Les caisses de pension se méfient du greenwashing

Anne Barrat

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Pour Michèle Mottu Stella, «les caisses accélèreront l’intégration des critères d’ISR dès qu’elles seront convaincues que la performance sera au rendez-vous.»

C’est comme témoin privilégiée de l’évolution des caisses de pensions depuis plus de vingt ans que Michèle Mottu Stella, fondatrice de Prevanto SA, participe à l’ouverture, ce jour, de la 12e édition Geneva Forum for Sustainable Investment. Une occasion pour cette experte de la gestion du passif des institutions de prévoyance de revenir sur les principales évolutions que ces dernières ont connues en matière de mise en œuvre des principes de finance durable.

Comment caractériseriez-vous le lien entre caisses de pension et finance durable?

Les deux partagent un point commun fondamental, elles ont une vision à long terme. Cela dit, les caisses de pensions se méfient de l’étiquette investissement socialement responsable, et ce pour au moins deux raisons. La première, et principale, tient à leur crainte que la performance ne soit pas au rendez-vous. Il ne faut pas oublier que l’objectif n°1 d’une caisse de pensions est de garantir des rentes de manière pérenne à leurs assurés.  La seconde, liée à la précédente, se nourrit du caractère parfois marketing des fonds ESG, dont les membres de Conseil de fondation se demandent s’ils correspondent à une réalité prouvée et mesurable des entreprises dites «vertes» ou s’ils procèdent d’une stratégie de greenwashing – les entreprises n’ont de vertu dans le domaine environnemental que ce qu’elles déclarent. Entre les jolis concepts que tous les professionnels de la prévoyance saluent et leur mise en œuvre concrète, il y a un fossé qui n’est toujours pas comblé.

«Entre les jolis concepts que tous les professionnels de la prévoyance saluent et leur mise en œuvre concrète, il y a un fossé qui n’est toujours pas comblé.»
Ce lien a-t-il évolué?

Un chemin énorme a été parcouru depuis le temps où, jeune auditrice, j’ai assisté avec enthousiasme aux initiatives menées par la fondation Ethos, notamment sa campagne auprès des caisses de pension pour signer et respecter le code de déontologie dans le domaine de la prévoyance professionnelle au début des années 2000. L’apprivoisement des principes de l’investissement responsable s’est fait petit pas par petit pas. Soyons clair: l’approche ESG n’intervient qu’une fois que la stratégie d’investissement a été approuvée, autrement dit l’allocation d’actifs décidée. Les caisses ont aujourd’hui une marge de manœuvre quasiment totale pour décider de la répartition entre les classes d’actifs, quitte à diverger des ratios prévus par la loi LPP, dès lors qu’elles justifient leur choix – être majoritairement investi en immobilier par exemple. En aval et non en amont de la stratégie. Par conséquent, le filtre ESG suppose une étape supplémentaire. Aujourd’hui, nous sommes à une croisée des chemins: les petites et moyennes caisses vont-elles emboîter le pas aux plus grosses institutions de prévoyance, qu’elles soient publiques et privées (celles de grandes entreprises) et déployer les ressources nécessaires pour opérer ce virage ESG? La réponse sera très certainement influencée par l’exemple des caisses pionnières, qui prouve que l’investissement socialement responsable (ISR) et performance font bon ménage.

Quels sont à vos yeux les principaux freins?

Le coût en est un, et non des moindres. L’étude comparative intitulée «Les caisses de pension suisses et l’investissement responsable» réalisée par le WWF auprès de 20 caisses de pensions de toutes tailles, apporte un éclairage intéressant de ce point de vue. Elle indique en effet que «le manque de capacités ou de ressources en interne et les coûts ont été invoquées comme une barrière majeure à l’investissement responsable (identifié comme important ou très important par 11 ou 12 des 16 caisses de pension)».  Un autre frein important a trait au manque de définition générale de la durabilité ou du concept ESG; ainsi que le manque de standard ESG. Une conclusion de cette étude en dit long  sur la vision de la majorité des caisses vis-à-vis de l’ISR, même si l’étude note des progrès par rapport à sa 1re édition portant sur les années 2015/2016 : si les «20 institutions de prévoyance s’intéressent aux aspects liés à la durabilité de leurs placements, il apparaît que peu d’entre elles poursuivent une approche de durabilité globale intégrant de manière relativement systématique les aspects sociaux, écologiques et de gouvernance à leurs processus de placement».

Qu’est-ce qui permettrait de lever ces freins et de changer la donne?

Il faudrait que les conseils de fondation bénéficient de conseils vraiment indépendants qui leur permettent d’évaluer leurs activités de placement, leur portefeuille du point de vue de la durabilité. Les conseils de fondation devraient définir, en parallèle de leur politique d’investissement, une charte globale qui intègre les grandes orientations stratégiques, notamment dans la mise en œuvre de la gestion de leurs actifs. Car c’est au niveau de la mise en œuvre que le bât blesse. Une mise en œuvre qui dépend aussi des partenaires, gérants de fonds, banques, etc. qui s’avèrent plus ou moins judicieux et sincères dans leurs recommandations.
L’industrie financière a un travail important à faire si elle veut parvenir à convaincre l’ensemble des institutions de prévoyance du bien-fondé des critères ESG et les accompagner dans leur intégration concrète au processus d’allocations et de sélection. Ce travail implique la mise à disposition d’outils simples à utiliser, facilement accessibles. Par les membres des conseils de fondation notamment: ce sont des êtres humains qui, comme tout un chacun, se sentant concernés par le réchauffement climatique, souhaitent contribuer aux actions correctrices. A condition que cela ne soit pas au prix de la performance du portefeuille. La performance passe avant tout. Aujourd’hui, il leur est difficile de faire le tri, de séparer le bon grain de l’ivraie.

«L’industrie financière a un travail important à faire si elle veut parvenir à convaincre l’ensemble des institutions de prévoyance du bien-fondé des critères ESG.»
Quelles sont les motivations des caisses de pension à embrasser les principes ESG?

La motivation de loin la plus importante est le devoir fiduciaire, autrement dit de diligence. La seconde est la pression extérieure. Autrement dit, ce n’est pas un mouvement organique.

E, S ou G: tous les critères sont-ils pris en compte de la même façon par les caisses?

Les caisses ont suivi le même cheminement que le plus grand nombre des investisseurs, institutionnels notamment. Lesquels ont commencé par s’intéresser de près au G. Ethos a été leader sur ce point, l’initiative Minder a renforcé les moyens d’action. Aujourd’hui, c’est le E qui est à la mode et centralise toutes les attentions. Le S reste le parent pauvre: reconnu par tous, il souffre de la faiblesse d’outils de monitoring de la performance sociale et sociétale.

Les caisses utilisent-elles le poids qu’elles ont pour pousser l’agenda durable?

Les caisses de pensions suisses disposent d’environ 1’000 milliards de francs d’actifs, elles ont donc un pouvoir qui pourrait être déterminant si elles l’exerçaient de manière proactive. La réalité est autre: elles sont dirigées par des personnes hors du milieu qui ont besoin d’aide pour prendre des décisions, notamment de ce type, sans grand recul sur l’impact des stratégies ISR sur la performance. Tant qu’ils ne seront pas convaincus de l’équation durable/rentable, ils ne seront pas motivés à changer.

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