L’Inde pourrait devenir la troisième économie mondiale au cours des cinq prochaines années. Quelles sont les perspectives de croissance pour l’économie indienne et quelles sont actuellement les opportunités de placement les plus attrayantes dans le domaine des actions? Tour d’horizon de ces différentes questions avec Kailash Kulkarni, CEO de HSBC Mutual Fund, qui s’exprimait à l’occasion d’un récent passage à Genève.
Selon les instituts de recherche économique, les perspectives de croissance pour l’Inde restent très favorables à court et moyen terme, avec une hausse de plus 7% du PIB attendue en 2024. Sera-t-il possible pour l’économie indienne de maintenir un taux de croissance proche ou supérieur à 7% pendant encore plusieurs années?
Il faut bien sûr comparer ces taux de croissance, qui peuvent paraître spectaculaires par rapport à ceux affichés dans les pays développés, avec ceux que l’on observe dans différents pays émergents. Si la plupart des économies des pays développés croissent tout au plus de 2 à 3% par année, beaucoup de pays émergents affichent toujours des taux de croissance de l’ordre de 6 à 7%. L’Inde s’inscrit dans cette tendance. Les taux de croissance élevés du PIB attendus pour l’économie indienne reflètent toutefois aussi les changements structurels qui ont caractérisé l’Inde ces dernières années. Parmi les différentes mesures mises en place par le gouvernement, on peut citer principalement trois catégories de réforme.
«La production de biens manufacturiers croît rapidement, notamment en raison de la volonté de diversification de nombreux grands groupes internationaux.»
Premièrement, il y a les réformes qui concernent la fiscalité. Afin de réduire le déficit budgétaire par rapport au PIB, il a fallu rendre la collecte des impôts plus efficiente. Compte tenu de l’ensemble des projets qu’il faut financer, notamment en matière d’infrastructures, il était indispensable de veiller à ce que leur financement soit assuré. Il a aussi été nécessaire de simplifier le système fiscal lui-même qui était très complexe, avec des prélèvements effectués au niveau du gouvernement central et des autorités régionales. Un système de prélèvement appelé «Goods and services tax» (GST), proche de la TVA, a été mis en place pour s’assurer que les entreprises paient toutes cette taxe. Les individus paient à leur tour cet impôt lorsqu’ils achètent des biens et services.
Deuxièmement, le gouvernement a mis en place différentes réformes sur le plan social afin d’assurer que les gens qui se situent en bas de la pyramide des revenus tirent aussi avantage de ces réformes. Cela en assurant notamment une meilleure inclusion sur le plan financier. Il y a sept ou huit ans, plus de 50 millions de personnes n’avaient pas du tout de compte bancaire. Il a été possible de réduire fortement ce nombre en rendant accessible des comptes bancaires à des millions de personnes. En tout, les différentes réformes sociales mises en place ont permis de sortir 160 millions de personnes de la pauvreté en Inde. L’accès facilité aux services financiers et les subsides accordés par le gouvernement y ont fortement contribué.
Troisièmement, d’importants efforts ont été mis en place en matière de numérisation et sur le plan technologique pour favoriser l’émergence d’entreprises dans ces domaines ou tout simplement afin d’améliorer l’infrastructure existante.
Le développement des infrastructures est souvent évoqué dès que l’on parle de l’Inde. Y a-t-il des possibilités pour les investisseurs, y compris en Europe, de participer au financement des infrastructures?
Cela dépend des projets. Certains sont financés et supervisés localement. Pour les grands projets de développement des infrastructures, comme dans le domaine des transports ferroviaires, des routes ou de toutes sortes d’autres équipements, il est effectivement possible d’investir via des véhicules dédiés. Le segment des infrastructures attire beaucoup d’investisseurs étrangers. Les besoins de financement sont très importants compte tenu de l’essor rapide de l’Inde. Il y a huit ans, seulement 5 villes étaient dotées d’un réseau de métro. Maintenant, il y a 27 villes qui en sont équipées. Quand je retourne parfois dans la ville d’où je viens, j’ai l’impression de ne plus la reconnaître. C’est un développement incroyablement rapide qui a eu lieu ces dernières années.
Hormis les infrastructures, quels sont les autres domaines qui connaissent un développement important actuellement en Inde?
La production de biens manufacturiers croît rapidement, notamment en raison de la volonté de diversification de nombreux grands groupes internationaux. C’est ce que certains appellent la stratégie «Chine + 1», à savoir que beaucoup de grandes entreprises souhaitent disposer d’un deuxième site de production en dehors de la Chine. Et c’est une tendance qui s’observe dans un grand nombre de secteurs, allant des composants pour l’industrie automobile à la pharma en passant par les équipements de biens électroniques. L’Inde est désormais le deuxième plus grand exportateur mondial de téléphones mobiles.
«L’Inde dispose aujourd’hui de la population en âge de travailler la plus importante au monde.»
On peut aussi citer les domaines de la défense ou de la consommation. L’Inde dispose aujourd’hui de la population en âge de travailler la plus importante au monde. Enfin, le secteur financier connaît aussi un important développement grâce à une meilleure inclusion financière, comme je l’ai déjà évoquée, rendue possible aussi grâce à des solutions bancaires numériques, ainsi qu’en raison de l’importance grandissante de la classe moyenne.
Concernant le marché des actions en Inde, dans quels domaines voyez-vous les opportunités les plus intéressantes actuellement?
Une des grandes différences qui existe entre la situation actuelle et celle qui prévalait il y a une ou deux décennies est précisément que l’économie indienne est désormais beaucoup plus diversifiée. Auparavant, l’accent avait été placé largement sur la IT et les services qui y sont liés. Le problème avec une telle stratégie est que si la Tech traverse une phase difficile, cela pèse sur l’ensemble de l’économie.
Maintenant, l’économie indienne s’est davantage diversifiée au travers d’un très grand nombre de secteurs, incluant à la fois les biens d’équipement, les composants pour l’industrie automobile ou l’électronique, pour ne citer que quelques exemples. C’est pourquoi je pense que, lorsque l’on investit dans les actions indiennes, mieux vaut répartir ses placements de manière diversifiée, car cela permet de tirer parti du développement de l’ensemble de l’économie indienne.
Il s’agit là de domaines beaucoup orientés vers les exportations. Qu’en est-il du domaine de la consommation?
Avec la hausse des revenus de la classe moyenne en Inde, on observe que ces revenus supplémentaires sont dépensés soit dans le domaine de la consommation, par exemple pour s’acheter des plus grands téléviseurs, des téléphones plus modernes ou toutes sortes d’autres équipements, soit investis. Concernant la partie investissement, on peut observer qu’il y a eu une grande évolution au cours des cinq dernières années. Auparavant, beaucoup de gens investissaient leur épargne avant tout pour acheter des biens immobiliers. Désormais, une partie de cette épargne est placée dans comptes d’investissement qui permettent d’investir son argent soit directement dans des actions individuelles, soit via des fonds de placement. En Inde, beaucoup de gens investissent via ce que l’on appelle des Systematic Investment Plan (SIP) qui peuvent avoir des durées plus ou moins longues, allant jusqu’à 30 ans. Le client décide dans quelles classes d’actifs il souhaite investir son argent. L’an dernier, environ 70 millions de personnes ont placé une somme moyenne de l’ordre de 30 à 35 dollars américains, ce qui représente un afflux d’argent de l’ordre de 2,6 à 2,7 milliards. Pour le secteur financier, c’est un développement intéressant à suivre.
Concernant le thème technologique très dominant actuellement de tout ce qui touche à l’intelligence artificielle, y a-t-il des projets spécifiques en lien avec l’IA ou s’agit-il d’un domaine d’investissement parmi d’autres?
Oui, il y a eu des initiatives du gouvernement dans ce domaine, notamment dans les semi-conducteurs. Il s’agit toutefois d’un projet parmi d’autres, à l’exemple de projets dans le secteur manufacturier ou d’autres industries.
Une statistique récente montrait que la banque centrale indienne a été le deuxième pays qui a acheté le plus d’or dans le monde. Pourquoi l’Inde achète-t-elle autant d’or?
Il faut distinguer ici entre deux types d’acheteurs. D’un côté, la société indienne a toujours acheté beaucoup d’or en tant qu’ornements, bijoux, etc. C’est une préférence d’ordre culturelle. La demande de la clientèle de détail n’a toutefois pas de lien avec les achats effectués par la banque centrale qui est de nature stratégique.
Les taux d’intérêt restent relativement élevés en Inde comparé aux taux observés en Europe ou aux Etats-Unis. Qu’est ce que cela implique en termes de placements alors que principales banques centrales occidentales baissent leur taux en ce moment?
Effectivement, les taux d’intérêt sont relativement élevés, en se situant aux alentours de 6,5 à 7%. Maintenant, du point de vue d’un investisseur étranger, ces taux d’intérêt sont non seulement plus élevés mais il s’agit aussi d’actifs de haute qualité. La roupie est une monnaie stable et beaucoup d’experts s’attendent plutôt à ce qu’elle s’apprécie au cours des prochaines années.
Récemment, vous avez rencontré des investisseurs dans différents pays européens. Quel est leur intérêt à propos de l’économie indienne et des possibilités d’investissement qui y sont liées?
Que ce soit en Suisse ou dans d’autres villes européennes, les investisseurs sont très curieux d'en savoir davantage au sujet de l’Inde. Il y a vraiment une faim d’en apprendre davantage sur l’économie indienne. Pas de doute, l’Inde figure maintenant dans le radar des investisseurs.