Alors que les valeurs technologiques américaines ont dominé l’actualité en première moitié d’année, beaucoup d’investisseurs sont désormais à la recherche de plus de diversification lorsqu’il s’agit de rééquilibrer leurs placements durant le second semestre. Faut-il miser davantage sur les petites et moyennes capitalisations, privilégier plus les valeurs européennes? Eléments de réponse avec Richard Saldanha, gérant de portefeuille chez Aviva Investors à Londres.
Nombre d’analyses et commentaires comparent régulièrement les caractéristiques des actions européennes regroupées sous l’acronyme des «Granolas» (ndlr: Novo Nordisk, LVMH, ASML, Nestlé, L’Oréal, Astrazeneca, Novartis, SAP, Roche, Sanofi, GSK, par ordre de capitalisation boursière) par rapport à celles des «7 Magnifiques» (ndlr: Microsoft, Apple, Nvidia, Alphabet, Amazon, Meta, Tesla) américaines, dominées avant tout par les valeurs technologiques. Comment se comparent ces deux catégories d’actions entre elles et par rapport à leur indice de référence?
L’écart de performance entre les «7 Magnifiques» et l’indice S&P 500 est beaucoup plus marqué que ce n’est le cas entre les «Granolas» et les indices des actions européennes correspondantes. Cela peut s’expliquer pour deux raisons. D’une part, les Granolas incluent plusieurs valeurs pharmaceutiques qui, hormis Novo Nordisk, n’ont pas progressé dans une mesure similaire à celles d’autres secteurs, comme les valeurs technologiques par exemple. Des titres comme GSK, Roche ou Novartis, par exemple, affichent des niveaux de valorisation qui n’ont rien d’excessif. Les valorisations des Granolas sont, en moyenne, beaucoup plus modestes que celles des 7 Magnifiques. Les actions des Granolas sont même relativement bon marché – à l’exception de Novo Nordisk. Cela dit, il y a tout de même des différences de valorisation relativement importantes entre les valeurs qui font partie des Granolas elles-mêmes.
«L’histoire montre que les phases durant lesquelles les marchés restent fortement concentrés autour d’une poignée de titres sont généralement suivies par une inversion de tendance dans l’autre sens.»
D’autre part, à la différence des 7 Magnifiques dominées par la Tech, les Granolas sont relativement diversifiées en termes sectoriels: elles se répartissent entre les secteurs de la pharma (Roche, Novartis, GSK, Sanofi, AstraZeneca), de la consommation (Nestlé), et du luxe (LVMH, L’Oréal). En résumé, les Granolas affichent à la fois des valorisations plus raisonnables que les 7 Magnifiques et elles ont aussi l’avantage d’être plus diversifiées d’un point de vue sectoriel. Les 7 Magnifiques représentent désormais environ 30% du S&P 500, ce qui est historiquement un degré de concentration relativement élevé. Or, l’histoire montre que les phases durant lesquelles les marchés restent fortement concentrés autour d’une poignée de titres sont généralement suivies par une inversion de tendance dans l’autre sens.
Si l’on revient aux titres liés au secteur pharmaceutique, il est intéressant d’observer à quel point la thématique des traitements liés à l’obésité a gagné en importance récemment, comme le montre l’exemple de Novo Nordisk. N’y a-t-il pas là un risque de trop grande concentration autour d’un seul thème ou domaine thérapeutique?
Bien sûr, les performances affichées par Novo Nordisk au Danemark ou Eli Lilly aux Etats-Unis est impressionnante en lien avec la thématique des traitements GLP-1. Roche essaie aussi d’amener son propre médicament dans de domaine. Pour autant, il ne faut pas oublier que des grands groupes pharmaceutiques faisant partie des Granolas comme Novartis, Roche ou GSK ont aussi un pipeline de médicaments candidats importants dans le domaine de l’oncologie ou en lien avec les maladies rares par exemple. Il y a donc d’autres sources de revenus qui vont apparaître pour les valeurs pharmaceutiques faisant partie des Granolas, pas seulement les traitements liés à l’obésité.
Si l’on reste sur le thème de l’obésité, le titre de Roche a bondi de près de 6% en une seule séance à la mi-juillet après avoir annoncé des premiers résultats positifs relatifs à une étude de phase I en lien avec un traitement contre l’obésité pouvant être administré par voie orale. Comment analysez-vous la réaction boursière qui a suivi cette annonce – justifiée ou exagérée?
De manière générale, comment analysez-vous la trajectoire en nette reprise du bon Roche en 2024?
En ce qui concerne la réaction aux données initiales, je pense qu'elle reflète dans une large mesure le marché potentiel du GLP-1 - bien qu'il ne s’agisse que de données de phase 1, il est juste de dire que ces données ont déjà suscité beaucoup d'attention sur le marché. Il est aussi intéressant de noter la réaction négative des actions de Novo Nordisk et d'Eli Lilly observée au même moment, ce qui reflète probablement la possibilité pour Roche d'entrer sur ce marché et d'être un concurrent puissant. Bien qu’il ait été plaisant d’observer des améliorations de la situation de Roche ces derniers temps, un aspect clé, pour que cela se poursuive, sera de parvenir à convertir une partie de leurs produits situés en phase finale ainsi que l’optimisme concernant certains médicaments encore situés en phase de démarrage, tels que ceux destinés à lutter contre l'obésité.
Un autre sujet incontournable en ce moment est celui de l’intelligence artificielle (IA). Pensez-vous que l’IA puisse avoir une influence importante sur la recherche, aussi dans le domaine pharmaceutique?
L’ensemble du processus de recherche nécessite énormément de temps dans le domaine pharmaceutique si l’on considère les tests pré-cliniques jusqu’aux tests de phase III. Le recours à l’IA va permettre non seulement d’optimiser la sélection des candidats médicaments mais aussi d’améliorer la productivité de l’ensemble du processus de recherche. L’apport de l’IA ne va pas se limiter à la seule réduction des coûts – elle transformera l’ensemble des processus de recherche.
Qu’en est-il dans d’autres secteurs, comme celui de la consommation?
Les apports de l’IA seront différents dans chaque domaine. Dans les produits de consommation alimentaires, l’IA aidera une société comme Nestlé, par exemple, à optimiser les processus industriels et logistiques ainsi qu’au niveau de la distribution. Pour des entreprises actives dans le domaine de la cosmétique, à l’exemple de L’Oréal, son utilité se situera plutôt au niveau de la publicité et du traitement des données relatives aux clients. Dans tous les cas, l’IA ne sera pas seulement un outil de réduction des coûts.
«Il est intéressant de noter la réaction négative des actions de Novo Nordisk et d'Eli Lilly observée au même moment, ce qui reflète probablement la possibilité pour Roche d'entrer sur le marché des traitements contre l’obésité.»
Maintenant, je préfère parler des évolutions liées à l’IA plutôt que de parler de «révolution» au sujet de l’IA. Il est à mon sens aussi éronné d’opposer le secteur de la «Tech» par rapport à la «Vieille Economie», comme on l’appelait parfois au début des années 2000. Certains groupes industriels, à l’exemple de Schneider Electric en France, utilisent de nombreuses possibilités en lien avec l’IA. Il n’existe plus vraiment de «vieille économie» aujourd’hui.
Si l’on sort de l’univers des entreprises faisant partie des «Granolas», y a-t-il d’autres entreprises européennes qui vous paraissent intéressantes à suivre actuellement?
Il y en a évidemment beaucoup. On peut citer l’exemple de la société d’édition professionnelle néerlandaise Wolters Kluwer qui propose des logiciels et des informations spécialisées dans divers domaines tels que la santé, la fiscalité, le droit ou la comptabilité. Cette société est parvenue à croître de manière régulière et elle poursuit son développement dans plusieurs marchés. Ou encore la société britannique Relx qui fournit des bases de données dans le domaine juridique.
Globalement, comment analysez les chances et risques pour les marchés en seconde moitié d’année?
Côté risques, la deuxième moitié de 2024 restera marquée par les incertitudes liées à une année électorale importante. On a pu s’en rendre compte en France au mois de juin, on le voit actuellement avec les récents rebonds concernant l’élection présidentielle aux Etats-Unis qui aura lieu en novembre. On ne peut pas mettre de côté le paramètre politique qui restera une source de volatilité potentielle pour les marchés ces prochains mois.
S’y ajoute bien sûr aussi la situation géopolitique qui reste tendue dans plusieurs régions. La géopolitique reste un défi en arrière-plan dont il faut tenir compte.
A l’inverse, les tensions qui étaient perceptibles lors de la publication de chaque statistique en lien avec l’inflation ou lors de chaque annonce en rapport avec les taux d’intérêt ont à mon avis quelque peu diminué. Certes, la bataille de l’inflation n’est pas encore gagnée et les taux d’intérêt pourraient demeurer élevés pendant encore un certain nombre de mois. Dans l’ensemble, les marchés se sont, me semble-t-il, faits à l’idée qu’il faut compter avec seulement 1 ou 2 baisses des taux directeurs aux Etats-Unis jusqu’à la fin 2024, au lieu de 6 comme cela était attendu en fin d’année dernière.