Quels facteurs guideront 2022? Les réponses de Pierre-Alain Stehle de T. Rowe Price.
Après des mois de résilience face à la crise du COVID, la question de cette année portera sur la croissance des bénéfices des entreprises vis-à-vis des valorisations de leurs actions. Pour 2022, T. Rowe Price estime que les facteurs cycliques et ceux de valorisation des fondamentaux sont tous deux favorables au recovery trade, une stratégie qui mise sur les acteurs de la reprise économique. Hors Etats-Unis, ce sont les entreprises japonaises qui bénéficieront de la relance mondiale. Entretien avec Pierre-Alain Stehle, Relationship Manager pour la Suisse Romande chez T. Rowe Price.
La croissance des bénéfices des entreprises par rapport aux valorisations des actions sera la question centrale de l’année. Du point de vue purement numérique, les actions américaines semblent fortement valorisées, avec un potentiel de hausse limité. Cette appréciation se relativise si nous comparons les valorisations des actions dans leur moyenne historique avec les valorisations du marché des obligations. L'indice Russell 3000 en est un bon exemple. À la mi-novembre, le ratio P/E à terme était proche de son plus haut historique depuis 1989. Pourtant, le rendement des bénéfices de l'indice comparé aux rendements obligataires corrigés de l'inflation affichait la moyenne la plus basse sur la même période. Il relève donc du point de vue individuel de définir sur la base de ces chiffres si les actions américaines sont survalorisées ou plus avantageuses que par le passé. Pour 2022, notre équipe de recherche estime que les facteurs cycliques et les facteurs de valorisation des fondamentaux sont tous deux favorables au recovery trade.
Nous aimons les sociétés de qualité que le marché semble avoir oubliées, notamment dans le secteur financier. Celles-ci sont fortement pondérées dans l'univers value et ont traditionnellement surperformé en période de hausse des taux d'intérêt. Par ailleurs, mes collègues analystes spécialisés dans les petites capitalisations boursières ont souligné qu’elles sont souvent performantes en période de relance économique. Si la reprise se poursuit, il n'est pas déraisonnable de croire que les bénéfices des entreprises continueront de croître régulièrement. Toutefois, les sociétés du S&P 500, dont les marges d'exploitation ont récemment atteint des niveaux record, auront beaucoup plus de mal à atteindre de nouveaux sommets. Dans ce cas, nous pourrions assister à des taux de croissance inférieurs à la moyenne car le marché n'a peut-être pas encore intégré ce facteur.
Les entreprises qui n'ont pas de pouvoir de fixation des prix pourraient rencontrer des problèmes en cas d'inflation élevée continue. Par ailleurs, les chances de voir les valeurs technologiques jouer un rôle aussi dominant qu'au cours de la dernière décennie s'amenuisent, car les valeurs de croissance ont tendance à sous-performer dans les phases de marché caractérisées par une hausse des taux d'intérêt et d’inflation. Hors Etats-Unis, les entreprises japonaises pourraient particulièrement bénéficier de la reprise de l'économie mondiale cette année. Il en va de même pour les titres, les obligations et les devises de certains pays émergents.
Dans l'ensemble, la combinaison d'une forte croissance économique et de l'inflation peut engendrer des risques significatifs pour les bons du Trésor américain et autres obligations d'État à faible taux d'intérêt. Les obligations bancaires à taux variable pourraient offrir des opportunités de rendement intéressantes dans un contexte de hausse des taux d'intérêt, car leurs taux d'intérêt sont généralement révisés tous les 90 jours. Elles ont donc l'échéance la plus courte du secteur obligataire. Inversément, les critères de qualité pour les obligations – liquidité élevée, croissance solide des bénéfices et faible niveau d'endettement – pourraient favoriser un passage à des méthodes de financement plus risquées. Compte tenu des spreads de crédit historiquement faibles dans l'ensemble du secteur obligataire aux États-Unis, les investisseurs devraient élargir leur horizon d'investissements en 2022. Les obligations d'entreprises des marchés émergents, et en particulier des marchés asiatiques, constituent un segment dont les valorisations sont encore extrêmement favorables.
Selon notre stratège pour la Chine et les marchés émergents, Chris Kushlis, nous nous dirigeons vers la fin d'un cycle réglementaire en Chine. Les mesures mises en œuvre en 2021 doivent être considérées dans le contexte des objectifs formulés par le président Xi Jinping, tels que communiquées depuis des années : campagnes anti-corruption, protection de l'environnement et lutte contre les inégalités sociales. La plupart des investisseurs étrangers se concentrent sur les effets négatifs de ces mesures. Le nombre élevé d'introductions en bourse et d'entreprises qui rivalisent avec des acteurs internationaux établis dans des domaines d'activité innovants reflète cette évolution. Pour cette raison, nous ne sommes pas d'accord avec l'opinion avancée par certains - selon laquelle les actions chinoises sont «ininvestissables». Il n'est pas dans l'intérêt du gouvernement de neutraliser la croissance dans les secteurs concernés. Il s'agit plutôt d'apporter plus d'équilibre dans l'écosystème économique et de parvenir à une plus grande stabilité sociale. Le problème pour les investisseurs internationaux est que les mesures réglementaires ont touché un nombre relativement restreint de titres de croissance, désormais surévalués. Cette surévaluation résultait notamment du fait que de nombreux fonds étrangers achetaient ces titres parce qu'ils étaient fortement pondérés dans des indices de référence et cotés aux États-Unis ou à Hong Kong. Depuis, la stabilité est revenue sur ces marchés à une large échelle. L'évolution positive en Asie dépendra de la stabilisation réussie de l'économie chinoise.