Le scénario d’atterrissage en douceur aux Etats-Unis n’est pas remis en question

Yves Hulmann

4 minutes de lecture

Jonathan Toub d’Aviva Investors observe que nombre d’entreprises américaines ont déjà commencé à transférer après le Covid une partie de leur production vers des pays plus proches.

 

Si un certain nombre d’entreprises américaines ont transféré après le Covid une partie de leurs activités de production vers des pays plus proches comme le Mexique, il ne faut pas perdre de vue que les pays émergents sont très imbriqués également entre eux et que les liens de ceux-ci avec la Chine restent importants. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump contribuera certainement à soutenir l’inflation. Pour autant, il ne faut pas s’attendre à ce que tout change du jour au lendemain uniquement parce qu’il y a un changement de gouvernement aux Etats-Unis, met en perspective Jonathan Toub, gestionnaire de fond chez Aviva Investors. Le point sur les perspectives pour les Etats-Unis, les marchés émergent et ce qu’il faut retenir de la récente COP 29 avec Jonathan Toub qui s’exprimait à l’occasion d’un récent passage en Suisse.  

Quels sont les développements les plus importants à considérer en lien les marchés des actions, et plus spécifiquement en rapport avec les marchés émergents en ce moment?

Qu’il s’agisse des marchés des pays développés ou de ceux des pays émergents, les répercussions en lien avec le résultat des élections américaines de novembre restent d’actualité et elles continueront certainement de l’être au cours des prochains mois. 

Concernant le contexte macroéconomique actuel dans son ensemble, l’une des tendances les plus importantes de ces derniers mois est le recul de l’inflation, qui s'est rapprochée peu à peu des objectifs des banques centrales. Au cours des derniers mois, soit en août, septembre, octobre, la croissance du PIB a, elle, été régulièrement supérieure aux attentes à la fois aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. S’y est ajouté un certain nombre de mesures de relance annoncées par la Chine en octobre. Parmi les autres pays industrialisés, le Japon performe plutôt bien actuellement. 
Dans l’ensemble, les perspectives de croissance pour l’économie mondiale sont plutôt stables – le scénario d'atterrissage en douceur aux Etats-Unis n'est pas remis en question. Dans l’ensemble, nous anticipons à la fois une croissance plus élevée mais aussi une inflation légèrement plus élevée résultant de la direction de la politique telle qu’elle a été indiquée par Donald Trump.

«Donald Trump va négocier avec les autorités d’autres pays pour obtenir certains avantages mais il n'est pas certain qu’il applique toutes les mesures qu’il a annoncées durant sa campagne.»

Quels sont les aspects qu’il faudra surveiller en particulier ces prochains mois?

Parmi les aspects à surveiller, l'inflation des services demeure relativement tenace au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, les risques d'ordre politique et les incertitudes en lien avec la nouvelle administration qui prendra ses fonctions en janvier prochain resteront un sujet de préoccupation. Les investisseurs seront en particulier sensibles à un environnement potentiellement plus inflationniste résultant de la mise en place d’éventuelles nouvelles barrières tarifaires. La remontée des taux d’intérêt des emprunts d’Etat à 10 ans, observée depuis la mi-septembre, reflète aussi cette situation.

Faut-il craindre une légère remontée de l’inflation en raison de l’imposition de droits de douanes sur les biens importés aux Etats-Unis?

Concernant les craintes spécifiques liées à l’imposition de nouveaux droits de douanes sur les produits importés par les Etats-Unis, il y aurait une limite à cette politique. Donald Trump promettait d’imposer à hauteur de 60% les produits importés de Chine et à hauteur d’environ 10% pour les autres pays. Il ne faut toutefois pas oublier que l'imposition de droits de douane augmente les prix des produits achetés par les consommateurs américains et les coûts de production pour les entreprises aux Etats-Unis. Cela tendrait à réduire les bénéfices des entreprises et augmenterait les coûts de la vie outre-Atlantique. De plus, Donald Trump est ce que l’on appelle un «deal maker» plutôt qu’un pur idéologue – même si certaines personnes de son entourage le sont davantage. Il va négocier avec les autorités d’autres pays pour obtenir certains avantages mais il n'est pas certain qu’il applique toutes les mesures qu’il a annoncées durant sa campagne.

Qu’en est-il de la situation dans les pays émergents? Certains pays émergents pourraient profiter de la tendance à la relocalisation d’une partie des activités de multinationales hors de Chine?

Les économies des pays émergents évoluent souvent avec des trajectoires un peu différentes. Au Brésil, par exemple, la banque centrale a recommencé à augmenter ses taux directeurs en septembre, après les avoir abaissés depuis la deuxième moitié de 2023 et jusqu’au début de cet été. 
En ce qui concerne la relocalisation d’activités hors de Chine, il y a déjà de nombreuses entreprises américaines qui ont commencé à transférer, après le Covid, une partie de leurs activités de production vers des pays plus proches comme le Mexique. Toutefois, il faut se rendre compte que les pays émergents sont très imbriqués également entre eux et que les liens avec la Chine restent importants. Le constructeur automobile chinois BYD est en train d’ouvrir d’importants sites de production au Brésil, en Thaïlande et en Hongrie. Donc, il ne faut pas s’attendre à ce que tout change du jour au lendemain uniquement parce qu’il y a un changement de gouvernement aux Etats-Unis. 

«Le constructeur automobile chinois BYD est en train d’ouvrir d’importants sites de production au Brésil, en Thaïlande et en Hongrie.»

En matière de relocalisation d’activités hors de Chine, plusieurs pays asiatiques comme l’Indonésie, la Thaïlande ou le Viet-Nam ont de nombreux atouts à faire valoir, notamment grâce à des coûts du travail plus bas, et ces pays profiteront certainement de la recherche de diversification des activités de production entre plusieurs pays. 

De même, la Corée du Sud, qui est l’un des principaux alliés des Etats-Unis dans la région, compte parmi les principaux exportateurs de produits vers le marché américain, et devrait bénéficier de cette tendance.

Il a été beaucoup questions de lutte contre le changement climatique, et plus largement de durabilité, au cours des dernières semaines. S’agit-il d’une préoccupation avant tout pour les entreprises des pays développés ou cette dimension est-elle aussi davantage prise en compte dans les pays émergents?

Bien sûr, les pays développés, et l’Europe en particulier, est plus avancée dans ce domaine et beaucoup d’entreprises des pays industrialisés ont mis en place des pratiques qui intègrent la durabilité dans l’ensemble de leur chaîne de production. Maintenant, la durabilité est un long voyage qui n’est jamais achevé. 

Concernant les Etats-Unis, il y a des craintes actuellement que le retour de Donald Trump puisse remettre en question les progrès réalisés ces dernières années. Toutefois, il ne faut pas oublier que plusieurs des États américains les plus importants sur le plan économique sont toujours en mains démocrates. De plus, les multinationales américaines sont justement actives globalement – elles pourraient ne pas modifier leurs pratiques simplement parce qu’un nouveau président a été élu. En outre, les groupes actifs de manière véritablement globale appliquent aussi un reporting global pour l’ensemble de leurs activités, peu importe qu’un site soit situé aux Etats-Unis, en Europe ou en Asie. C’est le cas pour l’utilisation de l’énergie, en matière de règles de travail, etc. 

«Une grande partie du travail lourd en termes de financement de la transition devra provenir de la mobilisation de sources privées plutôt que de sources publiques.»

De notre côté, notre engagement avec les entreprises dans lesquelles nous investissons est véritablement global avec une approche holistique. Nous concentrons de plus en plus une grande partie de notre travail d’analyse sur la gestion des chaînes d'approvisionnement. Nous tenons compte aussi du fait que les sociétés dans lesquelles nous investissons participent ou non à des structures telles que la Taskforce on Nature-related Financial Disclosure (TNFD), qui a élaboré des recommandations pour l’évaluation, la gestion et le reporting des risques liés à la nature.
Il en va de même pour le réseau Science Based Targets Network (SBTN), qui défent les objectifs scientifiques pour la nature. Des groupes comme Holcim, GSK ou Kering qui ont été les premiers à définir des objectifs ambitieux dans ce cadre au cours du mois dernier.

Que pensez-vous des résultats, ou l’absence de résultats, de la récente COP 29 qui vient de se terminer? Quelles sont les leçons que l’on peut en tirer en matière d’investissement durable? 

La COP29 s'est achevée sur un nouvel objectif de financement, mais avec 300 milliards de dollars par an d'ici 2035, il est loin d'atteindre l'objectif de 1,3 billion de dollars et démontre une fois de plus le fossé qui existe entre les attentes des pays développés et celles des pays en voie de développement. L'accord final contient un texte qui vise à définir une trajectoire pour atteindre les 1,3 billion de dollars par an de financement climatique, mais il prend en compte toutes les sources de financement, y compris le secteur privé. Cela souligne les tendances que nous avons vues émerger de la COP 16 en Colombie, liée à la nature, dans laquelle il est de plus en plus clair qu'une grande partie du travail lourd en termes de financement de la transition devra provenir de la mobilisation de sources privées plutôt que de sources publiques. Un autre résultat plus positif a été la finalisation des règles relatives au marché du carbone, qui permet de créer les premiers crédits carbone «officiels» soutenus par les Nations unies et devrait contribuer à asseoir la crédibilité de ce marché et à soutenir sa croissance. 

A lire aussi...