La force de l’euro ne met pas en péril la reprise

Yves Hulmann

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Pour Damien Mariette, gérant du fonds Echiquier Value, les entreprises européennes restent bien orientées avant les chiffres trimestriels.

Le fonds Echiquier Value est spécialisé dans les valeurs de la zone euro dites «value», soit des titres jugés fortement sous-évalués par le gérant ou en situation de retournement. Après la correction de février, la période actuelle est-elle propice pour trouver des sociétés sous-évaluées sur le marché européen? Le point avec Damien Mariette, gérant du fonds Echiquier Value depuis 2012, lors d’un passage en Suisse. 

Après la forte correction survenue début février, on a assisté à quelques rebonds, puis à une nouvelle correction juste avant Pâques. Depuis, les marchés se sont quelque peu stabilisé depuis début avril. Comment analysez-vous la situation actuelle sur les marchés?

Il faut replacer ces récents mouvements sur les marchés dans une perspective plus longue. Depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2016, les marchés n’ont connu qu’une seule direction – à la hausse – avec une très faible volatilité de surcroît. La reprise de la volatilité observée depuis fin janvier ne peut pas être en soi considérée comme un phénomène négatif pour les marchés ou qui refléterait une détérioration de l’environnement économique global. On n’y était plus habitués, c’est tout. Maintenant, chaque Tweet de Trump provoque de nouveaux bonds de la volatilité – même si, souvent, on ne connaît pas la part de vérité de ses propos ni ce qui sera réellement appliqué par la suite. Quand la volatilité rebondit, les investisseurs délaissent les valeurs cycliques et reviennent vers les valeurs refuge – les emprunts d’Etat, l’or ou les «bond proxi», ces classes d’actifs qui y ressemblent comme l’immobilier ou les services aux collectivités. Pour autant, les fondamentaux restent bons dans l’ensemble. Les indices manufacturiers (PMI), par exemple, ont légèrement reculé en mars, aux environs de 56 ou 57 points contre un niveau très élevé de plus de 60 auparavant, mais ils continuent d’évoluer en territoire positif.

Vous êtes donc plutôt positif avant le coup d’envoi de la saison des résultats pour le premier trimestre. 

Oui, en ce qui concerne les entreprises européennes. Elles restent bien orientées avant le coup d’envoi du premier trimestre. Des groupes tels que LVMH ou Peugeot par exemple ont envoyé des signaux plutôt positifs ces dernières semaines.

Le renforcement de l’euro face au dollar depuis plus d’un an ne risque-t-il pas de devenir un frein à la reprise des exportations des entreprises européennes? A partir de quel niveau cela peut-il devenir un handicap sérieux?

Les entreprises exportatrices allemandes ont jusqu’ici été les plus touchées – ce qui se reflète dans l’évolution du DAX, quasiment revenu à son niveau d’il y a un an. Bien entendu, le renforcement de l’euro induit une baisse de compétitivité lorsque vous vendez des produits en zone dollar. Toutefois, les entreprises peuvent s’adapter, ajuster leurs processus d’achats et de production. Il est à mon avis très difficile de définir un seuil à partir duquel la force de l’euro mettrait en péril la reprise dans la zone euro. Cela dépend plutôt de la rapidité de l’ajustement des taux de change.

«Le marché semble avoir du mal à apporter
une juste valorisation aux groupes automobiles.»
Que cela signifie-t-il pour un fonds comme Echiquier Value qui compte de nombreuses entreprises industrielles comme Saint-Gobain ou ThyssenKrupp ou liées à l’automobile comme Peugeot et Volkswagen (VW) parmi ses dix plus importantes positions? 

Peugeot n’est pas spécialement affecté par la force de l’euro, ses clients étant surtout en Europe. Cela a davantage d’impact sur VW, plus actif à l’international. La force de l’euro affecte surtout davantage des sociétés comme le groupe sidérurgique ArcelorMittal ou le transporteur Moller-Maersk. En tant qu’investisseurs ayant une approche «value», nous apprécions les groupes industriels comme ThyssenKrupp, qui se traite avec une décote par rapport à la valeur de ses actifs. Moller-Maersk affiche également une décote du point de vue des capitaux employés. 

A fin mars, Peugeot et VW constituaient respectivement les première et troisième positions au sein de votre fonds. Comment voyez-vous les perspectives pour le secteur automobile qui fait aussi face à l’émergence de nouveaux concurrents? 

Il est frappant d’observer combien souvent on a annoncé la fin des groupes automobiles traditionnels face à l’émergence de nouveaux concurrents - comme Tesla - ou face aux évolutions technologiques – l’essor des voitures électriques ou autonomes. Pour autant, ni Peugeot, ni VW ne vont disparaître en raison de ces développements. Le marché semble avoir du mal à apporter une juste valorisation aux groupes automobiles. D’abord, on annonce la fin du diesel et l’arrivée du tout électrique. Ensuite, le marché décrète que seule la taille des groupes automobiles compte et que les plus grands l’emporteront. Or, de notre point de vue, qui est aussi celui du bon sens, ce qui compte, c’est de fabriquer les véhicules qui plaisent aux consommateurs. Rien ne sert de faire des produits qui séduisent uniquement la presse automobile ou les experts. En reprenant Opel, PSA a l’avantage d’avoir augmenté sa taille. Les produits Opel passeront sur les plateformes de PSA, ce qui permettra au groupe de gagner en efficacité durant le processus de production. Enfin, aux adeptes du scénario du tout électrique dès demain, il est important de rappeler que si le secteur automobile est en mutation, il s’agit d’une branche qui évolue avec un temps beaucoup plus long que celui estimé par le marché. L’heure de la voiture électrique adviendra certes, mais progressivement. Le temps de régler les questions liées aux batteries, à l’infrastructure nécessaire pour recharger les véhicules et celles liées à l’environnement, et au coût carbone total d’une voiture électrique.

S’agissant du secteur de la consommation, vous estimiez dans un récent commentaire que les valorisations de sociétés comme Metro ou Carrefour sont «totalement déconnectées des fondamentaux». Pourquoi?

Carrefour, qui a perdu beaucoup de sa valeur l’été dernier, a connu un problème typique d’un leader qui s’est longtemps reposé sur ses lauriers. La société a mis beaucoup de temps pour diversifier une stratégie qui a été longtemps axée uniquement autour de ses hypermarchés. Aujourd’hui, les gens ne vont plus systématiquement à l’hypermarché faire leurs courses – s’ils s’y rendent, c’est pour les autres offres qui se trouvent à proximité. Carrefour a réagi avec des commerces de plus petite taille – comme Carrefour Market ou Carrefour City. C’est un processus d’adaptation qui prend du temps mais Carrefour a déjà mis en place des mesures d’amélioration. Le groupe bénéficiera de mêmes conditions d’achats que certains de ses concurrents comme Darty. Il commence aussi à rattraper son retard dans le commerce électronique.

«S’ils réussissent leur transition vers le numérique, les distributeurs
peuvent devenir des acteurs de premier plan dans le commerce de détail.»
Partout en Europe, on suit avec beaucoup d’attention l’arrivée d’Amazon et son impact sur les enseignes domestiques du commerce de détail. Les groupes de distribution traditionnels sont-ils à même de faire face à une évolution fondamentale du comportement des consommateurs – ou d’autres groupes sont-ils mieux adaptés à cette nouvelle donne? 

L’évolution du groupe allemand Ceconomy, récent spin off de Metro et qui est par ailleurs le premier actionnaire de la Fnac en France, est intéressante à cet égard. L’enseigne s’est déjà adaptée aux prix pratiqués par Amazon. Le client qui se rend dans un magasin avec l’idée de regarder des articles avant de les acheter en ligne n’a plus d’intérêt le faire, car il n’y a plus de véritable différence de prix. L’arrivée d’Amazon est déjà complètement intégrée dans le cours d’une action comme Ceconomy.

La perception du marché est-elle devenue trop négative envers les groupes de distribution?

Elle a été influencée par certains événements négatifs comme les difficultés de Toys"R"Us – une enseigne qui a fait faillite aux Etats-Unis, mais pas en Europe – ou encore celles du groupe Ludendo. Mais il ne faut pas oublier que les groupes actifs dans la distribution ont de solides compétences en matière de logistique, des compétences qui peuvent être mises à profit dans le secteur du e-commerce. S’ils réussissent leur transition vers le numérique, les groupes actifs dans la distribution peuvent devenir des acteurs de premier plan dans le commerce de détail.

Quels sont les objectifs de La Financière de l’Echiquier sur le marché suisse? 

Alors que 80% des actifs de nos fonds sont encore situés en France, notre but est d’accélérer notre développement à l’international. Avec près de 11 milliards d’euros d’encours d’actifs sous gestion, la possibilité d’accroître la part détenue par des investisseurs à l’étranger est encore importante.

Quels sont vos effectifs en Suisse et à quels clients vous adressez-vous? 

Nous avons une relation de proximité de long terme avec les investisseurs suisses. Nous avons ouvert un bureau basé à Genève, dirigé par un responsable de pays et comptons renforcer l’équipe. Nous visons à recruter une à deux personnes supplémentaires à Zurich également, soit une équipe de quatre personnes en Suisse. Nos clients sont avant tout des tiers gérants, des family office et des banques privées. Nous rencontrons régulièrement les sélectionneurs de fonds de banques en Suisse. Nous ne cessons d’adapter notre proposition de valeur aux enjeux des investisseurs helvètes, particulièrement exigeants et bien formés.