L’Endowment part à la conquête de la Suisse

Emmanuel Garessus

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Jacques Diwan a créé Crescendo en s’inspirant de son expérience américaine. Il gère 3 milliards mais reste inconnu des médias.

Crescendo compte parmi les grands gérants indépendants de la place financière suisse, avec 3 milliards de dollars sous gestion pour plus de 50 collaborateurs. Il est pourtant méconnu et son modèle d’affaires est très différent de celui d’un gérant classique. Fondé à Genève en 2004 par Jacques Diwan et Douglas Kalen, Crescendo a importé à Genève le modèle de l’«Endowment» américain. Une diversification plus assumée est au cœur de l’approche multi-asset class de l’Endowment. Non seulement par classe d’actifs, mais aussi par stratégies, l’approche capitalise sur une allocation mettant l’accent sur les actifs alternatifs et les marchés privés, ayant naturellement une faible corrélation entre eux. Un modèle d’Endowment est complètement différent, en termes d’analyse de risque, de compétences, de discipline et de structuration des modèles de gestion classiques, déclare Jacques Diwan.

Crescendo est basé à Genève mais a développé plusieurs centres d’expertise aux cœurs d’écosystèmes reconnus, tels que New York pour la Dette Privée, Londres pour l’Immobilier et Tel Aviv pour le Venture Capital.

Jacques Diwan et son fils Benjamin Diwan – qui a rejoint la société en 2018 – répondent aux questions d’Allnews sur l’avenir du métier de gérant et sur les mérites du modèle d’Endowment.

Pourquoi avez-vous créé Crescendo en 2004?

Jacques Diwan: A 40 ans, membre du Comité Exécutif de la Banque Privée Edmond de Rothschild, je travaillais dans un environnement très stable et confortable. J’avais eu la chance d’avoir une grande expérience clientèle acquise durant toute ma carrière, ce qui m’a permis de percevoir que l’évolution des besoins des clients allait représenter un défi et une opportunité pour l’industrie. Il serait présomptueux de prétendre qu’en 2004 j’avais anticipé pleinement que la désintermédiation, la digitalisation, la naissance de solutions B2B ainsi que l’enrichissement de l’écosystème allaient être des «game changers», mais il était déjà clair que de nouvelles façons de servir les clients étaient en train de voir le jour.

Pourquoi parlez-vous de chance?

La chance a joué un rôle dans le succès de Crescendo parce que mes rencontres m’ont heureusement mis en relation avec le milieu des Endowments. Celui-ci est éloigné de Wall Street et de son court-termisme. Il présentait une forme de philosophie d’investissement qui se démarquait fortement des autres stratégies et dont les résultats sur le temps étaient indéniablement très intéressants. Cette approche manquait à Genève.

En quoi vous distinguiez-vous de la place genevoise?

A Genève, dans la gestion de fortune, on connaissait les modèles 60/40, l’Immobilier, les Hedge Funds et d’autres acteurs de niche, mais beaucoup moins l’approche Endowment qui intègre dans une même stratégie toutes ces classes d’actifs.

Je me suis nourri de mes expériences américaines et avec Douglas Kalen, nous avons fondé Crescendo. Nous avons sollicité l’aide d’un jeune CIO de Brown University qui a accepté de nous accompagner en Suisse pour implémenter cette stratégie.

Un long apprentissage a alors commencé. Nous avons démarré avec 400 millions de dollars et n’avons jamais dévié de notre stratégie d’investissement. Nous avons ainsi été tout naturellement un pionnier dans les marchés privés.

Nous avons obtenu en toute fin d’année 2022 notre licence de gestionnaire en placements collectifs, directement supervisés par la Finma.
Dans la gestion de fortune, on débute par le profil de risque, l’analyse du cycle de vie. Qu’en est-il du risque dans un modèle d’Endowment?

Il a fallu adapter le modèle d’Endowment à la clientèle privée, car en principe l’Endowment n’a qu’un seul client; l’université. Les universités ont mieux compris la maîtrise des risques que les clients privés parce que ces derniers sont à la merci des «bruits» des marchés, de la tentation des modes, de la volatilité à court terme. Elles gèrent le risque en comprenant celui de chaque investissement. Elles étudient une «histoire», celle d’un investissement potentiel, l’approfondissent et prennent une décision en fonction des caractéristiques de rendement pour l’intégrer dans leur portefeuille très diversifié. L’acceptation de l’illiquidité, l’horizon temps et le rendement espéré représentent la base du profil du client.

Quelle est votre performance à long terme?

La valeur ajoutée se reflète principalement dans la gestion des draw down, comme cela a été le cas en 2008 et 2022. Nous ne sommes pas frappés par des performances très négatives qui prennent des années à être compensées. Depuis 2004, le portefeuille Crescendo reflétant la stratégie Endowment a annualisé une performance de 6,6%.

Qu’en est-il de l’accueil du client?

De ce que nous avons pu observer chez nos clients, c’est avant tout un intérêt pour le profil de rendement de cette stratégie qui évite de gros «draw down». Ensuite, la partie marchés privés, où la recherche d’opportunités et leur exécution ont une dimension entrepreneuriale qui est familière à un large segment de clients. Le rendement n’est que peu lié à l’environnement macro-économique mais repose sur le travail de nos équipes. Quant à la nouvelle génération, elle considère que le raisonnement derrière la construction de leur portefeuille doit avoir ce côté entrepreneurial. J’ai l’exemple d’une revue de portefeuille avec un client, au cours de laquelle 80% de ses questions portaient sur une transaction immobilière à l’étranger qui pourtant ne représentait que 2% de son portefeuille. Il se sentait valorisé par la conversation, car c’est ce sujet qui l’intéressait, même si le rendement total du portefeuille n’en était guère affecté.

Est-ce que vos frais de gestion dépassent ceux du modèle traditionnel?

Notre «pricing» est adapté aux standards suisses, mais il est inférieur à la valeur et la complexité de notre offre. La capacité à lisser les rendements et à réduire les pertes à une valeur. Nos Management fees (mandats de gestion Wealth Management) vont de 0,5 à 0,75% selon la taille du compte. Aujourd’hui, je dirais qu’il mériterait 1,5% + 10% de la surperformance, ce qui serait conforme aux pratiques américaines.

Quelles sont les perspectives de votre industrie?

Je pense en général que le futur de notre industrie est extraordinaire. Le futur de la gestion ne se limitera pas à la réglementation et à la digitalisation. La nouvelle génération d’investisseurs aura une relation complètement différente avec les gestionnaires externes, aussi bien en termes de besoins que de communication.

Ils veulent investir dans des histoires, savoir ce qu’ils font avec leur argent et pourquoi. Ils veulent être dans les nouvelles technologies, dans le Private Equity. Ils veulent que leur capital ne soit pas que monétaire mais aussi productif et crée du sens. Ils sont orientés à long terme, veulent être accompagnés dans leur vie d’entrepreneur et dans le conseil, la gouvernance et les projets philanthropiques de leur famille. Le concept d’épargne de nos parents est fini.

Quel sera votre principal chantier en 2023?

Nous avons obtenu en toute fin d’année 2022 notre licence de gestionnaire en placements collectifs, directement supervisés par la Finma. Grâce à cette nouvelle licence, 2023 sera l’année de l’expansion et du développement de notre Asset Management, à partir de Genève, avec des solutions d’investissements illiquides inédites. Nous pourrons vous en parler prochainement.