A l’orée des élections américaines, les marchés boursiers sont au plus haut et le processus de désinflation bien engagé. Est-ce le moment de modifier l’allocation des actifs? Faut-il espérer davantage qu’un rallye à court terme en Chine? Qu’attendre de l’économie américaine et des actions en 2025? Jan Viebig, Chief Investment Officer (CIO) du groupe ODDO BHF, répond aux questions d’Allnews.
La Chine entame-t-elle la reprise tant attendue?
La Chine traverse une crise multiforme. Elle frappe d’abord l’immobilier, qui représente 25% du PIB. Le deuxième problème concerne l’endettement des gouvernements locaux à travers leur financement de ces véhicules d’investissement. Cet aspect est crucial parce qu’en Chine, la croissance est moins stimulée par le gouvernement central que par les véhicules de financement des gouvernements locaux (LGFV: Local Government Financing Vehicles) qui financent le développement de l’immobilier et d’autres projets d’infrastructure. L'endettement local est considérable: il représente 50% du PIB. Le problème réside dans l’interdiction d’émettre directement des crédits qui frappe ces véhicules de financement. La croissance économique chinoise n’atteindra donc que 4,5 à 5% en 2024, soit en-dessous de l’objectif des autorités. Pour résoudre ses problèmes, les récentes mesures de relance prises par le gouvernement vont dans le bon sens. La Banque centrale a nettement réduit ses taux d’intérêt, ce qui a produit un massif rallye des actions chinoises. La question est de savoir quelle sera la prochaine étape.
Qu’attendez-vous?
Le débat porte sur l’effet des mesures sur la consommation. Le ministre des Finances n’a pas chiffré son plan de soutien. D’autres instances dirigeantes ne l’ont pas non plus quantifié. C’est pourquoi, après une hausse de 30%, les actions ont perdu près de la moitié de leurs gains initiaux. La réponse devrait émerger du Comité Permanent de l’Assemblée Populaire Nationale, début novembre. La hausse du marché est le signe que l’action du gouvernement était correcte et qu’elle répondait aux deux grands défis économiques de la Chine. Mais aujourd’hui, personne ne peut connaître le montant du stimulus.
Quelle est votre pondération des actions chinoises?
Ces derniers mois, nous avons augmenté le marché chinois dans notre allocation aux actions émergentes par rapport à sa pondération dans l’indice MSCI émergents. Ces derniers mois, chacun investissait massivement dans les actions indiennes et absolument rien en Chine. Nous sommes donc très satisfaits d’avoir augmenté la Chine depuis quelque temps, mais nous ne modifions pas notre légère surpondération en raison de l’extrême incertitude actuelle.
«Le problème des actions chinoises se situe dans le très faible rendement des fonds propres des sociétés».
Est-ce un rallye à court terme ou le début d’une hausse structurelle?
De nombreuses raisons incitent à croire qu’il s’agisse d’un rallye à court terme tant que le gouvernement n’a pas donné d’indications claires sur la suite de son plan. Il existe une deuxième raison pour ne pas accroître la surpondération, à savoir l’incertitude sur le résultat des élections présidentielles américaines du 5 novembre. Si Donald Trump devait gagner, il mettrait en œuvre un programme qui prévoit d’établir des droits de douane de 60% sur les importations chinoises. L’impact dépendra du taux finalement décidé au Congrès, mais ces tarifs pénaliseraient non seulement l’économie américaine, mais aussi la Chine et l’UE.
Quelles actions chinoises acheter dans ce contexte?
Nous sommes des investisseurs qui privilégient les actions de qualité. Le problème des actions chinoises se situe dans le très faible rendement des fonds propres des sociétés. Il n’est donc pas facile d’identifier de bonnes entreprises. La première idée vise les géants de la tech, comme Alibaba, Baidu et Tencent. Si nous obtenions une réelle solution structurelle, ce qui n’est de loin pas acquis, les investisseurs commenceraient à acheter les valeurs bancaires, les entreprises de consommation de base, de consommation discrétionnaire et les sociétés cycliques. Mais il est trop tôt pour passer à l’acte. D’autres pistes d’investissement existent hors de Chine si l’on croit en une reprise de la consommation future, par exemple l’industrie du luxe européenne.
Est-ce qu’un effet de richesse sur la consommation est possible si les actions chinoises se reprenaient fortement?
Cet effet de richesse serait possible, mais il serait nettement plus modeste que s’il se produisait dans d’autres pays, parce que la détention d’actions est nettement plus modeste en Chine qu’ailleurs. L’essentiel de l’épargne est plutôt investi dans l’immobilier. Il est d’autant plus important de sortir de la crise immobilière. Un géant de l’immobilier comme Evergrande est endetté à hauteur de 300 milliards de dollars, ce qui dépasse toute la dette d’un pays comme l’Afrique du Sud. Le gouvernement avance dans la bonne direction, mais il doit encore jouer son principal atout, à savoir le montant qu’il est prêt à dépenser pour accroître la demande.
Si le montant était déjà connu, le marché ne serait-il pas nettement plus haut?
Oui. Les investisseurs étrangers se réfèrent à l’indice CSI 300, mais je préfère l’indice HSCE, qui représente les valeurs chinoises cotées à Hong Kong. Malgré sa récente hausse, cet indice reste très bon marché, avec un PER de 9,7 fois, en raison d’un faible rendement des fonds propres. Beaucoup de sociétés chinoises ont détruit de la valeur sur une longue période. Le coût des fonds propres a dépassé le rendement des fonds propres. La cause est à chercher dans les interventions gouvernementales dans l’économie. Le marché risque aussi d’être fortement pénalisé par la hausse des droits de douane américains si Donald Trump était élu président.
Précisément aux États-Unis, quelle est votre analyse des actions américaines à la veille des élections?
Nous y investissons aussi à long terme dans des sociétés de qualité. Avec cette approche, nous trouvons beaucoup plus d’opportunités aux États-Unis qu’en Europe et en Asie, parce que le rendement des fonds propres y est nettement supérieur. Nous sommes très positifs sur les actions américaines. Dans l’indice MSCI Monde, qui contient des titres de 23 pays, les 10 plus grandes entreprises, en termes de capitalisation boursière, sont américaines. Leur rendement des fonds propres et leur degré d’innovation sont plus élevés, et leur accès au financement est d’autant plus aisé.
«Si le marché américain est cher, l’indice de référence à pondération égale n’est pas plus cher que sa moyenne historique à long terme».
Ne craignez-vous pas une récession aux États-Unis?
Une récession surviendra tôt ou tard, mais elle est très improbable ces prochains 12 mois pour trois raisons. La première tient à la récente pentification de la courbe de rendement, après avoir été longtemps inversée. Elle devrait continuer de se pentifier avec les futures baisses des taux courts. Nous prévoyons quatre ou cinq réductions des taux de la Fed d’ici juin 2025. La politique monétaire est actuellement très restrictive. Les taux courts sont au-dessus du taux neutre. En cas de ralentissement conjoncturel, les taux diminueraient vers ce taux neutre, qui se situe à 2,9%.
Quelles sont les autres raisons?
Le marché de l’emploi est très solide. Le taux de chômage est de 4,1% et les créations d’emplois sont exceptionnellement fortes. Nous considérons la loi de Sahm, qui prend pour critère d’anticipation du début d’une récession une hausse du taux de chômage d’au moins 0,5 point en trois mois. Cette règle montre qu’une récession est improbable. Il n’y a d’ailleurs pas de vague de licenciements dans les entreprises.
Les chiffres de l’emploi ne pourraient-ils pas être fortement révisés à la baisse?
Même une révision de 0,2 ou 0,3 point du taux de chômage, qui serait considérable, ne changerait pas notre vue. Le taux de chômage est proche du plus bas des 50 dernières années. La troisième raison est liée à l’évolution des indicateurs avancés, comme le PMI (54,3), qui signale la poursuite de la croissance. Au deuxième trimestre, le PIB s’est accru de 2,8%. Un ralentissement est probable, mais pas une récession.
La contraction de la masse monétaire n’est-elle pas un mauvais signe?
Depuis des années, la croissance monétaire s’est fortement accrue parce que la Fed a massivement injecté des liquidités lors de chaque crise. C’est pourquoi les agrégats monétaires sont nettement trop élevés aujourd’hui, comme en Europe d’ailleurs. Tous les économistes s’accordent pour demander une réduction de l’offre de monnaie, parce que les banques accumulent excessivement des réserves à la banque centrale. Cela ne conduira pas l’économie vers une récession. Une contraction du PIB pourrait uniquement survenir si les banques n’avaient pas assez d’argent pour octroyer des crédits. Nous en sommes très loin.
Quelles sont vos prévisions d’inflation?
Les politiques monétaires restent restrictives. Les taux directeurs sont nettement au-dessus du taux neutre. Cela signifie que l’économie et l’inflation vont ralentir. Après un choc inflationniste, la dernière phase de baisse du renchérissement est la plus ardue. Son évolution dépendra de l’évolution de l’emploi, des salaires et des risques géopolitiques. Il faut savoir qu’un cinquième du pétrole traverse le détroit d’Ormuz. Il serait possible d’imaginer que l’Iran provoque des turbulences qui feraient exploser le cours du baril. La probabilité d’un tel événement est toutefois très faible. Enfin, selon la politique économique américaine qui sera menée l’an prochain, l’inflation pourrait diminuer plus lentement que prévu. L’imposition de droits de douane, par exemple, renforcerait la hausse des prix américains. Je m’attends à un taux d’inflation de 2,5% en 2025 (contre 2,4% en septembre 2024), mais l’incertitude est assez élevée. Les marchés sont plutôt optimistes à ce sujet.
Quelle est la meilleure classe d’actifs pour les 12 prochains mois?
Les actions constituent la meilleure classe d’actifs. Nous les surpondérons dans notre allocation. Certains segments du marché américain sont chers, mais les actions de qualité, au profit d’un rendement des fonds propres élevé, sont à privilégier. Si le marché américain est cher, l’indice de référence à pondération égale n’est pas plus cher que sa moyenne historique à long terme. Les petites et moyennes capitalisations sont les plus attractives. Leur décote par rapport aux grandes capitalisations est au plus haut depuis 2008. L’environnement est donc favorable au stock-picking après des mois de domination des «7 magnifiques».
Est-ce que vous éviteriez les 7 magnifiques?
Non. Il serait stupide de sous-pondérer l’économie du savoir à long terme. Mais il n’est pas sûr que les Nvidia ou Microsoft surperforment à court terme. Il faut diversifier les portefeuilles en faveur d’autres valeurs.
Est-ce qu’un drame peut se produire sur la dette française?
Il y a deux grands risques en Europe: la France et l’Allemagne, chacune pour des raisons différentes. La France doit réduire un déficit public qui pourrait grimper à 7% du PIB. Les mesures prises par le gouvernement vont dans le bon sens, mais elles ralentiront la croissance. La situation de la France correspond à ce que décrivent les manuels économiques quand la dette atteint 110 à 120% du PIB. La croissance économique à long terme sera dorénavant inférieure à son potentiel historique. En Allemagne aussi, mais en raison des effets du vieillissement démographique et des retards massifs des investissements en infrastructures (chemins de fer, écoles, ponts). Le Conseil des Sages pense que, ces dix prochaines années, le taux de croissance annuel n’atteindra qu’un tiers de la croissance passée. De plus, les entreprises n’investissent plus en Allemagne, notamment en raison d’un coût de l’énergie qui correspond à 2 ou 3 fois celui qu’elles rencontrent aux États-Unis. L’Allemagne souffre enfin d’une baisse de la compétitivité de son industrie automobile, un pilier de l’économie allemande, qui se répercutera durant plusieurs années sur la croissance.
Faut-il avoir davantage de cash ou d’or pour se protéger?
Dans une optique à long terme, il est recommandé de détenir en or une proportion de 9,9% de ses avoirs en actions. Si vous avez 50% de votre fortune en actions, vous devriez détenir 5% en or. L’investisseur devrait détenir une part significative en or, sans tenir compte de son niveau à court terme. S’il est à son plus haut, cela tient aux risques géopolitiques particulièrement élevés. La plupart de nos clients ont trop peu d’or en portefeuille en ce moment.