La Fed pourrait avancer, un peu, le calendrier de son «tapering»

Yves Hulmann

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Selon Anton Brender de Candriam, la hausse des prix des matières premières ne suffira pas à faire bondir l’inflation.

L’économie américaine tourne à nouveau pratiquement à plein régime. Actuellement, le produit intérieur brut (PIB) ne se situe plus qu’à 0,5% de son niveau atteint à fin 2019, avant l’éclatement de la pandémie de coronavirus. Pour 2021, Candriam anticipe, dans son «scénario central», une croissance du PIB aux Etats-Unis de 6,5%, suivie par une progression à peine plus modeste de 4% attendue pour 2022. Dans un scénario de «croissance plus forte», cette progression atteindrait même respectivement 7,2% cette année et 5,2% en 2022. Sur quel chemin s’oriente l’économie américaine? L’avis d’Anton Brender, économiste chez Candriam et co-auteur avec Florence Pisani du livre «L’économie américaine», paru en 2018.

«L’investissement résidentiel ne devrait plus jouer le même rôle
moteur pour l’économie américaine qu’au cours des derniers mois.»
Compte tenu de la reprise économique en cours aux Etats-Unis, existe-t-il un risque de surchauffe de l’économie américaine, notamment sous l’effet du fort rebond de l’investissement résidentiel depuis la seconde moitié de 2020?

S’agissant de l’investissement résidentiel, on peut effectivement observer que les prix des maisons ont littéralement explosé depuis l’an dernier. Les stocks de logements disponibles ont aussi continuellement diminué depuis 2020. Toutefois, si l’investissement résidentiel a soutenu l’activité jusqu’ici, il devrait désormais ralentir. L’investissement résidentiel ne devrait plus jouer le même rôle moteur pour l’économie américaine qu’au cours des derniers mois.

Les dépenses de consommation vont-elles maintenant prendre le relais?

Les différentes composantes de la consommation ont évolué de façon très contrastée. Les ventes au détail ont fortement progressé au cours des derniers mois, surtout celles de biens durables. S’agissant des services, ceux affectés par la distanciation sociale – l’hôtellerie, le transport aérien, etc. - ont maintenant quitté les niveaux extrêmement déprimés atteints en 2020, mais ils sont encore loin d’avoir retrouvé leur tendance passée. Les achats de services financiers et de communication ont en revanche, eux, légèrement bénéficié des changements dans la composition des dépenses des ménages pendant la pandémie.

«Les Américains vont conserver une bonne partie de l’épargne accumulée,
ce qui devrait contribuer à modérer les pressions inflationnistes.»

Par ailleurs, le rebond de la consommation a été beaucoup plus rapide et plus marqué pour les ménages à bas revenus. Les indicateurs qui permettent de suivre ces dépenses en temps réel font clairement apparaître les pics successifs de dépenses, correspondant aux chèques reçus du gouvernement américain. Le niveau de consommation des ménages à hauts revenus vient, lui, seulement de revenir sur sa tendance d’avant-crise.

Qu’est-ce que cela signifie en termes d’accumulation de l’épargne?

Malgré le rebond de la consommation qui a eu lieu en 2021, les ménages les plus riches en particulier ont accumulé un important excédent d’épargne qui n’a pas encore été dépensé. Que vont-ils en faire? L’évolution de l’inflation aux Etats-Unis en dépendra en partie. A notre avis, seule une petite partie de l’épargne excédentaire liée à la «sous-consommation» devrait être dépensée en 2021 et 2022: les Américains ne vont pas rattraper d’un seul coup toute leur sous-consommation de services durant la pandémie et leurs achats de biens durables ont déjà très fortement augmenté! Pour nous, ils vont donc conserver une bonne partie de l’épargne accumulée, ce qui devrait contribuer à modérer les pressions inflationnistes.

Davantage encore que la reprise de l’économie en général et de la dynamique de la consommation, les marchés concentrent actuellement leur attention avant tout sur l’évolution de l’inflation. La baisse du taux de chômage aux Etats-Unis est-elle susceptible d’entraîner des tensions inflationnistes?

Le marché du travail aux Etats-Unis est lui aussi caractérisé par plusieurs tendances contrastées. Malgré la diminution du taux de chômage en seconde moitié de 2020 et en 2021, il y avait, à fin mai, 7 millions d'emplois qui n’avaient toujours pas été recréés et l’objectif d’«emploi maximum» de la Réserve fédérale est encore loin d’être atteint. Le taux d’emploi, par exemple, est encore très en-deçà de son niveau de février 2020 pour les minorités en particulier.

«Les salaires semblent actuellement en train de monter,
mais il s’agit surtout des salaires les plus bas.»

On se trouve dans une situation totalement atypique où il n’y a jamais eu autant de postes à pourvoir, ni de démissions volontaires… alors même que le plein emploi est loin d’être atteint. Les salaires semblent actuellement en train de monter, mais il s’agit surtout des salaires les plus bas. L’effet de ces hausses sur l’inflation devrait toutefois être modéré par des gains de productivité. Au total, après une accélération de l’inflation à 3,5% en 2021, l’inflation devrait ensuite décélérer mais rester nettement au-dessus de 2% en 2022.

Que cela signifie-t-il pour la politique monétaire menée par la Fed?

Certes, si les anticipations d’inflation à long terme continuent d’évoluer à la hausse, il se pourrait que la Réserve fédérale avance quelque peu le calendrier de son «tapering» (i.e. la réduction du rythme de ses achats de titres). Elle a toutefois expliqué qu’elle était prête à accepter une inflation au-dessus de la tendance passée… tant que cela reste temporaire - ce qui nous semble être le plus probable actuellement.

La hausse des prix de plusieurs matières premières – qu’il s’agisse du pétrole, des céréales ou du bois – peut-elle faire déraper l’inflation aux Etats-Unis?

Il ne semble pas que cela soit le cas. Les matières premières - hors énergie et alimentation - n’influencent que faiblement la formation des prix à la consommation. Ce sont davantage les perturbations des réseaux logistiques ou des chaînes de production, et les pénuries qui en résultent, qui ont actuellement les effets les plus importants: la pénurie de semi-conducteurs par exemple a provoqué une hausse spectaculaire des prix des véhicules d’occasion!

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