Selon Jean-Pierre Danthine, la limite entre la responsabilité individuelle et la solidarité collective doit être mieux définie.
A l’occasion de la conférence virtuelle «Performer Investment» du 18 novembre consacrée au thème de la disruption, le Professeur Jean-Pierre Danthine, ancien vice-président de la Banque nationale suisse, est venu s’exprimer sur la pandémie, les risques systémiques et ses pistes de réflexion pour gérer au mieux les pandémies à venir: «En anticipation de tels chocs, il convient de définir la frontière entre solidarité collective et responsabilité individuelle». Le débat s’impose. Entretien.
Lors de la première vague, les mesures furent nécessaires - voire même trop tardives - à cause des incertitudes, de la méconnaissance des caractéristiques du virus et de la non-préparation du secteur de la santé. En revanche, j’aurais espéré que lors de la seconde vague des mesures plus souples et plus discriminantes, comme celles prises jusqu’ici dans le canton de Vaud, soient suffisantes compte tenu des connaissances acquises depuis le début de la pandémie.
Collectivement, nous aurions pu être mieux préparés à la crise. Lorsqu’un choc global tel que le coronavirus arrive, il faut faire appel à la solidarité collective mais à l’avenir nous aurions intérêt à être plus clair sur la frontière entre responsabilité individuelle et la prise en charge par la collectivité.
afin d’en définir clairement les limites.
Il y a eu une variété de réactions. Certains estiment qu’aider les entreprises est contraire au libéralisme et que ces dernières devaient être préparées à ce choc. A l’autre extrême, certains sont scandalisés parce que l’aide de l’Etat est insuffisante. Il y a un manque de clarté: jusqu’où doit-on être préparé? Est-il normal qu’une entreprise ne puisse pas survivre sans aides pendant deux mois? Accepte-t-on d’imposer un arrêt de travail durant une période suffisamment longue et que l’Etat intervienne à la rescousse? On s’offusque des restrictions de liberté mais peu du fait que les mesures spécifiques ne sont pas assez rigoureusement respectées, ce qui ne laisse pas d’alternative à des mesures plus strictes comme chez nos voisins Français. L’expérience semble montrer qu’on pourrait s’en sortir sans un tel resserrement, mais cela demande plus de rigueur et de discipline en termes de responsabilité individuelle.
Le débat sur la solidarité collective devrait avoir lieu afin d’en définir clairement les limites. Mais il s’agit aussi de définir le niveau auquel elle doit pouvoir s’exercer. Dans le cas d’un choc global même la solidarité au niveau de l’Etat–nation n’est pas suffisante.
Le COVID a clairement démontré la faillite du multilatéralisme et la difficulté de se préparer à un Black Swan. Or sans l’OMS, l’on ne pourra se préparer à l’arrivée probable d’un autre type de virus d’origine animale parce qu’il s’agit d’un risque global. Nous devons donner à l’OMS les moyens d’investir dans des actions préventives les sommes correspondantes aux bénéfices que ces actions engendrent pour l’ensemble des habitants de cette planète. Et il faut lui donner l’indépendance politique lui permettant d’agir indépendamment des susceptibilités nationales. Il faut renforcer le multilatéralisme pour faire face aux futures menaces. Les réticences à informer immédiatement de l’émergence du virus, sous pression chinoise, comme la décision de Trump d’arrêter de financer l’OMS affaiblissent la planète. Si le multilatéralisme planétaire ne fonctionne pas, il faudra envisager des actions préventives au niveau continental. Ce serait un défi particulier pour un petit pays comme la Suisse qui devrait alors revoir son attitude par rapport à l’Europe.
est la marge de manœuvre de l’Etat.
L’action de la BNS a permis de s’assurer que les banque soient généreuses sans restriction dans leurs activités de prêts, mais elle reste très subsidiaire par rapport aux cautionnements à taux 0% accordés par le gouvernement. Le cœur de l’intervention est une action fiscale. La BNS n’a pas les instruments nécessaires pour une telle crise contrairement à la Grande Crise Financière, où son rôle et celui des autres banques centrales était prépondérant. Aujourd’hui, l’on attend trop des banques centrales. Et certaines font beaucoup de bruit pour ne pas décevoir les attentes.
Plus le poids de la dette est important, plus petite est la marge de manœuvre de l’Etat: il y a donc bien un coût d’opportunité. Mais la Suisse se trouve dans une situation confortable grâce à sa rigueur passée et le poids de la dette ne posera pas problème si nous suivons la même politique que celle effective depuis la mise en place du frein à l’endettement.