La place financière genevoise a su démontrer sa résilience sur la durée

Yves Hulmann

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Edouard Cuendet, directeur de Fondation Genève Place Financière, observe que l’émergence de nouvelles structures ont compensé les pertes d’emplois dans les banques.

©Keystone

 

Quels sont les enjeux du moment pour la place financière genevoise et comment celle-ci anticipent les tendances pour l’an prochain? Le point avec Edouard Cuendet (E.C.), directeur de Fondation Genève Place Financière, et Denis Pittet (D.P.), président, qui s’exprimaient jeudi à l’occasion de la conférence de presse annuelle, durant laquelle ont été présentés les résultats de son enquête conjoncturelle.  

En l’espace de dix ans, le nombre de banques à Genève a diminué d’un tiers, passant de 121 établissements en 2014 à 80 en 2024. Le nombre d’emplois bancaires à Genève a, lui, légèrement reculé, passant de 19’415 postes en 2014 à 17'639 emplois en 2024. Malgré tout, le nombre d’emplois totaux de la place financière à l’inverse progressé pour s’établir à 38'114 emplois en 2024, comparé à 37'451 postes dix ans plus tôt et seulement un peu plus de 35'000 emplois en 2010 au sortir de la crise financière. Dans quels domaines ces nouveaux emplois ont-ils été créés?

Edouard Cuendet: Il y a eu en quelque sorte un phénomène de vases communicants entre les emplois issus des différents segments d’activité qui constituent la place financière. Alors que les emplois bancaires proprement dits ont diminué au cours des quinze dernières années, les emplois au sein de la place financière au sens large ont à l’inverse progressé, comme le montrent les statistiques que nous avons présentées. Cela démontre surtout la capacité de résilience de la place genevoise qui a dû absorber des pertes à des restructurations dans différents établissements. En termes d’activités, on peut observer qu’il y a de nouveaux gérants d’actifs qui ont été créés. Différents emplois ont été créés aussi dans des sociétés qui prennent en charge certains services, notamment l’informatique ou la compliance, pour le compte de banques ou de sociétés de gestion tierces.

Concernant les prévisions pour 2025 indiquées par différentes catégories d’établissements à Genève, on peut observer que près de la moitié (47%) des banques comptant entre 50 et 199 emplois prévoient d’augmenter leurs effectifs dans une proportion de 3 à 7% en 2025, alors que ce n’est le cas que pour moins d’un cinquième (17,6%) chez les banques de 200 emplois et plus. Comment expliquer que les banques de taille moyenne se montrent plus ambitieuses ou optimistes en matière de recrutement pour 2025?

E.C.: Ce n’est pas si surprenant. Les grands établissements disposent souvent de l’ensemble des fonctions qui sont nécessaires au sein de leur organisation. Les plus petites banques ont une marge de progression plus importante en termes d’accroissement des effectifs, soit parce qu’elles ne disposent pas encore de tous les spécialistes ou fonctions qu’elles aimeraient avoir, soit parce qu’elles se développement dans un nouveau segment d’activité. Il n’y a pas que la gestion de fortune – on voit des sociétés se développer dans les activités de financement du négoce de matières premières, dans les cryptomonnaies ou dans différents domaines de spécialisation.

Lorsqu’on leur demande dans l’enquête conjoncturelle où elles pourraient envisager de transférer une partie de leurs activités à l’étranger, beaucoup de banques citent les places financières du Luxembourg ou de Dubai. Pourquoi ces endroits sont-ils attrayants pour les banques genevoises?

E.C.: S’agissant du Luxembourg, il s’agit clairement du fait de pouvoir avoir un pied dans l’UE. Les banques genevoises sont du reste déjà nombreuses à avoir des activités au Luxembourg. Les activités liées aux fonds de placement y sont pour beaucoup car en étant présent au Luxembourg, il est possible de distribuer des fonds dans l’ensemble de l’UE.

Concernant Dubai, Genève est une place attrayante pour la clientèle du Moyen-Orient. Il peut donc être intéressant pour des établissements de se rapprocher de cette clientèle-là.

La Fondation Genève Place Financière préconise une approche d’accès au marché de l’Union européenne (UE) qui serait spécifique aux établissements. Un modèle appelé «SEC like». Cet accès serait négocié avec une autorité unique. Avec qui les banques suisses pourraient-elles négocier cet accès?

Denis Pittet: L’idée serait d’avoir une entité basée en Suisse qui puisse obtenir le passporting permettant de pouvoir être actif dans toute l’UE. Ce modèle est appelé «SEC like» car il est inspiré de ce qui a été fait avec les Etats-Unis. Dans ce cas, les banques suisses peuvent décider soit de s’implanter directement aux Etats-Unis, soit de rester en Suisse et de s’assujettir complètement aux autorités et à la réglementation américaine.

Avec l’UE, le même principe s’appliquerait: l’entité suisse serait complètement assujettie au droit de l’Union européenne – une banque suisse le ferait de manière volontaire.

Ce projet n’est donc pas lié au dossier de l’accord avec l’UE négocié par les autorités fédérales?

D.P.: Non, il s’agit d’un projet indépendant. D’ailleurs le paquet qui est négocié actuellement avec Bruxelles ne couvre pas les services financiers.  

En matière de réglementation, vous estimez qu’il faut tenir compte de la taille des établissements. Cette distinction est-elle particulièrement importante dans le cas de la place financière genevoise?

D.P.: C’est important partout en Suisse. Pour nous, c’est l’application du principe de proportionnalité qui compte. On ne peut pas imposer les mêmes exigences à des banques de Catégorie 4, qui ont essentiellement des clients suisses et pas d’activités internationales, qu’à des banques d’importance systémique. Nous n’avons rien contre le fait qu’il y ait des normes de liquidités plus strictes pour ces dernières. En revanche, il ne faut pas imposer un fardeau réglementaire excessif à des établissements de plus petite taille qui ne présentent pas du tout les mêmes risques que les banques d’importance systémique. 

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