Le pouvoir du management (enfin) remis en cause

Salima Barragan

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Les activistes bousculent l’Establishment japonais. Avec Joël Le Saux d’Eurizon.

Issus de la renaissance industrielle d’après-guerre, les Keiretsus sont des systèmes de participations croisées, qui confèrent un pouvoir démesuré à la direction des entreprises au détriment des actionnaires. Les premiers activistes nippons ont surgi au début des années 2000, avec peu de succès. Deux décennies plus tard, ils ont pris du poids dans les conseils d’administration, grâce aux réformes sur la gouvernance et celle pilotée par la Bourse de Tokyo. Les grandes sociétés soucieuses d’attirer les investisseurs étrangers ont compris qu’elles devaient atteindre les standards de gouvernance internationaux. Le point avec Joël Le Saux, portfolio manager chez Eurizon.

Dans le passé, les sociétés japonaises abritaient des conflits d’intérêts en raison des participations croisées. Quels sont les derniers développements en matière de gouvernance?

L’affaire de la fraude comptable d’une grande société est emblématique de la fin du modèle des conglomérats d’après-guerre. Traditionnellement, l’approche des sociétés portait sur une gouvernance privilégiant le management par rapport aux actionnaires. C’est en 2014, que l’introduction du Stewardship Code et la réforme du Tokyo Stock Exchange (revue en 2021), portant sur l’amélioration des conseils d'administration, le contrôle indépendant, la diversité, la divulgation et la durabilité, ont changé cette attitude centrée sur management.

Les participations croisées existent toujours, mais elles se sont en grande partie débouclées. Par exemple, des banques et des assurances abritent toujours des actionnaires silencieux continuellement en accord avec les propositions de la direction. Cependant, la diminution globale des participations a érodé le pouvoir des actionnaires passifs en faveur des actifs. Les votations aux assemblées sont devenues plus vives, suivant de moins en moins les recommandations managériales et les reconductions des conseils, ce qui remet en cause le pouvoir managérial japonais et augmente le poids des activistes. De plus, le Stewardship Code impose aux gérants d’actifs de déclarer leur vote; ce qui rend certaines pratiques plus délicates.

Une autre réforme est attendue en novembre 2024 avec l’extension de l’heure d’ouverture du marché à 15h30 au lieu de 15 heures, pour augmenter le volume d’échanges auprès des investisseurs européens.

Afin d’attirer les investissements étrangers sous-représentés sur le marché japonais, les sociétés suivent de plus en plus les recommandations des prestataires internationaux en matière de vote aux assemblées générales.

Quelles sont les nouvelles normes en matière de gouvernance?

Sous l’administration Abe, le Tokyo Stock Exchange avait entrepris une réforme en créant le TOPIX Prime; une section du marché japonais constituée de sociétés dotées de meilleures gouvernances notamment. Pour en faire partie, le conseil d’administration doit être composé d’un tiers d’administrateurs indépendants, contre deux membres indépendants dans le marché standard.

Les sociétés se sont vite adaptées. Aujourd’hui, 46% des entreprises cotées ont plus d’un tiers de membres indépendants. Sur le TOPIX Prime, près de 92% des sociétés sont composées d’un tiers d’administrateurs indépendants, contre 44% il y a 3 ans. Plus les structures sont grandes, plus elles suivent et dépassent les attentes de gouvernances. Elles visent à atteindre les standards mondiaux afin d’attirer les investisseurs internationaux. Ces changements ne sont pas tant le fruit des efforts du gouvernement, mais plutôt une conjonction d’incitations visant à rendre la place plus attractive.

D’ailleurs, une autre réforme est attendue en novembre 2024 avec l’extension de l’heure d’ouverture du marché à 15h30 au lieu de 15 heures, pour augmenter le volume d’échanges auprès des investisseurs européens.

Comment les activistes sont-ils apparus dans ce paysage empreint d’une forte tradition managériale?

Avant la grande crise financière de 2008, des petits gestionnaires spécialisés avaient commencé à s’attaquer à des sociétés de taille modeste en quête de gains à court terme. Une fois attaquées, ces dernières ont tendance à rendre aux actionnaires les excès de liquidité, à verser de généreux dividendes et à racheter leurs titres. Ces fonds ont toujours ciblé de petites sociétés non soutenues par d’autres d’actionnaires selon le système des participations croisées. De longues années furent nécessaires avant que ces stratégies rencontrent du succès. Récemment, les activistes ont commencé à voir plus grand et se sont attaqués à quelques entreprises de taille moyenne.

Sans surprise, les cours de bourses ont suivi. L’on peut s’attendre à ce que ce mouvement se poursuive, notamment sur des cibles de plus grande importance. En revanche, les activistes ne vont pas attaquer les grosses sociétés: soit elles sont bien gérées, soit elles sont surendettées mais encore protégées par l’Establishment japonais.

Mis à part les efforts consentis dans la gouvernance afin de plaire aux investisseurs étrangers, quelles sont les techniques d’ingénierie financière utilisées par les sociétés nippones afin de rivaliser avec leurs pairs étrangers?

Elles rachètent de plus en plus leurs titres. À titre d’exemple, les 500 plus grosses sociétés acquièrent annuellement environ 1,5% de leurs titres, augmentant ainsi leur rendement sur fonds propres et donc leur valorisation boursière. Depuis quelques mois, la presse japonaise a largement relayé des articles selon lesquels le Tokyo Stock Exchange va imposer aux sociétés affichant des cours de bourse inférieurs à la valeur de leurs fonds propres de s’en justifier.

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