Economiste et historien, Philippe Chalmin resitue la crise du COVID dans le temps. Entretien avec le président de CyclOpe.
Le monde d’avant c’était une croissance mondiale à 3% et une croissance chinoise à 6%. Le monde d’avant c’était Trump réélu en novembre, le conflit sino-américain, la paralysie de l’OMC et une gouvernance mondiale qui laissait à désirer. Le monde d’après c’est une récession de 6% (voire 7% en cas de seconde vague du COVID), pas de croissance en Chine, des émeutes raciales et une absence complète de coordination internationale avec un très remarquable «chacun pour soi». Ainsi le Professeur Philippe Chalmin résumait-t-il une situation qui l’a mené à ajouter plus de 100 pages au déjà très conséquent rapport Cyclope 2020 qui, rappelons-le, couvre toutes les commodities «de l’ananas au zirconium». Contre-choc énergétique, stabilité des prix alimentaire et baisse de la demande à terme: tour d’horizon lors du déjeuner du Cercle Cyclope de Genève coordonné par Penda Coulibaly d’Ampersand World.
… qui a déclenché une grande crise économique.»
De manière un peu polémique, je dirais qu’il s’agit d’une petite crise sanitaire largement médiatisée … qui a déclenché une grande crise économique. Tout comme la crise de 1929 ou celle de 1973, elle a exaspéré des tendances de fond déjà apparentes. La crise de 29 a marqué la fin du libéralisme, le début de l’Etat-providence et conduit à la Seconde Guerre mondiale et aux 30 Glorieuses. Le choc pétrolier de 1973 a cristallisé les tensions des années 1960 et marqué, suite à la fin des accords de Bretton-Woods en 1971, le terme de l’hégémonie américaine. Déjà en 1971, le Club de Rome appelait à une halte de la croissance mais avec le retour de néolibéralisme (Thatcher, Reagan), nous sommes entrés dans les 30 Glorieuses de la mondialisation. 2020 marquera, à mon sens, une inflexion majeure dans la prise en compte des externalités environnementales et sociales car la mondialisation telle que nous l’avons vécue pose de graves questions sur le plan de l’environnement et des inégalités sociales. Rappelons toutefois qu’elle a permis l’arrivée de la Chine sur les marchés mondiaux et le décollage des pays émergents d’Asie.
Avant toute chose, il me parait utile de préciser que le grand perdant de l’année est le gaz naturel et non le pétrole. Avec une baisse historique de la consommation mondiale qui n’est pas seulement liée au confinement, le prix du GNL s’effondrait déjà en Asie avant la crise du COVID. Pour livraison en juin, ils se négociaient à $2/MMBtu, soit à peine plus que les prix du Henry Hub aux États-Unis. L’Agence Internationale de l’Energie envisage une réduction de la consommation de 4% cette année. Pour ce qui est du pétrole, résumons: il y a deux deux volets au choc récent. Le premier entre le 7 mars et le 22 avril a beaucoup à voir avec le «coup de sang» de Mohammed ben Salmane contre les Russes qui l’a mené à ouvrir les vannes pétrolières. En quelques jours, le cours chutait de 50 à 30 dollars le baril. Avec le confinement, à partir de mi-mars, la demande s’effondre à son tour alors que l’offre est déjà excédentaire. Le 20 avril, le prix du contrat à terme du WTI pour livraison en mai tombe en territoire négatif (-37,63 dollars le baril). Le confinement ayant paralysé l'économie, la place a manqué pour stocker le pétrole inutilisé. Aujourd’hui, le prix s’est redressé à environ 40 dollars le baril, ce qui reflète mieux les fondamentaux. Je ne suis toutefois pas très optimiste et l’attends autour de 30 dollars au second semestre ce qui va poser de sérieux problèmes aux pays qui en dépendent comme le Nigeria, l’Angola ou l’Algérie.
ce qui s’explique pour partie par la réduction du prix du pétrole.»
Non. Malgré les attentes, il n’y a eu aucun choc sur les produits agricoles. Quelques tensions car certains pays ont, comme les ménages, surstocké en prévision d’hypothétiques pénuries et il y a eu imposition de quelques quotas d’exportations (Vietnam, Inde, Russie) mais, en fait et grâce à des récoltes record (3,3 milliards de tonnes de grains), les prix agricoles ont plutôt baissé ce qui s’explique pour partie par la réduction du prix du pétrole. En effet, la production d’éthanol a été largement réduite ce qui a libéré une partie des récoltes de sucre ou de maïs, venant ajouter à une production déjà abondante. Pour l’avenir, nous restons très baissiers sur le maïs, baissiers sur le blé et pensons que le soja restera à l’équilibre.
En matière de métaux industriels, le recul économique de la Chine a été un facteur prépondérant puisqu’elle en reste le principal consommateur. Le récent rebond chinois se fait malgré tout ressentir avec des primes importantes sur le cuivre par exemple. L’acier est en hausse de 4% en Chine mais la palme va au minerai de fer qui est revenu au prix pré-COVID, soit plus de 30% de hausse depuis le 23 mars. Notez que, au niveau mondial, le métal qui a le plus grimpé est … l’uranium (80% cette année). Constatons toutefois que, dans l’ensemble, le panorama reste menaçant.
Sur le plan des perspectives économiques, je pense que le rebond sera moins marqué que prévu car nous devrons trainer le boulet d’un chômage en plein essor qui va freiner la consommation. L’OCDE évalue la récession de 2020 à 6% et – sans deuxième vague de COVID -, et la reprise de 2021 à 5,2%. Ce qui est plus préoccupant est la vraie remise en cause des chaines de valeur – argument fortement poussé par Trump dans sa campagne. Il signifie que pour les pays exportateurs de matières premières ou en cours de développement, l’avenir est sombre. Les émergent n’émergent plus. Le cas indien est particulièrement inquiétant. Du point de vue de l’historien, il faudrait une inflexion des politiques publiques vers une social-démocratie de marché.