La logique financière appliquée au marché de l’art

Salima Barragan

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Les actifs artistiques sont faiblement corrélés aux actions et aux obligations, estime Pascal Schneidinger de Partasio.

Inefficience de marché, diversification, rendements ajustés aux risques: les concepts financiers usuels s’appliquent aussi au marché de l’art estimé à environ 1,7 mille milliards de dollars. En l’espace d’un siècle, il s’est érigé en tant que classe d’actifs à part entière pour 62% des collectionneurs ultras riches qui y consacrent 10% de leur fortune. Depuis 2000 à nos jours, ses rendements annuels atteignent en moyenne 8,3%, contre 7% pour le S&P 500 et 5,2% pour le SMI (en y incluant les dividendes réinvestis). Le point avec Pascal Schneidinger, CEO de Partasio, un gestionnaire d’actifs artistiques.

Quelle est votre philosophie d’investissement?

Nous nous concentrons uniquement sur les peintures contemporaines, car il s'agit de loin le segment le plus fort et le plus dynamique du marché de l'art. Au sein de ce dernier, nous investissons exclusivement sur ce que nous appelons les artistes «blue-chip» et leurs tableaux principaux, car ils génèrent les meilleurs rendements financiers ajustés au risque. Compte tenu de l'accès et du réseau considérables de nos experts du marché de l'art, nous ciblons uniquement les transactions privées hors marché. Cela nous permet d'obtenir les meilleures affaires. Enfin, nous structurons les investissements de manière à aligner à 100% les intérêts de Partasio avec ceux des investisseurs: Partasio réalise ses bénéfices par le biais d'une commission de performance qui n'est versée qu'une fois les tableaux vendus.

Comment définissez-vous l’art blue-chip?

Ce sont des créations de premier ordre réalisées par des artistes qui démontrent le plus haut degré de pertinence globale d'un point de vue culturel, historique et financier. Nous nous attachons à environ 10 critères quantitatifs et qualitatifs, tels que les volumes continus, leur représentation dans des galeries, les records des ventes aux enchères ou encore le nombre d’expositions dans des musées.

Notre univers d’investissement compte ainsi 40 artistes qui cochent toutes ces cases. Puis nous dénichons les meilleures œuvres grâce à notre équipe d’experts.

Lors de la dernière crise de liquidité en 2007-2008, les actifs financiers ont évolué ensemble dans le même sens, car tous les investisseurs se sont rués sur les liquidités.
Comment évolue cet indice de 40 créateurs?

Depuis 2010, les 40 artistes identifiés comme blue-chip ont généré des rendements annuels d'environ 12%, soit quelque 5% de plus que le marché de l'art global. De plus, alors que ce dernier a connu trois années de performance négative sur cette période, notre indice blue-chip n'a enregistré aucune année dans le rouge. Enfin, la volatilité des rendements de l’indice est nettement inférieure à celle du marché de l'art.

Pourquoi pensez-vous que l’art a continuellement surperformé les marchés financiers depuis le début du millénaire?

Depuis des centaines d’années, l’art reste un stockage de valeur dans lequel les individus les plus riches ont dépensé 10% de leur fortune. Ils le considèrent aussi pour se prémunir contre l’inflation ainsi que pour diversifier leurs placements dans une logique d’allocation d’actifs.

La loi de l'offre et de la demande explique également cette évolution, notamment pour les artistes blue-chip. L'offre d'œuvres d'art d'un tel artiste disponibles pour la propriété privée diminue au fil du temps après le décès de ce dernier. Dans le même temps, la demande globale augmente à mesure que le nombre de personnes fortunées croît. La diminution de l'offre et l'augmentation de la demande entraînent par définition une augmentation du prix dans le temps.

Quelle est la corrélation du marché de l’art avec les autres classes d’actifs?

La corrélation est très faible avec les actifs traditionnels, mais elle est en revanche elevée avec la population des personnes ultra riches. Ces derniers temps, les marchés financiers ont connu une forte volatilité et une grande incertitude. Cependant, le haut de gamme du marché de l'art s'est avéré résistant. Des événements tels que Art Basel ou les diverses ventes aux enchères de haut niveau à New York, Hong Kong et Londres ont prouvé qu’il se porte toujours très bien car les particuliers fortunés réaffectent leurs fonds des classes d'actifs traditionnelles vers l'art: ils savent que c'est un excellent moyen de conserver leurs avoirs lorsque les marchés baissent.

Comment l’art évoluerait-il dans le cas d’une crise de liquidité?

Lors de la dernière crise de liquidité en 2007-2008, les actifs financiers ont évolué ensemble dans le même sens, car tous les investisseurs se sont rués sur les liquidités.

Les actifs facilement réalisables ont été vendus en premier, tandis que les actifs moins liquides sont restés à la traîne. Comme il était encore nécessaire de générer des liquidités après la vente des actifs liquides, nous avons également assisté à des ventes de grands objets d'art, ce qui a entraîné une certaine corrélation retardée dans le temps.

Il est toutefois intéressant de noter qu'après la chute assez brutale de la crise financière, le marché de l'art est reparti très rapidement et vigoureusement.

Avec des tickets d’entrée supérieurs à un million, comment des particuliers peuvent-ils y investir?

Parce que les œuvres atteignent des montants des fois extravagants, nous avons créé une structure d’AMC (actively managed certificate) diversifiée, avec chaque structure d’AMC contenant 4 à 6 œuvres qui permettent d’investir facilement des encours à partir de CHF 30'000 via une solution bancable avec un ISIN suisse.

Quid de l’art réel versus les NFT (non-fongible token)?

Nous devons nous assurer d'acquérir des œuvres de qualité à une valorisation attractive. La tokénisation deviendra sans doute importante à l'avenir, mais elle n'en est encore qu'à ses débuts. Nous n'investissons actuellement pas dans les NFT's, car trop spéculatif selon nous.