Le grand chantier fiscal

Nicolette de Joncaire

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Genève devrait voter le PF 17. Au-dessus du taux d’imposition prévu de 13,49%, la compétition deviendrait sévère, estime Serge Dal Busco.

 

Avec un bénéfice de 69 millions, l’exercice 2017 du canton de Genève s’est terminé sur un succès à porter au crédit du Conseil d’Etat … et de circonstances favorables. Une victoire inattendue – le budget était déficitaire – à même de calmer un peu les agences de notation financières dont Standard & Poors qui n’avait rien vu venir si l’on en croit sa note de janvier. Ces dernières années, la dette si décriée du canton s’est réduite d’un milliard. De 13,4 milliards de francs fin 2014, elle atteint aujourd’hui 12,4 milliards, ce qui correspond encore à une fois et demi ses revenus. Dans ces conditions, Genève est-elle prête à affronter les réformes à venir et notamment le Projet fiscal 17 (PF 17)? Les réponses du ministre genevois des Finances, Serge Dal Busco.

Comment résumez-vous le bilan actuel?

Le budget 2017 prévoyait un déficit de 80 millions et les comptes présentent un bénéfice de 69. Les résultats consolidés sur l’ensemble de notre législature ont progressé, permettant la constitution de provisions à hauteur de 550 millions dont 450 pour la caisse de pension de l’Etat. Notre objectif est de réduire un endettement excessif potentiellement dommageable et de ménager une marge de manœuvre budgétaire. Nous avons aussi travaillé à améliorer les conditions financières des emprunts. En 2013, les intérêts de la dette se montaient à 228 millions ; en 2018, ils ne seront que de 178 millions, ce qui correspond à un taux moyen d’intérêt de 1,48%. Nous menons également une stratégie précise de répartition correcte des tranches d’emprunt. La durée moyenne pondérée de la dette est de 8 ans et, ces dernières années, les besoins de renouvellement des crédits ont diminué, notamment parce que les investissements sont autofinancés.

«La version adoptée par le Conseil fédéral respecte
très largement la proposition du groupe de travail.»
En novembre, le canton de Genève a émis ses premières obligations vertes. Avec quel objectif?

Genève est la première collectivité publique suisse à avoir émis ce type d’emprunt dont le but est de financer des bâtiments à haute performance énergétique dans des conditions très intéressantes sur le plan financier* mais exigeantes sur celui de la conformité et du reporting. La conformité des projets a été certifiée par un consultant spécialisé (Vige Eiris) et cette opération s’inscrit dans le positionnement du pôle financier genevois et de son orientation vers la finance durable. 

Existe-t-il un organisme suisse pour la certification des projets admissibles au financement vert?

Ce n’est pas le cas à ma connaissance mais il est question d’une initiative de Geneva Sustainable Finance dans ce sens pour favoriser l’émergence d’un acteur suisse et si possible genevois.

Tournons-nous vers le futur. Où en est Genève avec le PF 17?

Le projet de loi du Conseil fédéral est en main des chambres et sera voté par le Conseil des Etats en juin et par le Conseil National en septembre. J’ai personnellement participé au groupe de travail de la Confédération qui a élaboré cette nouvelle version de la fiscalité des entreprises dès le rejet de la RIE III par le peuple en février 2017. La version adoptée par le Conseil fédéral respecte très largement la proposition du groupe de travail dont la mission était de recalibrer le texte pour susciter l’adhésion populaire, notamment en éliminant les intérêts notionnels, en relevant la base d’imposition des dividendes et en ajoutant un volet social relatif aux allocations familiales. Genève votera dès que la loi sera passée au niveau fédéral, soit cet automne.  

«Genève a choisi de présenter
le paquet fiscal complet.»
Certes mais le canton de Vaud a déjà voté sa version. Pourquoi Genève ne l’a-t-elle pas fait?

Le canton de Vaud n’a voté que la baisse du taux d’imposition et les mesures d’accompagnement. Genève a choisi de présenter le paquet fiscal complet. Nous avions d’ailleurs déjà déposé notre projet cantonal en septembre 2016 mais il a été suspendu lors du rejet de la loi au niveau fédéral en février 2017. Les travaux ont repris au sein de la commission fiscale du Grand Conseil en début d'année de manière à pouvoir être prêt à voter dès que les Chambres fédérales auront statué sur le projet fédéral.  

Ne peut-on craindre un nouveau référendum (ou une votation à Genève) et une lassitude des sociétés à statuts spéciaux?

Un nouveau référendum fédéral est certes un risque mais je ne pense pas que le nouveau projet de loi, qui est plus équilibré que la précédente mouture, serait rejeté. Par ailleurs, s’il y a référendum et que la loi l’emporte, sa robustesse en sera renforcée et, par là-même, la confiance dans le pays et ses institutions. Quant aux sociétés à statuts spéciaux, elles conserveront leurs avantages jusqu’en janvier 2020, date à laquelle nous mettrons en œuvre la nouvelle réforme. 

Le taux adopté par Genève pour l’imposition des bénéfices est de 13,49%. Pour que la réforme soit neutre pour les caisses de l’Etat, ne faudrait-il pas opter pour un taux de 16%?

Le taux d’équilibre pour les caisses de l’Etat est effectivement de l'ordre de 16% mais ce taux est calculé sur la base d’une approche statique qui présuppose que toutes les entreprises domiciliées à Genève y demeurent. Or, au taux de 16%, la concurrence devient sévère – avec la Grande-Bretagne qui risque de devenir plus agressive ou même tout simplement avec le canton de Vaud qui a déjà consenti un taux de 13,79% – et cela se traduirait donc par de nombreux départs. Au final, les pertes fiscales seraient bien plus lourdes, sans compter les milliers d'emplois. 

«Les sociétés à statuts spéciaux
emploient 22'000 personnes dans le canton.»
Plusieurs multinationales installées à Genève sont d’origine américaine. Quel peut être l’impact de la réforme fiscale de Donald Trump? 

Le différentiel au bénéfice de la Suisse s’est réduit mais reste substantiel. Pour des raisons opérationnelles mais aussi pour la stabilité qu’offrira la Suisse une fois la loi passée. 

Pouvez-vous nous rappeler les chiffres d’emploi en cause?

Les sociétés à statuts spéciaux emploient 22'000 personnes dans le canton et, selon le CREA, 40'000 emplois supplémentaires (environ 17'000 emplois indirects et 23'000 emplois induits), soit en tout 22% des emplois genevois. Les recettes fiscales de ces sociétés et de leurs employés représentent environ 15% des recettes du canton. Ce dernier chiffre ne tient pas compte des emplois indirects et induits. 

Le PF 17 n’est pas la dernière étape des réformes. Quelle est votre opinion de la proposition du MCG de «déduction pour la fortune investie dans l’entreprise personnelle»?

L’impôt sur la fortune à Genève est trop élevé et il y a clairement des aménagements à y faire. Cette proposition fait sens et une réforme est à prévoir mais la priorité est aujourd’hui au PF 17. 

* L’emprunt obligataire vert d'un montant de 620 millions est réparti en deux tranches de 420 millions à 10 ans (coupon 0,25%) et de 200 millions à 14 ans (coupon 0,50%).