Le récent rebond des marchés, un «ouf» de soulagement

Yves Hulmann

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Selon Didier Saint-Georges, stratège chez Carmignac, des opportunités peuvent apparaître même au sein des secteurs les plus sinistrés.

Il ne faut pas s’attendre à une reprise rapide de l’économie mondiale, même après le déconfinement, prévient le gérant d’actifs Carmignac. En tant qu’investisseur, il vaut la peine de continuer à s’intéresser aux branches les plus touchées par la crise. Car même au sein des secteurs les plus sinistrés, des gagnants finissent par s’affirmer. Entretien avec Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac.

De Standard & Poor’s au FMI en passant par l’OCDE, les agences et grands instituts de recherche révisent à intervalles réguliers leurs prévisions de croissance pour 2020 et 2021, le plus souvent à la baisse. Dispose-t-on désormais peu à peu d’une meilleure visibilité qu’au début du mois de mars?

Lors d’importants moments de ruptures, comme on le vit actuellement, les modèles macroéconomiques classiques ne valent pas grand-chose. Il se peut que des estimations très récentes soient complètement révisées dans deux mois, dans un sens ou dans un autre. La visibilité reste très faible actuellement.

Pourquoi est-elle plus faible maintenant que lors de crises précédentes?

La dimension du choc de l’épidémie de COVID-19 sur l’économie diffère de celles des récessions classiques parce qu’il s’agit d’un choc de demande, donc déflationniste, énorme sur un système économique et financier surendetté, et dont on ne connait pas la durée. On le voit à la réaction de certaines classes d’actifs depuis fin février. Durant la première moitié de mars, on a ainsi observé un début de dislocation du marché de la dette d’Etat américaine – c’est très inhabituel. Normalement, les bons du Trésor américain constituent l’actif sûr par excellence… La même tendance a été observée pour l’or, dont le cours a reculé momentanément en mars, avant de reprendre sa hausse. Ceci a révélé la grande fragilité du système, obligé soudainement de liquider ses actifs sous la pression du désendettement forcé.

Le principal risque est que l’on passe d’une phase de désinflation,
soit une inflation très faible, à une situation de déflation.
Assiste-t-on néanmoins peu à peu à une forme de retour à la normale sur les marchés?

C’est encore difficile à dire. Jusqu’à cette année, on se trouvait dans un environnement de marché caractérisé à la fois par des coûts de financement très bas – ceux-ci ayant été subventionnés par l’action des banques centrales – et par le fait que ces dernières garantissaient aussi une très faible volatilité sur les marchés. Les marchés ont ainsi atteint leurs plus hauts niveaux historiques il y a trois mois alors que l’économie mondiale ne tournait, elle, de loin pas à plein régime. Et alors que les banques centrales n’étaient pas non plus parvenues à faire repartir l’inflation à la hausse. Paradoxalement, c’est cet échec économique qui garantissait aux yeux des marchés que les banques centrales allaient continuer d’être généreuses en liquidités. Ainsi, plus cet échec économique était patent, plus les marchés repartaient à la hausse. Tôt ou tard, une force de rappel allait intervenir.

Maintenant que cet ajustement a eu lieu, quels sont les principaux risques pour les marchés?

Le principal risque est que l’on passe d’une phase de désinflation, soit une inflation très faible, à une situation de déflation. La baisse des prix des actifs financiers peut, elle-même, avoir des effets déflationnistes, par un effet richesse négatif, et se répercuter sur l’économie réelle. Les craintes liées à un scénario de déflation expliquent aussi l’intervention beaucoup plus rapide des banques centrales que lors de la crise financière de 2008 et 2009. En seulement quatre à cinq semaines, les principales banques centrales sont autant intervenues que pendant 18 mois durant la crise financière. Si elles l’ont fait, c’est parce qu’elles ont réalisé que les risques de dislocation des marchés, ainsi que leurs ramifications sur l’économie réelle étaient extrêmement forts.

Comment expliquez le rebond important des marchés entre fin mars et la mi-avril?

Jusqu’à la mi-mars, c’est le scénario du pire qui se profilait et qui dominait sur les marchés. Ensuite, les interventions massives des banques centrales ont permis de reporter un tel scénario. Personne ne s’attend certes à un rapide retour à la normale mais au moins le scénario du pire semble écarté. Le récent rebond correspond à un « ouf » de soulagement.

A quoi peut-on s’attendre pour la seconde moitié de 2020?

Notre scénario central reste celui d’une reprise économique extrêmement lente. On surestime souvent en termes macro-économique l’impact du déconfinement à venir. Prenez l’exemple de la Suède qui n’a jamais fermé ses centres commerciaux, cafés et restaurants, on observe que la consommation avait déjà diminué avant même que d’autres pays européens ne décident de tout fermer. Même lorsque les gens auront le droit de sortir à nouveau librement de chez eux, il ne faut pas s’attendre à ce que les commerces soient pleins d’un jour à l’autre. Le facteur le plus important n’est pas la mesure gouvernementale de déconfinement mais avant tout l’attitude des consommateurs. En Chine, les restaurants et cinémas sont ouverts dans la plupart des villes mais les gens restent prudents. Tant qu’il n’y aura pas de vaccins ou de traitements contre le coronavirus disponibles en grande quantité, les gens conserveront un comportement frileux en matière de consommation. L’activité restera très faible, même après un déconfinement. De même beaucoup d’entreprises seront en mode survie ou consolidation de leurs bilans, davantage qu’en reprise d’investissement.

Même au sein des secteurs les plus affectés par la crise, il vaut
la peine, en tant qu’investisseur, de continuer à s’y intéresser.
Qu’est-ce que cela implique en termes d’investissements – quels secteurs parviendront à se remettre le plus vite de la crise?

D’une part, il y a bien sûr toutes les activités liées à l’économie numérique. Il y a aujourd’hui une multitude d’entreprises dont les chiffres d’affaires ont même augmenté depuis la crise. D’autre part, il y a aussi le secteur de la santé – qu’il s’agisse de la pharma, de la biotech ou des techniques médicales. Ici, il s’agira plutôt d’un renforcement des tendances qui étaient déjà observables avant la crise.

Et quels sont les secteurs absolument à éviter?

Même au sein des secteurs les plus affectés par la crise, comme ceux du transport aérien et des loisirs, il vaut la peine, en tant qu’investisseur, de continuer à s’y intéresser. Certes, ces secteurs continueront encore de souffrir beaucoup de la crise actuelle. Toutefois, même dans les secteurs sinistrés, des gagnants finissent par s’affirmer. Dans dix ans, il y aura aussi toujours des tours opérateurs, des compagnies aériennes ou des hôtels. Si vous arrivez à identifier assez tôt les futurs leaders, cela peut s’avérer intéressant. Souvenez-vous au début des années 2000 - lorsque les entreprises actives dans l’Internet s’effondraient les unes après les autres -, celles qui ont alors survécu sont parfois devenues les géants mondiaux de ce secteur aujourd’hui.

Comment observez que le fait que certaines actions d’entreprises de la «tech» se traitent à nouveau à des niveaux plus élevés qu’en début d’année?

Dans le secteur des technologies, le phénomène dit du gagnant qui remporte la mise («the winner takes it all») existe déjà depuis plusieurs années. Certaines entreprises sont, dès aujourd’hui, déjà les bénéficiaires de la crise générale.

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