Le retour de l’inflation est un succès pour la BoJ

Yves Hulmann

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Pour Florian Ielpo de chez Unigestion, la hausse des prix reflète la puissance du cycle dans l’économie nippone.

 

Au Japon, l’année fiscale 2017/18 se termine à la fin du mois de mars. L’occasion pour faire le point sur un marché qui a reculé de 7,6% (indice Nikkei 225) depuis le début de l’année, un peu moins que le SMI (-8,1%) en Suisse et comparé à un recul de 2,3% pour l’indice S&P 500 aux Etats-Unis. Pour autant, les experts soulignent le rôle positif du retour de l’inflation au Japon, après deux décennies de baisse des prix. Entretien avec Florian Ielpo, responsable de la recherche macroéconomique chez Unigestion.

Au Japon, l’indice des prix à la consommation devrait augmenter de 1% en 2018 selon le consensus des prévisions des principaux instituts de recherche, comparé à 0,5% en 2017 et par rapport à -0,1% en 2016. Comment faut-il interpréter ce retour de l’inflation, à un niveau somme toute modeste comparé à ce qui est attendu aux Etats-Unis et dans la zone euro?

Il faut replacer ce chiffre dans le contexte spécifique du Japon qui a connu presque deux décennies de baisse des prix. Le retour vers l’inflation potentielle estimée à 0,5% pour le Japon n’allait déjà pas de soi. Un taux d’inflation de 1% attendu pour 2018 montre que la troisième économie mondiale, c’est clairement un signe que la dynamique est plutôt bonne pour l’économie. Ce surcroît d’inflation est le reflet de la puissance du cycle dans l’économie. En glissement annuel, un taux d’inflation qui varie dans une fourchette de 0,5 à 1,4%, c’est le signe qu’il y a au Japon, comme dans de nombreux autres pays développés, une vague du retour de l’inflation. Un taux de 1,4% en glissement annuel, tel qu’il est ressorti des derniers chiffres publiés en mars, ça semble peu mais c’est quelque chose d’assez incroyable pour le Japon. D’abord, on a assisté à une phase de reflation – une phase de normalisation de l’inflation qui est revenue vers son potentiel. Ensuite, on a même dépassé ce stade-là. C’est un succès très important pour la Banque centrale du Japon.

«Un taux d’inflation de 1% est déjà un grand succès
en ce qui concerne le Japon.»
A plus long terme, l’objectif d’un retour à une inflation de 2%, tel qu’il avait été formulé lors de la discussion au sujet de la politique dite des «Abenomics», est-il réaliste pour le Japon?

Pour le moment, pas. Néanmoins, aussi bien la politique monétaire que la politique budgétaire menées au Japon sont utilisées activement afin de pousser l’économie à générer davantage de croissance et d’inflation. En plus de cela, un des rôles de la BoJ dans sa communication – tout comme c’est le cas pour d’autres banques centrales – est d’ancrer les anticipations d’inflation. Lorsque la Réserve fédérale américaine évoque, dans le cadre de prévisions pour les trois prochaines années, un objectif d’inflation de 2%, cela ne surprend bien sûr personne. Mais à force de répéter toujours cet objectif de 2%, l’idée est d’ancrer les anticipations du marché dans ce but. La Fed répète ce message dans une optique de communication avec les investisseurs, les entreprises, les ménages. Au Japon, la BoJ cherche aussi à orienter les anticipations du marché dans une certaine direction. Même si le renchérissement n’atteindra pas le même niveau qu’aux Etats-Unis, un taux d’inflation de 1% est déjà un grand succès en ce qui concerne le Japon.

Face à ces attentes très optimistes, un renforcement du yen face au dollar et à l’euro, ne risque-t-il pas de venir jouer les troubles fêtes? Compte tenu des turbulences actuelles sur les marchés boursiers, le yen risque de jouer à plein son statut de monnaie refuge. 

Il est intéressant d’observer que le yen avait déjà retrouvé son statut de monnaie refuge en amont du choc de fin janvier et début février – mais pas pendant le choc. Actuellement, il existe deux risques principaux qui sont susceptibles de freiner la reprise et le succès de la politique monétaire au Japon. Premièrement, un scénario de forte appréciation du yen qui, dans ce cas-là, serait un double frein en limitant la reprise de l’inflation, en raison de la réduction des prix des biens importés, et freinant aussi la croissance d’une économie très orientée vers les exportations. Deuxièmement, un possible ralentissement en Chine serait un facteur de risque supplémentaire.

Beaucoup de stratèges restent très optimistes au sujet des actions japonaises. Dans une présentation, Daiwa Securities évoquait une percée de l’indice Nikkei 225 au-delà de 30 000 points (un peu plus de 21 000 points actuellement) ainsi qu’une hausse à 2300 points pour le TOPIX (près de 1700 actuellement), qui regroupe les valeurs technologiques. Quels facteurs parlent en faveur d’une poursuite du mouvement de hausse des actions japonaises?

Globalement, on pense que les principaux indices des actions au Japon disposent encore d’un potentiel de hausse supplémentaire. Il faut distinguer entre, d’un côté, la partie «bruit» sur les marchés qui a été observée récemment, et qui pourrait prendre de l’ampleur si l’on assistait à des chocs plus importants, et, de l’autre, la partie «signal». Pour cette dernière, on voit que l’économie mondiale se porte toujours bien et que le Japon n’échappe pas à cette situation-là. Certes, les actions japonaises ne sont pas bon marché mais il y a des raisons qui le justifient. Le rendement des dividendes, en y ajoutant les rachats d’actions, atteint environ 7% pour les actions japonaises, comparé à un taux de 6% pour les valeurs de l’EuroStoxx, de 4,5% pour le S&P et de 4% pour le SMI. Les actions japonaises, en termes de valeur, gardent un attrait. Elles permettent d’avoir une exposition à la reprise japonaise et aux sociétés exportatrices nippones.

«La consommation joue son rôle mais il ne faut pas
en attendre une impulsion supplémentaire.»
Suite à la récente correction, les valeurs nippones sont-elles plus intéressantes qu’il y a quelques mois?

Oui, c’est notre point de vue. Et cela même s’il y a toujours certains risques macroéconomiques qui sont susceptibles de remettre en question la tendance de fond positive. Parmi ceux-ci, il y a les risques de ralentissement en Chine, de bulle sur les marchés des actions globaux et un «repricing» de l’inflation plus difficile que prévu. Si l’image n’est pas complètement rose, le signal lui-même reste, dans l’ensemble, positif pour le Japon. Et suite à la correction de février, on est revenus à des valorisations qui sont plus attrayantes qu’à la mi-janvier.

Au début des années 2000, beaucoup d’économistes pointaient du doigt la faiblesse de la consommation intérieure au Japon pour expliquer la stagnation de son économie. Quel est le rôle joué par la consommation dans le cycle de reprise actuel?

La croissance du PIB est principalement fonction de l’évolution de la demande extérieure, des investissements et bien sûr aussi de la consommation intérieure. Dans le contexte actuel, la consommation intérieure – même si elle représente entre 60 et 70% de la croissance du PIB au Japon – est proche de sa moyenne historique, même si elle est légèrement supérieure à celle-ci. Je dirais que la consommation tient la route, qu’elle amène ce qu’elle doit apporter au PIB mais qu’il ne faut pas attendre qu’elle serve de moteur supplémentaire à la croissance. En bref, la consommation joue son rôle mais il ne faut pas en attendre une impulsion supplémentaire.