emmanuel Garessus

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Le risque de résultats intermédiaires décevants au sein des cycliques a déjà été en partie intégré, selon Mathieu Racheter, de Julius Baer.

Alors que les données économiques récentes des marchés occidentaux ont été décevants par rapport aux attentes, les places boursières se sont rapprochées de leurs plus hauts niveaux historiques. En Suisse, l’indice SPI s’est bien repris de sa correction estivale, mais il reste dans une étroite bande de fluctuations. Dans ce contexte, faut-il privilégier les valeurs défensives ou les cycliques? Faut-il augmenter la prise de risque? Mathieu Racheter, Head of Equities à la Banque Julius Baer, répond aux questions d’Allnews:

Quelle est votre opinion sur les valeurs défensives?

La hausse était alimentée jusqu’à mi-août par les valeurs de croissance et les cycliques, mais après la correction due à des craintes de ralentissement économique, en particulier aux États-Unis, le dernier rebond a été porté par les segments les plus défensifs du marché. Cela signifie que les investisseurs craignent davantage une récession imminente dans la première économie mondiale.

Nous ne partageons pas cette analyse. Nos économistes estiment à 25% la probabilité d'une récession aux États-Unis au cours des 12 prochains mois, ce qui est inférieur à l'opinion du marché.

Dans une perspective de rendement ajusté du risque, au plan global, nous pensons que les valeurs cycliques sont plus attractives que les défensives.

Qu’en est-il pour les grandes valeurs défensives suisses?

Le marché suisse est particulier avec la forte pondération de Nestlé, Roche et Novartis. Nous ne recommandons à l’achat que l’une des trois actions, à savoir Nestlé, et nous sommes «neutres» à l’égard des deux pharmas.

Roche a longtemps été à l’achat, mais notre analyste a réduit sa recommandation. La pharma est devenue un secteur au sein duquel il faut adopter une stratégie de stock-picking. Les investisseurs se concentrent sur les sociétés qui présentent la meilleure croissance, laquelle se fonde notamment sur les médicaments contre l’obésité et la maladie d’Alzheimer. La croissance du chiffre d’affaires de Novartis devrait s’élever, selon ses propres prévisions, à 4% et celle du bénéfice à 8% sur la période 2023-2027. Ces taux ne dépassent pas la moyenne de ceux du secteur pharma, avec une hausse du chiffre d’affaires de 8% et de 11% pour les bénéfices. Par ailleurs, les actions de Novartis ne se négocient qu'avec une décote de 10% par rapport à la moyenne du secteur. Roche souffre du même problème. Cela signifie que nous privilégions Alcon et Sandoz.

«Le redémarrage (de Nestlé) ne se produira peut-être pas au troisième trimestre, mais notre achat est d’abord basé sur la valorisation.»

Pourquoi recommandez-vous Nestlé à l’achat?

Nestlé souffre d’un affaiblissement de sa croissance depuis l’été dernier. Mais la tendance a pu être arrêtée au deuxième trimestre de cette année. La confiance des investisseurs reste toutefois faible à l'heure actuelle.

L’entreprise devrait maintenant profiter de la nomination du nouveau CEO et d’un recentrage de sa stratégie sur les secteurs de croissance comme le café, l’alimentation animale, la santé. Le retournement de tendance prendra du temps en bourse, mais les valorisations bon marché offrent une bonne opportunité d'entrée pour les investisseurs patients.  

Est-ce que les critiques portant par exemple sur Nestlé Waters en France sont déjà dans les cours?

Il est difficile d'évaluer si toutes les critiques sont prises en compte, mais il est certain qu'une grande partie du pessimisme a déjà été intégrée dans les prix. Le titre est devenu attractif. La hausse dépendra de la concentration continue sur les domaines de croissance et probablement de la sortie des segments moins attrayants (comme le désinvestissement des pizzas surgelées aux États-Unis, par exemple). Le redémarrage ne se produira peut-être pas au troisième trimestre, mais notre achat est d’abord basé sur la valorisation.

Avec le ralentissement conjoncturel, n’assisterons-nous pas à quelques déceptions sur les bénéfices d’entreprises, en particulier dans les secteurs les plus sensibles à la conjoncture?

Compte tenu de la forte sous-performance des valeurs cycliques par rapport aux valeurs défensives ces derniers temps, le risque de résultats décevants a déjà été en partie intégré. Nous continuons à privilégier certes les valeurs cycliques compte tenu de notre évaluation plus optimiste des perspectives de croissance mondiale. Cela dit, nous nous positionnons aussi sur quelques valeurs défensives à des fins de diversification, à l’image de Nestlé, parce qu’elles devraient surperformer, en termes relatifs, au cas où les Etats-Unis entraient en récession (ce qui n'est pas notre scénario de base). 

Est-ce que l’élection de Kamala Harris serait favorable aux défensives ou aux cycliques?

Nous pensons qu’il faut analyser les élections non seulement sur la base du choix entre Kamala Harris ou Donald Trump mais aussi sur celle des résultats du Congrès. Si les élections conduisent à un Congrès divisé, les perspectives d’inflation et de croissance ne seront guère modifiées. 
Un changement des attentes interviendrait si par exemple Donald Trump devait s’imposer ou si les Républicains sortaient gagnants dans les deux chambres. Du fait de l’attente d’une politique budgétaire plus expansive et d’une hausse des droits de douane, il en résulterait une révision à la hausse des perspectives de croissance, d’inflation et de taux d’intérêt. Cela privilégierait les valeurs cycliques.

Quelles sont vos valeurs défensives préférées au sein des small & mid caps suisses?

Nous préférons les valeurs cycliques par rapport aux défensives et les small & mid caps suisses par rapport aux grandes capitalisations en raison de leurs caractéristiques cycliques et de leurs perspectives de croissance des bénéfices plus élevées. Dans une optique à long terme, on s’aperçoit aussi que le rendement des small & mid caps suisses est supérieur à celui des grandes valeurs.

«Malgré notre vision plus prudente à court terme, nous restons dans une tendance structurellement haussière dans les actions.»

Que pensez-vous des assurances suisses, lesquelles se sont bien reprises récemment?

Les assurances profitent encore des hausses de prix intervenues l’année dernière. Mais les rendements de leurs placements devrait bientôt diminuer et les coûts des sinistres augmenter. Les assurances font donc de plus en plus face à des vents contraires. Nous recommandons Zurich Insurance et, dès que la saison des ouragans sera passée aux Etats-Unis, sans doute en octobre, également Swiss Re. Swiss Life est une entreprise bien gérée et intéressante mais sa valorisation est plutôt élevée.

Comment combiner les cycliques avec les tendances structurelles à long terme comme l’intelligence artificielle, la transition énergétique ou le réarmement militaire?

Nous devons intégrer les facteurs séculaires (IA, défense). Notre analyse montre que ce sont surtout des valeurs cycliques qui profitent de ces tendances, notamment des titres technologiques et de l’industrie. Nous avons vu, par exemple, que le secteur des semi-conducteurs est encore dépendant de la conjoncture, mais que les tendances à long terme liées à l'IA sont si puissantes que leur croissance restera forte. Au sein du secteur industriel, les sociétés d'ingénierie électrique en particulier, fortement exposées à l'IA, aux centres de données et à la transition énergétique, bénéficient de moteurs de croissance structurels qui compensent largement les vents contraires cycliques. Nous considérons Eaton et Schneider Electric comme deux des entreprises les mieux positionnées à cet égard, compte tenu de leur vaste offre de produits et de systèmes dans les différents segments de marché. Voilà quelques exemples de tendances à long terme qui l'emportent sur les tendances à court terme.

La Chine a pris plusieurs mesures de relance. Est-ce que les sociétés occidentales les plus engagées dans le pays en profiteront beaucoup?

L'ensemble des mesures d'assouplissement annoncées jusqu'à présent et l'engagement d'un soutien supplémentaire sont des étapes bienvenues vers un soutien politique accru à l'économie en difficulté. Toutefois, les mesures concrètes qui ont été annoncées jusqu'à présent ne devraient avoir qu'un impact limité sur l'économie réelle. Si l'évolution vers une politique monétaire accommodante constitue un plancher pour les risques de baisse des actions exposées à la Chine, une accélération des mesures fiscales reste essentielle pour relancer la consommation et faire en sorte que l’actuel «short-squeeze» se transforme en une reprise durable pour les actions sensibles à la Chine.

Vous vous dites assez prudents à l’égard des actions, mais tout de même confiants. Quel est le potentiel de hausse?

La différence se situe au niveau de l'horizon temporel. Nous pensons qu'à court terme, le profil risque/rendement des actions des marchés développés n'est pas très attrayant. Nous nous attendons à ce que le marché se consolide et à ce qu'une meilleure opportunité d'achat se présente à l'avenir. Sur le plan saisonnier, il apparaît que les mois de septembre et d’octobre sont souvent assez faibles. L’approche des élections présidentielles américaines incite aussi à la prudence. Et nous entrons dans une période de «black-out» qui empêche les entreprises de procéder à des rachats d’actions.

Le 11 juillet 2024, nous avions acheté des options put sur le Nasdaq, qui ont naturellement très bien marché durant la correction d’août. Nous avons réfléchi au rétablissement de telles positions récemment, mais nous nous sommes abstenus parce que la volatilité n’est plus aussi bon marché et que le sentiment et le positionnement ne sont plus aussi euphoriques qu’en juillet. Nous avons donc une position d’attentisme et attendons une consolidation avant une nouvelle hausse. Malgré notre vision plus prudente à court terme, nous restons dans une tendance structurellement haussière dans les actions.

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