L’immobilier romand se met discrètement au vert

Salima Barragan

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Selon Boris Clivaz de GEFISWISS, les immeubles décarbonés ne coûtent pas plus chers que les autres.

Vous n’avez probablement jamais entendu parler des bâtiments décarbonés… mais tout du moins d’efficience énergétique. Ce n’est pas surprenant, car jusqu’à présent seules les caisses de pensions et institutionnels d’envergure investissent dans cet immobilier durable, qui n’a pas encore fait son chemin auprès des acteurs privés, à de rares exceptions près. Pourtant, selon Boris Clivaz, CEO de GEFISWISS, un asset manager lausannois spécialisé dans l’investissement immobilier direct, durable et local, «les bâtiments décarbonés ne coûtent pas plus chers que les immeubles traditionnels et augmentent la valeur de rendement». Interview.

En tant qu'Asset Manager, comment vous distinguez-vous des acteurs traditionnels de l’immobilier romand?

Il y a une dizaine d’années, nous avons obtenu les premiers certificats Minergie P-ECO du Canton. De là, nous avons construit notre philosophie autour des 3 sphères du développement durable.

Le choix des matériaux est réfléchi de manière à diminuer au maximum l’impact sur l’environnement. Ainsi, la construction est réalisée par des acteurs de la région afin de favoriser les circuits courts. Les réalisations doivent avoir soit un bilan carbone neutre, soit des émissions carbone qui presque nulles. Aujourd’hui, notre philosophie va jusqu’à la petite fleur servant à protéger la biodiversité. D’un point de vue sociétal, nous prônons la mixité sociale et intergénérationnelle au travers notamment de logements séniors.

L’immobilier durable représente-t-il une tendance en Suisse Romande ou est-ce encore un secteur de construction de niche?

Du côté des investisseurs institutionnels, cette tendance devient de plus en plus forte. On le constate avec les caisses de pension qui portent un intérêt croissant à cette classe d’actifs. Tant au niveau européen que suisse, les normes sont en train d’évoluer en matière environnementale. Les institutionnels font également face aux enjeux de la société qui souhaitent globalement que la durabilité soit prise en compte.  En revanche, au niveau des acteurs privés, hormis quelques exceptions, nous n’avons pas relevé de réel intérêt pour l’immobilier durable.

D’un point de vue sociétal, nous prônons la mixité sociale et intergénérationnelle au travers notamment de logements séniors.
Quels sont les critères à remplir pour justifier du label d’immobilier durable?

La Next Generation Living est l’Association suisse des quartiers durable qui émane du WWF et dont nous sommes un des membres fondateurs. Cette association répertorie 30 objectifs recouvrant différents domaines. Ils portent par exemple sur la préservation de la biodiversité ou sur la qualité de vie attractive des quartiers. Ces critères sont totalement reconnus dans la branche. Notons que la consommation d’énergie à elle seule n’est pas un label durable, même s’il s’agit d’une indication largement reconnue par le public.

Que disent les réglementations romandes en matière de construction durable?

Il n’y a pas de règlementation romande en matière d’immobilier durable. Il s’agit d’une thématique communautaire, davantage basée sur un fichier de valeurs partagées. Chaque constructeur va développer ses éléments distincts et chaque canton a ses propres réglementations.

Quels sont les niveaux des coûts et des rendements des bâtiments décarbonés par rapport aux traditionnels?

Premièrement, les analyses ne tiennent malheureusement pas compte du coût de l’impact écologique dans le taux de capitalisation. Or, la finance doit l’intégrer pour calculer le rendement sociétal. Deuxièmement, si vous organisez dès le premier jour le principe de construction d’un projet bois-béton, en respectant scrupuleusement les règles de base, vous n’aurez pas de surcoûts imprévus. Enfin, on oublie souvent que les façades des bâtiments bois-béton sont moins grandes que dans les constructions traditionnelles, ce qui augmente la surface et donc la valeur de rendement. Le projet bois-béton ne coûte donc pas plus cher, mais il augmente la valeur de rendement pour l’institutionnel. Un autre élément intéressant à noter: en France, les bâtiments dits décarbonés sont acquis entre 5% et 10% plus chers que les édifices traditionnels. Toutes les rénovations futures liées aux systèmes de chauffage vont coûter cher, et les acheteurs le prennent en compte dans leurs calculs.

De l’architecte au plâtrier-peintre en passant par l'ingénieur-bois, le tissu économique local regorge de compétences.
Quelles sont vos dernières réalisations de projets durables?

À la fin du mois, nous finalisons un projet d’une septantaine de logements à Saxon. Le bilan carbone de cette réalisation se montera à 2,40 kg de CO2 par m2. À titre de comparaison les limites qu’édictait la Loi sur le CO2 pour 2038 étaient de 5kg. Actuellement, la moyenne du parc immobilier suisse est au-dessus de 30 kg. Des projets comme celui de Saxon ou d’Estavayer sont des avancées concrètes dans la transition énergétique et incluent le défi du vieillissement de la population en intégrant des logements séniors. À Estavayer, c’est un quartier de 600 logements qui est en train d’être réalisé en plusieurs étapes. Lors de la livraison des deux premières étapes, un parc public comprenant un urban training, des places de jeux, des tables avec des jeux de société, a été réalisé pour les habitants de la région. Dernièrement, nous avons conclu un partenariat pour la protection de la petite faune. La philosophie de GEFISWISS est vraiment de mettre en place différents concepts commerciaux et initiatives sociales pour égayer la vie de l’économie locale ainsi qu’un programme pour la protection de l’environnement.

Arrivez-vous vraiment à travailler exclusivement avec des acteurs de la région pour la réalisation de vos projets durables?

Oui, tout à fait car nous disposons de toutes les compétences disponibles dans un rayon de 50 kilomètres. De l’architecte au plâtrier-peintre en passant par l'ingénieur-bois, le tissu économique local regorge de compétences. La sous-traitance à l’étranger pourrait être la seule problématique. Mais à prix égal, il faut favoriser le local, d’autant qu’il est déconnecté de l’augmentation du coût des matières premières sur les marchés internationaux.