L’intelligence collective au service de la durabilité

Nicolette de Joncaire

2 minutes de lecture

Evaluer un portefeuille ESG est affaire de valeurs. Angela de Wolff de Conser Invest prône d’user du consensus pour une approche neutre et indépendante. 

 

La durabilité n’est pas encore définie de manière univoque. Le sera-t-elle jamais? Ratings de durabilité, indices de durabilité, chacun y va de son point de vue, les principes variant aussi selon l'environnement culturel. Pour établir un tableau de bord de la cohérence entre les intentions d’un investisseur et la composition de son portefeuille, Conser Invest, co-fondé par Angela de Wolff et Natacha Guerdat, passe les avoirs détenus au crible d’une vingtaine de sources indépendantes intégrées dans un méta-modèle. Placé devant une vision consensuelle de l’ESG, l’investisseur peut rectifier le tir. Entretien en avant-première de la 9ème édition du Geneva Forum for Sustainable Investment (GFSI) qu’Angela de Wolff ouvrira demain.

Pourquoi développer un nouvel outil pour évaluer la durabilité d’un portefeuille. N’en existe-t-il pas déjà?

Il en existe plusieurs. Mais chacun présente des biais importants en fonction de la sensibilité à certains critères et n’offre qu’une vue partielle de la durabilité. Il y a qui privilégie certains indicateurs environnementaux, qui favorise l’activisme actionnarial, qui fait peser davantage le respect des droits humains. En associant plus d’une vingtaine de notations et d’opinions différentes émises tant par des sociétés d’analyse, des gestionnaires ou des investisseurs, nous pouvons évaluer la durabilité des portefeuilles de manière à la fois plus complète et plus cohérente. Il ne s’agit pas ici d’exprimer notre opinion mais de combiner celles construites par d’autres et donc d’une méta-analyse que l’on qualifie parfois de «crowd wisdom» et qui permet de lisser les travers existant au sein de chacune d’entre elles.

«L'objectif lors de l'évaluation d'un portefeuille
est d'apporter de la transparence et de la traçabilité.»
A quel niveau de granularité évaluez-vous le portefeuille?

Au niveau le plus fin, celui des titres sous-jacents qui le composent, actions ou obligations. Une tâche plus aisée pour les grandes capitalisations qui sont très suivies et que pour les small et mid-caps sur lesquelles nous n’arrivons parfois à réunir que deux ou trois opinions. Et parfois très complexe pour les produits structurés dont la composition n’est pas toujours très claire. Notre univers d’analyse comporte environ 6000 titres et plus de 90% des indices dans la plupart des pays. 

Quel est votre objectif lorsque vous évaluez un portefeuille?

Notre screening a pour ambition de qualifier la composition d’un portefeuille; d’apporter de la transparence et de la traçabilité. Pensez à nous plutôt comme à des auditeurs en finance durable dont le rôle est de permettre à l’investisseur de comprendre si son portefeuille est en ligne avec ses intentions, publiques ou non.

Comment présentez-vous les grilles de lecture?

De manière synthétique et imagée en établissant une note de C à A+ du portefeuille, accompagnée d’une signalétique claire sur le degré d’exposition aux secteurs sensibles – alcool, jeux, OGM, nucléaire, pornographie, tabac ou armement – et aux violations des normes internationales en matière d’éthique professionnelle, de corruption, d’environnement, de droits humains, d’oppression ou de fabrication des bombes à fragmentation. Les impacts environnementaux ou sociaux font l’objet d’une graduation exprimée en pourcentage d’exposition aux clean tech, aux green bonds, aux combustibles fossiles, à la microfinance ou à l’immobilier vert.

«La plupart des failles sont dues à l’ignorance, à un monde de la finance
trop orienté vers des indicateurs purement financiers.»
Si un investisseur découvre ainsi ne pas être en ligne avec ses objectifs, êtes-vous en mesurer de lui conseiller des alternatives aux points «qui pèchent»?

C’est aussi notre rôle. L’advisory en matière de construction de portefeuille durable fait partie de notre expertise. Et nous sommes écoutés. Pourquoi pas d’ailleurs? A performance égale, quel investisseur ne choisirait pas une solution plus éthique? La plupart des failles sont dues à l’ignorance, à un monde de la finance autrefois opaque, trop orienté vers des indicateurs purement financiers. Une fois informés, les investisseurs n’hésitent pas à rectifier le tir. 

Une vision plus durable de la gestion d’actifs parait s’imposer davantage depuis deux ou trois ans.

L’opacité se lève et les acteurs sont davantage soumis à la surveillance du public. Rappelez-vous des critiques essuyées par la Banque Nationale Suisse pour la détention d’actions dans des sociétés d’armement en 2013 et 2014. La création de l’Association suisse pour des investissements responsables (ASIR) en 2015 a marqué l’engagement des institutions de prévoyance suisses envers l’investissement durable. Une fois engagées, elles ne peuvent que se mettre à niveau. Même son de cloche chez les assureurs, Allianz veut pousser ses clients à réduire leur empreinte écologique et a annoncé vouloir cesser de travailler avec des entreprises du secteur du charbon. AXA est entré dans la même logique. La Banque d’Angleterre pousse le secteur financier à investir «vert» et l’économie verte est devenue un enjeu majeur aux yeux de la Banque de France. Les secteurs financiers respectifs devront s’aligner avec les intentions politiques des signataires de la COP 21.

La Commission européenne propose d'inclure les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le mandat des autorités européennes de surveillance financière. Et en Suisse?

Le processus est initié mais reste lent. Lors de sa séance du 16 mars 2018, le Conseil fédéral a été informé des évolutions nationales et internationales. Cette année, un des objectifs pourrait consister à intégrer le développement durable dans les obligations fiduciaires des gestionnaires de fortune. Dans ce sens, L’Association Swiss Sustainable Finance maintient des contacts avec le SECO mais il reste nécessaire de sensibiliser les parlementaires.