Les Big Fintechs inquiètent les Nations Unies

Salima Barragan

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«Les grandes plateformes sont en passe de devenir les nouveaux géants du système financier global», déclare Aiaze Mitha.

Amazon, Google, Facebook ou Tencent ont-ils atteint une taille leur permettant de dominer le système financier mondial? C’est ce que soutenait l’ONU en filigrane dans un récent évènement sur la gouvernance des Big Fintechs. Au cours de la pandémie, Amazon a consolidé sa position sur le marché du e-commerce américain dont il détient plus de 50%. Google, qui se taille la part du lion avec 31% du marché mondial des annonces numériques, a lancé sa propre carte de débit et constitue déjà la plus grande plateforme de paiement en Inde. Et c’est la tendance. Tous les géants de la technologie développent leur offre de services financiers et convergent vers le modèle du Big Fintechs. Entretien avec Aiaze Mitha, conseiller principal auprès du groupe de travail du secrétaire général des Nations-Unies sur le financement numérique.

Comment les grandes plateformes internet évoluent-elles?

Elles continuent de se développer pour acquérir rapidement une position importante, voire dominante sur leur marché. A partir de là, elles s'étendent sur des secteurs d’activité adjacents afin de créer davantage de valeur pour leurs utilisateurs mais aussi pour accumuler plus de données, leur permettant ainsi de développer de nouveaux services et par la même, de renforcer leur position. Par exemple, WeChat a évolué à partir de son modèle de base, à savoir une application de messagerie, pour ensuite permettre aux utilisateurs de commander des biens et des services, de réserver des vols, de payer des factures et d'envoyer de l'argent. La plateforme étend maintenant son écosystème en introduisant des fonctionnalités qui permettent aux entreprises de créer des mini-applications pour vendre leurs produits directement aux utilisateurs de la messagerie. Aujourd’hui, cette application fait partie intégrante de la vie des Chinois. Il n'est pas surprenant que Facebook, avec ses 2,6 milliards d'utilisateurs actifs, s'efforce d'imiter ce modèle. Mark Zuckerberg souhaite intégrer davantage de solutions de paiements, de commerce et de services privés. Le réseau a récemment déployé le commerce social par le biais de ses Facebook Shops, facilitant la création de boutiques en ligne sur Facebook et Instagram, avec un plan visant à inclure Facebook Messenger et WhatsApp dans un avenir proche. Les Facebook Shops vont probablement intégrer le paiement direct sous la forme de monnaie fiduciaire ou par le biais de Libra.

Les monnaies digitales pourraient accélérer l’inclusion financière et renforcer
la résilience des femmes et des PME dans les pays émergents.
Pendant ce temps, d'autres géants technologiques s'aventurent aussi dans les services financiers…

Apple est passé des services de paiement mobile Apple Pay à la carte Apple. Amazon a déjà prêté plus de 3 milliards de dollars de ses propres fonds aux PMEs sur sa plateforme. Les services de transport comme Grab et Uber se lancent dans les services financiers, notamment des lignes de crédit et des produits d'assurance aux conducteurs. Enfin, Ping An - aujourd'hui la plus grande compagnie d'assurance au monde - s'est aussi transformée en une plateforme technologique qui cumule les traitements des données, les soins de santé et les services financiers. Cela démontre bien la tendance des grandes plateformes digitales du monde entier à adopter des stratégies similaires.

Pourquoi les Big Fintechs, qui favorisent pourtant l’inclusion financière, doivent-elles revoir leurs modèles de gouvernance?

Parce qu’elles ont atteint des tailles critiques et des niveaux de diversification trop importants. La numérisation favorise effectivement les rendements d'échelle via les effets de réseaux, mais aussi la montée de ces acteurs dominants et une forte concentration du marché. Par exemple, les plateformes de e-commerce qui favorisent l’accès au crédit et ouvrent de nouveaux marchés pour les PME, ont aussi tendance à verrouiller ces dernières sur leurs plateformes en échange de lignes de crédit, tout en les concurrençant avec leurs propres produits. Les services de transport fournissent certes des crédits et des produits d’assurance aux conducteurs, mais parfois au détriment de leurs conditions de travail, de leur protection sociale et en appliquant des commissions de plus en plus élevées. Les monnaies digitales pourraient accélérer l’inclusion financière et renforcer la résilience des femmes et des PME dans les pays émergents, mais risqueraient aussi d’avoir des impacts significatifs sur la politique monétaire de pays dont les systèmes financiers sont plus fragiles. Leurs modèles de gouvernance doivent mieux tenir compte des effets négatifs et maximiser les positifs.

Comment pourraient-elles le faire?

Ces plateformes pourraient avancer des structures innovantes de gouvernance d'entreprise et des approches responsables. C'est de plus en plus le cas mais encore insuffisant.  

Leurs pratiques commerciales discutables sont-elles vos seules préoccupations?

Non, nos principales préoccupations concernent leur impacts, positifs et négatifs, sur le développement durable dans de nombreux pays, en particulier sur ceux en développement. S’ils étaient mieux maîtrisés, avec des mécanismes de gouvernance adaptés à cette nouvelle réalité, de nombreux pays émergents pourraient faire un bond en avant vers un avenir plus prospère et plus durable.