Le risque en priorité absolue

Nicolette de Joncaire

4 minutes de lecture

Avec le retour de la volatilité, la gestion active basée sur l'approche quantitative systématique peut faire ses preuves. Entretien avec Fiona Frick d'Unigestion.

Unigestion a beaucoup évolué. Ses actifs sous gestion ont doublé au cours des six dernières années et la société est devenue, l’an dernier, leader du private equity global sur les petites et moyennes capitalisations avec la reprise d’Akina. L’expertise d’Unigestion s’est élargie mais la gestion des risques par une approche quantitative systématique reste au cœur de sa démarche. Cependant, en dernier ressort, «c’est à l’homme de décider si les modèles peuvent avoir tort» estime Fiona Frick, directrice générale du groupe.

Vous avez changé votre modèle d’affaires et pratiquement doublé vos actifs sous gestion en 6 ans. Comment?

Unigestion a vécu plusieurs vagues. Notre réputation s’est bâtie successivement sur notre gestion obligataire puis sur nos fonds de fonds alternatifs et, ensuite, dans les années 2000 sur notre expertise dans le champ des actions. A partir de 2011, nous avons cherché à construire une boutique de gestion se reposant sur plusieurs piliers: les actions, le Private Equity, la gestion alternative liquide et les portefeuilles multi/actifs. Le but est d’avoir un fort ADN de gestion qui relie ces quatre expertises qui gravitent autour de la gestion du risque, de la construction  efficiente de portefeuilles et de l’utilisation de modèles quantitatifs pour aider la prise de décision de nos gérants. Par ailleurs, en gestion alternative liquide, nous sommes passés d’un modèle d’investissement en fonds de fonds à un modèle d'investissement direct autour du développement de stratégies systématiques exploitant les primes de risques alternatives telles que carry ou  momentum. Début 2017, avec la reprise d’Akina, Unigestion s’est positionné en leader sur le private equity global des petites et moyennes capitalisations.

La gestion quantitative du risque est l’un des moteurs de votre performance. Quels sont les risques que vous surveillez et de quelle manière?

En matière de risques, il faut d’abord définir ceux qu’on ne veut pas prendre et décider de ceux avec lequel on peut vivre confortablement; en fonction du cycle, des marchés et des valorisations. Nous utilisons effectivement une approche quantitative et des outils techniques avancés mais pas uniquement. La limite des modèles mathématiques est qu’ils sont fondés sur des données passées et ne peuvent prévoir les changements de comportement ni les points de rupture du marché. Notre démarche combine des outils de décision quantitative et le jugement humain. La machine nous donne ses indications et c’est à l’homme de décider si elle pourrait avoir tort.

«La limite des modèles mathématiques est
qu’ils sont fondés sur des données passées.»
Est-ce particulièrement vrai lorsque la technologie modifie le comportement des consommateurs?

Cela se vérifie dans certains secteurs, le commerce de détail en est un, où la relation consommateur/fournisseur est en plein bouleversement. La technologie remet à zéro les barrières à l’entrée. Pensez aux investissements de Hilton et des centrales de taxis et à l’arrivée déferlante de Airbnb dans l’hôtellerie ou d’Uber dans le transport urbain alors qu’aucune de ces deux dernières n’avait la moindre expérience dans son domaine. Les certitudes disparaissent.

Et le comportement des investisseurs?

Il peut être biaisé – et pas nécessairement de manière positive – par l’afflux d’information et notamment celle en provenance des réseaux sociaux. Il ne faut jamais oublier que, justement, la technologie accroit les biais. L’effet «moutons de Panurge». Plus d’information ne signifie pas plus de rationalité. Cela fait longtemps que l’on sait que les marchés ne sont pas parfaits et que les investisseurs ne sont pas complètement rationnels dans leur décisions.

Alors pourquoi un traitement quantitatif?

Parce qu’il permet de définir les principes d’investissements auxquels on croit, d’établir des règles et de défendre les positions lorsque la pression devient forte, lors de marchés particulièrement exubérants. Ils dictent une ligne de conduite. On peut s’en éloigner mais c’est au comité d’investissement de justifier le pourquoi de la décision.

«Nous surveillons de près le retour de
l'inflation et le resserement monétaire.»
Quels sont les risques que vous surveillez plus particulièrement à l’heure actuelle?

Le retour de l’inflation et son impact sur les taux gouvernementaux à long-terme Nous passons d'une période‎ de quantitative easing a une période de quantitative tightening ou, pour parler français de resserrement monétaire qui parait assez bien synchronisé entre toutes les grandes banques centrales. S’il est mal géré (sous-estimé ou surestimé), il peut avoir des impacts très négatifs sur l'inflation,  les taux à long-terme, les marchés boursiers et enfin l'économie réelle. L’économie globale est en croissance mais un retournement trop violent des taux peut avoir un impact négatif sur les actions comme on a pu le voir ces derniers jours. Nous restons à ce stade par contre positifs sur l'économie et voyons la période actuelle comme un événement de stress sur les marchés plutôt qu'un début de bear market. Il faudra par-contre s'habituer à un retour de la volatilité.

La nouvelle direction de la FED vous semble-t-elle pouvoir compromettre l’équilibre?

Non, elle me parait agir dans la continuité de Janet Yellen. Il sera intéressant de voir comment le nouveau directeur de la FED va communiquer ces prochains jours puisqu'il a le droit à un baptême du feu avec des turbulences boursières por fêter ses premiers jours. Après une longue période de baisse, le VIX semble remonter.

Y-a-t-il une seule inflation?

Non, avec la dispersion des revenus et l’inégalité de leur répartition, se dessinent plusieurs paniers de population à l’intérieur d’un même pays qui sont affectés de manière différenciée par les hausses de prix. Il faut être très à l’écoute de ces différents groupes car ils ne sont pas impactés de manière uniforme par l’inflation.

«Le VIX et d’autres indicateurs de volatilité
ont été anormalement bas l’an dernier.»
Après une longue période de baisse, le VIX semble remonter. La volatilité risque-t-elle de croitre dans les prochains mois?

Le VIX et d’autres indicateurs de volatilité ont été anormalement bas l’an dernier voire même anesthésiés face aux nouvelles économiques et politiques qui se révélaient au jour le jour. La performance des marchés boursiers a été d’ailleurs au-delà de ce qui constituerait une performance en  ligne  avec le positionnement actuel dans le cycle économique. On voit depuis le début de l’année néanmoins une prise de conscience du risque d’inflation et une réalisation des investisseurs qu’un resserrement monétaire est en train d'avoir  lieu. Les banquiers centraux – et Mario Draghi  en particulier – ont envoyé des messages clairs dans ce sens. La correction de ces derniers jours est saine et montre que le mécanisme de transmission répond. Une volatilité qui remonte et des périodes de stress de marché sont des scénarios normaux en période de reprise économique avec un risque de retour d'inflation et de hausse de taux long trop rapide.

La gestion passive peut-elle continuer de performer dans ces conditions?

La gestion passive tend à acheter ce qui est cher. C’est comme une stratégie momentum qui réagit mal au retournement ou au changement de paradigme. Les temps vont être difficiles tant pour la gestion passive que pour la gestion statique car la gestion du risque et les allocations dynamiques seront des moteurs clés de performance. Une excellente nouvelle pour les boutiques comme la nôtre. C'est dans des années comme 2018 qu'il faudra tirer son épingle du jeu.

Hors Genève, votre principal lieu d’activité est Londres. Ressentez-vous l’impact du Brexit? Songez-vous à quitter la place?

Au moment du choc, nous nous sommes efficacement couverts sur le portefeuille multi-asset de nos clients avec des options avant l’évènement. Il est par contre difficile de comprendre l’impact du Brexit à long terme, tant sur la Grande-Bretagne que sur l’Europe. Le recul est insuffisant. En ce qui concerne notre société, Londres restera notre deuxième hub. La richesse de cultures et de talents y est inégalée.

«La finance doit démontrer son utilité sociale et prouver
qu’elle ne contribue pas à l’aggravation des problématiques.»
Unigestion a signé les PRI et le Montréal Carbon Pledge et depuis l’été 2017, vous êtes au Comité Stratégie & Surveillance de l’association Sustainable Finance Geneva. Investir de manière responsable: est-il devenu une nécessité incontournable?

Depuis 2008, la finance doit démontrer son utilité sociale et prouver qu’elle ne contribue pas à l’aggravation des problématiques. A mon sens, l’ambition sociétale permet de réduire les risques à long terme. Regardez le cas de Fukushima, un examen du comportement de Tepco avant la catastrophe démontre clairement que sa gestion avait dégénéré. Je pense aussi à BP au moment du dossier Deepwater Horizon. La même remarque s’applique à la gouvernance des pays. Ceux qui respectent les normes ESG sont plus résilients.

Développez-vous des stratégies thématiques sur l'ESG?

Trois des 26 milliards que nous gérons le sont sur la base de critères ESG et nous avons une stratégie spécifique du risque carbone.

Genève a-t-elle un rôle leader dans ce domaine?

Très bien positionnée sur la microfinance et maintenant sur les green bonds, Genève peut devenir la capitale de la finance durable européenne. Elle a une vraie carte à jouer.